Pour carcéral que soit l’accès à la salle, pour spartiate que soit le confort des sièges (mais, n’allions-nous pas à Sparte ?), faut-il pour autant ignorer les activités lyriques qui ont les Zénith pour cadre ? Ces institutions, qui hébergent des tournées très populaires (à des tarifs souvent supérieurs à ceux pratiqués par les salles lyriques), sont ouvertes aux plus larges publics, que leur capacité exceptionnelle permet de rassembler. Une honorable Carmen avait essuyé les plâtres, il y a deux ans. Fort de cette première expérience, le Labopéra Bourgogne offre La Belle Hélène. Si les principaux acteurs se retrouvent à cette occasion, les leçons ont été tirées, et le spectacle relève maintenant d’un professionnalisme exigeant, la distribution ne comportant par ailleurs aucune faiblesse. Toutes les compétences des établissements d’enseignement ont été réunies, en plus de la nombreuse équipe de bénévoles sans qui le projet aurait été vain. La réussite est incontestable.
Avec quelques clins d’œil ajoutés (dont deux très brefs, bienvenus, citant Carmen), c’est la loi du genre, le livret est scrupuleusement respecté. Illustrée avec fidélité et brio, il en va de même de la partition. Au service exclusif de l’ouvrage, la mise en scène classique et festive d’Ismaël Gutiérrez tire heureusement parti du volume extraordinaire de l’espace scénique, tout en limitant les sollicitations : toujours les protagonistes retiennent l’attention, d’autant que la direction d’acteur s’avère soignée et efficace. Aucune gesticulation caricaturale, c’est toujours léger, de bon goût, abouti. Les décors, monumentaux, nous invitent dans cette Grèce antique en technicolor, conventionnelle, proche du peplum. Le refus délibéré d’actualisation s’avère d’autant mieux venu que le public, peu familier des canons de l’opéra contemporain, attend cette imagerie souriante, colorée : les drapés des péplos du peuple, les chlamydes d’Agamemnon et Ménélas, les costumes d’hoplites (Achille, les deux Ajax et Oreste), sont autant de bonheurs, particulièrement soignés (ceintures, agrafes…). Plus de 400 lycéens, filles et garçons, ont réalisé ces costumes comme les décors et accessoires, sans oublier les maquillages. Leur adhésion au projet les aura marqués à jamais d’un souvenir indélébile. Tout comme la centaine de choristes, jeunes et moins, qui se sont pleinement engagés dans ce projet. Sans oublier les 14 danseurs, dont deux éblouissantes solistes au professionnalisme avéré (1).
Les éclairages, classiques, de Nicolas Cointot sont efficaces. Il faut saluer le travail d’orfèvre de Franck Guinfoleau, dont le traitement du son s’avère remarquable : la clarté d’émission, les balances nous font oublier que l’amplification est la règle dans ce grand vaisseau.
L’orchestre fédère des professionnels reconnus, sous l’autorité de Steve Duong. La direction de Maxime Pitois, toujours attentif à la souplesse de la narration, insuffle une dynamique collective tout en se montrant soucieuse des solistes et du chœur. De l’énergie, du rythme, comme de la délicatesse, de la poésie (2). Jamais les équilibres ni la cohésion ne sont compromis, ce qui relève de l’exploit, compte tenu de la dimension du plateau. On a plaisir à percevoir le jeu de chacun des bois, du piccolo au basson, et l’homogénéité des cordes, assise sur de belles basses est appréciée.
Une distribution homogène, très professionnelle, sans faiblesse, où chaque chanteur est comédien, dont l’intelligibilité est la règle, va captiver l’auditoire. Pas de sur-titrage, dont on n’a nul besoin.
Ahlima Mhamdi, familière de cette Hélène « aux multiples égarements de jeunesse », pourrait être meneuse de revue. Blonde cette fois (3), elle sert son personnage avec panache, d’une voix ronde, aux graves capiteux comme aux aigus insolents. La santé vocale est évidente et l’engagement dramatique constant. Mathilde Lemaire, l’autre mezzo, campe un Oreste juvénile, pétillant. La sûreté des moyens, la fraîcheur de l’émission, la conduite de la ligne, la diction magistrale, tout est là. Le Pâris de Raphaël Jardin est une belle découverte. Son assurance, l’élégance raffinée de son émission, chaleureuse, la volubilité de ses traits, c’est un régal. Ménélas, sous les traits de François Pardailhé, est irrésistible, drôle, pleutre et touchant. Sans plus d’emphase que nécessaire, le Calchas de Roman Nédelec en impose, à la diction parfaite, et au jeu captivant. Olivier Grand a la stature du roi des rois et son Agamemnon possède l’autorité attendue. Le savoureux « trio patriotique » est particulièrement réussi.
Pour mineures que soient leurs interventions chantées, il faut mentionner l’excellent Achille, cocasse, de Nicolas Rether, et les impayables deux Ajax (Hugo Fabrion et Franck Sixdenier).
On imagine que le chœur a dû travailler intensément, tant pour s’approprier sa partie que ses déplacements et sa gestuelle : précis, bien projeté, intelligible, à la hauteur des enjeux, c’est un plaisir que de l’écouter comme de le voir dans ses diverses déclinaisons.
Outre le bonheur à découvrir cette nouvelle Belle Hélène si bien servie, il faut redire celui à communier avec un public dont l’adhésion a été constante. Remplir le Zénith avec une telle programmation, à deux reprises, relevait déjà de l’exploit. Avoir entraîné chacun dans cette joyeuse fête, d’un goût très sûr, pour sortir le cœur léger, fredonnant tel ou tel air, la réussite est manifeste et appelle non seulement la poursuite du projet, mais aussi sa diffusion (4) en d’autres régions.
(1) L’introduction qui ouvre le deuxième acte nous vaut une scène associant Ménélas à une démonstration de pole dance parfaitement intégrée à la trame narrative. (2) Les mélodrames sont autant de bijoux, où tout s’anime, autant de respirations de cette partition endiablée. (3) Olivier Desbordes, il y a un an, la voulait brune, dans une toute autre mise en scène. (4) Une captation a été réalisée par France.tv, qui fera l'objet de plusieurs diffusions et sera consultable sur la plate-forme.