Après 25 ans d’absence, L’opéra de Rennes renoue brillamment avec l’ultime chef-d’œuvre de Mozart dans une version ludique où souffle un vent de joie et de fantaisie.
Sur un carrousel de fête foraine, les Trois Dames sortent tout droit des parapluies de Cherbourg, leur reine est une Calamity Jane survitaminée et les prêtres des émules de Star Trek. Dans cet univers très pop installé par Chantal de La Coste-Messelière – en charge de la scénographie et des costumes – Mathieu Bauer a su trouver un joli équilibre entre la féerie et la dimension initiatique, intellectuelle de la Flûte : le train fantôme et sa Gueule d’Enfer s’avèrent idéaux pour symboliser l’Oeuvre au noir que constituent les épreuves. Des ballons en bouquets accompagnent les Trois Enfants, soulignant leur dimension spirituelle… et servant de supports aux espiègles projections vidéos de Florent Fouquet. Pour illustrer le « Vivat Sarastro », celui-ci officie en grande pompe … à fabriquer des pommes d’amour. Ainsi le fruit de la connaissance se fait clin d’œil gourmand. Autant de références dont la métaphore est parfaitement lisible sans être trop appuyée.
Tout cela est enlevé et joyeux. Surