Pour les fêtes de fin d’année, l’Opéra-Comique propose une nouvelle production de La Chauve-Souris, en français. Le livret, entièrement réécrit par Pascal Paul-Harang dans un langage moderne, facilement compréhensible, est en adéquation avec la mise en scène qui situe l’action de nos jours.
Créé à Vienne en 1874, l’ouvrage ne sera monté à Paris qu’en 1904 à cause de l’opposition de Meilhac et Halévy qui craignaient que l’opérette de Johann Strauss ne nuise au succès de leur comédie, Le Réveillon, dont elle est tirée. Le livret avait été adapté par Paul Ferrier qui avait ramené l’action en France, comme dans la pièce. En revanche, Pascal Paul-Harang, conserve aux personnages leur nationalité autrichienne et leurs noms d’origine, à l’exception de Blind rebaptisé Miro. Pourtant c’est bien d’humour français que regorge le texte où les allusions au monde politique ou people bien de chez nous abondent. On entendra parmi les répliques « Je vous demande de vous arrêter », « Merci pour ce moment » ou encore « Non mais allô, quoi ». Il y est même fait mention des problèmes de subvention que connaît actuellement l’orchestre.
L’action se déroulant en moins de vingt quatre heures, les changements de décors se font à vue pour ne pas en interrompre le cours. Du coup l’entracte semble imposé par une fausse panne d’électricité au cours du bal chez Orlofsky.
Le premier acte se passe dans le séjour d’un intérieur bourgeois : un canapé gris, une table, des chaises, un écran plat et un arbre de Noël meublent le plateau. Au fond, on aperçoit une cuisine équipée. Aux deux le salon du prince paraît un peu fruste, mais n’oublions pas que dans la pièce il s’agit d’un pavillon de chasse, donc rien de luxueux. La prison du trois est composée essentiellement de murs gris, d’écrans de surveillance et de grilles.
La direction d’acteurs d’Yvan Alexandre, très fluide, est émaillée de nombreux gags qui font mouche si l’on en juge par l’hilarité de la salle. La dernière image, fort réussie, est largement applaudie. Nous en laissons la surprise aux futurs spectateurs.
Bal chez Orlofsky © Pierre Grosbois
C’est une équipe très homogène qui a été convoquée pour l’occasion : Côté masculin, l’action est menée tambour battant par l’excellent tandem Stéphane Degout et Florian Sempey, aussi à l’aise vocalement que dans les scènes parlées qu’ils interprètent avec un art consommé de la comédie. Le premier est un Gabriel von Eisenstein au timbre séduisant et le second, doté d’une voix solide, est parfait dans son rôle de manipulateur. Philippe Talbot qui remplace presque au pied levé Frédéric Antoun souffrant, est doté d’une voix claire et bien projetée. Le jeune ténor tire habilement son épingle du jeu d’autant plus que dans les scènes parlées, ses répliques sont entrecoupées d’extraits d’airs d’opéras célèbres, Faust, Carmen, Roméo et Juliette…
Franck Leguérinel est comme à son habitude désopilant dans le rôle du directeur de la prison, et si la voix accuse ici ou là quelques signes de fatigue, ses dons pour la comédie sont restés intacts.
L’apparition de Kangmin Justin Kim en costume de marin dans les bras d’un ours en peluche géant est d’un effet irrésistible. Si dans les couplets d’Orlofsky, la voix paraît encore verte avec des aigus un rien acidulés, le contre-ténor obtient un véritable triomphe après sa stupéfiante parodie de Cecilia Bartoli dans l’air de Vivaldi, « Agitata da due venti ». Dans cette page, la vélocité avec laquelle il exécute ses vocalises montre qu’il possède une technique à toute épreuve. Cette imitation largement connue des internautes grâce à You Tube vaudrait presque le déplacement à elle toute seule.
Enfin, les interventions burlesques de Christophe Mortagne en avocat bègue, ne passent guère inaperçues.
Côté féminin, c’est Sabine Devieilhe qui domine largement le plateau. Dans les scène parlées, elle révèle un tempérament dramatique qu’on ne lui soupçonnait pas. Son Adèle est interprétée avec un aplomb et une gouaille tout à fait jubilatoires. Vocalement, le rôle ne lui pose aucun problème, ses airs lui valent de chaleureux applaudissements bien mérités. Au cours du dernier acte, elle s’autorise même un contre-sol interpolé du plus bel effet.
La Rosalinde de Chiara Skerath est une sorte de bourgeoise un rien écervelée, tout à fait convaincante. Le timbre sombre de la cantatrice ne manque pas de séduction mais la voix plafonne dans l’aigu notamment dans la czardas, un rien laborieuse, qui n’a malheureusement pas le brillant qu’on pouvait en attendre.
Dans le rôle parlé de Frosch, Atmen Kelib fait preuve d’un humour décapant durant le long monologue qui ouvre l’acte trois.
Enfin il serait dommage de passer sous silence le strip-tease plus qu’intégral – nous n’en dirons pas davantage – exécuté avec beaucoup d’humour par Christine Beaulieu au deuxième acte.
La direction de Marc Minkowski a paru assez inégale. Si l’ouverture, enlevée avec brio, pétille comme du champagne, sa battue dans le reste de l’œuvre, n’est pas exempte de lourdeurs. Nul doute qu’il saura trouver le bon rythme au fil des représentations.