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MASSENET, Werther – Baden-Baden

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Spectacle
30 novembre 2023
La bibliothèque idéale

Note ForumOpera.com

5

Infos sur l’œuvre

Drame lyrique en quatre actes et cinq tableaux
Musique de Jules Massenet
Livret d’Édouard Blau, Paul Milliet et Georges Hartmann d’après le roman épistolaire Les Souffrances du jeune Werther, de Goethe
Première représentation à Vienne le 16 février 1892

Détails

Mise en scène
Robert Carsen
Décors
Radu Boruzescu
Costumes
Luis F. Carvalho
Lumières
Peter Van Praet
Chorégraphie
Marco Berriel

 

Werther
Jonathan Tetelman

Charlotte
Kate Lindsey

Sophie
Elsa Benoit

Albert
Nikolai Zemlianskikh

Le Bailli
Scott Wilde

Schmidt
Kresimir Spicer

Johann
William Dazeley

 

Cantus Juvenum Karlsruhe

Balthasar-Neumann-Orchester

Direction musicale
Thomas Hengelbrock

 

Baden-Baden, Festspielhaus

Dimanche 26 novembre 2023, 17h

Le festival d’automne du Festspielhaus de Baden-Baden est joliment intitulé, en français, « La Grande Gare ». En effet, l’actuelle salle de spectacle était à l’origine une station de chemin de fer de prestige d’où l’on prenait notamment le train pour Paris. Le festival s’intéresse au patrimoine musical européen et, après une mémorable Cavalleria rusticana donnée l’an passé, c’est au tour de Werther de clore en point d’orgue la manifestation, ce qui permet, comme une évidence, de souligner les ponts entre la France et l’Allemagne.

C’est à Robert Carsen qu’on a demandé de mettre en scène cette nouvelle version du roman épistolaire de Goethe transformé en opéra par Massenet, donné tout d’abord, faut-il le rappeler, en langue allemande à Vienne avant de devenir un classique absolu en langue française. En 2013, la star canadienne avait déjà proposé ici même une remarquable lecture de la Flûte enchantée aujourd’hui devenue une valeur sûre de l’Opéra de Paris. Sa vision de Werther connaîtra-t-elle le même sort, étant elle aussi prévue pour Bastille ? On est prêt à miser en toute confiance sur elle, tant cette production est fascinante… Robert Carsen a choisi de placer l’œuvre littéraire de Goethe au centre de son sujet. C’est en effet la Bibliothèque de la duchesse Anne-Amélie de Weimar qui sert de cadre à l’impressionnant décor édifié par les soins de Radu Boruzescu sur l’ample scène du Festspielhaus. Il aurait été logique de choisir la salle rococo de cette bibliothèque dont Goethe a contribué à considérablement agrandir les collections. Mais c’est le « Cube de livres », la nouvelle section du bâtiment ajoutée en 1991, qui a servi de modèle. On connaît le goût de modernité et d’intemporalité du metteur en scène et ce choix s’impose comme une évidence. La plupart des rayonnages de livres bien rangés, aux couleurs subtilement alternées et assorties formant un délicat patchwork aux nuances pastel, sont en réalité factices. Il s’agit donc de clichés, mais certains livres sont bien réels ; on y a collé sur les tranches les photos d’ouvrages conservés dans la salle originelle. L’effet produit est spectaculaire. Le spectateur plonge dans un univers de rêve hautement fécond, se noie dans une mer de livres dont il ne peut saisir le détail mais qui le titille intellectuellement. Le reste du décor reprend, avec de subtiles variantes, le mobilier de la bibliothèque ainsi que les lampadaires et les échelles. Cette sobriété pourrait n’engendrer que froideur et distance mais, bien au contraire, cela permet de nous rapprocher davantage de nos personnages, avantageusement dupliqués, quand ils sont occupés à lire Werther, par des figurants eux également absorbés par leurs recueils. Et en écho, le spectateur se retrouve lui aussi englouti dans cette concentration, cette richesse culturelle dans un effet miroir particulièrement réussi (et magnifié par le travail remarquable sur les lumières du fidèle Peter Van Praet). Comment mieux fusionner avec nos héros et partager leurs émois, leurs affres et leurs souffrances ? Les figurants, presque immobiles, frémissent au rythme des émotions de nos protagonistes, desserrant le moment venu la pression de leurs doigts sur des feuillets qui se mettent à tourbillonner en feuilles d’automne, comme autant de pages blanches pour des histoires à écrire et à vivre ou, au choix, pages vierges parce que déjà mortes. L’imaginaire se met rapidement au diapason des émotions véhiculées par le chef-d’œuvre de Massenet. Sans vouloir effeuiller l’ensemble tout en raffinements de l’ouvrage (et des lettres brassées en abondance, n’oublions pas qu’il s’agit au départ d’un roman épistolaire), ni gâcher le plaisir de la découverte, décrivons tout de même la scène ultime. Lorsque le rideau se lève sur le dernier tableau, les rayonnages sont soudain vides, ce qui provoque un choc intense (on pense notamment à la Bibliothèque de Weimar qui a subi un incendie dévastateur il y a vingt ans) ; Werther est allongé sur une montagne de livres en désordre, comme sur un bûcher ou un autodafé dont les flammes seraient absentes. Cette mer de volumes abîmés évoque une sublime décharge ou une scène de naufrage. L’émoi est à son comble.

© Andreas Kremper

On sait Robert Carsen excellent directeur d’acteurs. Son talent est une nouvelle fois confirmé ici, chacun des interprètes de cette tragédie étant juste dans ses moindres gestes. Cette adéquation toute en finesse aux riches panels de sensations exposées se retrouve dans chacune des voix, qui déploient des trésors d’émotions des plus intenses. Quel magnifique plateau vocal nous avons là ! Celui qui emporte tous les suffrages est bien évidemment le plus excessif, le plus exalté, le plus fougueux et le plus extrême, à savoir Werther. Jonathan Tetelman, dont Charles Sigel a tout récemment célébré les qualités avec enthousiasme à l’occasion de la sortie de son nouveau disque, est décidément un ténor phénomène que tout le monde va s’arracher. Son physique de jeune premier bien découplé en fait un héros romantique cependant bien intégré au monde contemporain, ce qu’accentue encore le choix des costumes fait par Luis F. Carvalho. Si l’ample scène du Festspielhaus souffre d’un défaut de projection sonore optimisée quand le décor est sobre et dépouillé si les chanteurs s’éloignent de la rampe, ce qui absorbe littéralement le son, la puissance d’émission du jeune homme est exceptionnelle et on l’entend très distinctement, d’autant que sa prononciation du français est excellente. Son « Pourquoi me réveiller » a pu faire trembler les fondations du bâtiment (ou au moins déclencher les ovations éperdues du public). À ses côtés, Kate Lindsey campe une Charlotte d’une intensité rare qui déploie une palette de sentiments d’une richesse foisonnante, donnant ainsi une profondeur toute particulière à son personnage dont ressort avec superbe les sentiments réfrénés qui explosent enfin, dans des harmoniques de toute beauté. Si leur rôle se cantonnent à faire valoir leurs partenaires, le binôme formé par Sophie et Albert marque les esprits, tant leur présence se fait vive. Elsa Benoit est délicieuse, gaie, d’une fraîcheur juvénile que la voix illumine, avec une surprenante maturité. Les sentiments qu’elle pourrait éprouver pour Werther n’en sont que plus émouvants. Le baryton Nikolai Zemlianskikh exprime toute la noblesse de caractère, mais aussi la jalousie sourde d’Albert, avec autorité et force. Les autres comprimari donnent toute satisfaction. À souligner la très belle présence des enfants du Cantus Juvenum Karlsruhe, de très haute qualité.

© Andreas Kremper

À la tête du Balthasar-Neumann-Orchester, Thomas Hengelbrock se montre parfaitement à l’aise avec le répertoire de Massenet. Chacun des pupitres vibre à l’unisson avec les chanteurs. Les dernières mesures accompagnent une vision du plateau où les figurants semblent prêts à se faire sauter le caisson, imitant le geste de Werther, à l’image de ce qui semble s’être passé après la publication du roman, marquée par une vague de suicides. Le spectateur, lui aussi, s’identifie aux héros malheureux de cette tragédie extrême. Mais la fonction cathartique de l’œuvre joue à plein, transcendée par l’émotion rare que nous venons de vivre. Comme le dit Werther : « Pourquoi ces larmes ? Crois-tu donc qu’en cet instant ma vie est achevée ? Elle commence, vois-tu bien ! » On sort, puisqu’il « faut nous séparer », habités par ce spectacle dont on sait qu’il nous accompagnera longtemps, réconciliés avec l’opéra (quand bien même il le faudrait) et la vie… Et comment oublier tous ces livres puisque, comme le disait Alain Resnais, la bibliothèque, c’est « toute la mémoire du monde ».

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Musique de Jules Massenet
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Première représentation à Vienne le 16 février 1892

Détails

Mise en scène
Robert Carsen
Décors
Radu Boruzescu
Costumes
Luis F. Carvalho
Lumières
Peter Van Praet
Chorégraphie
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Sophie
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Albert
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Le Bailli
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Baden-Baden, Festspielhaus

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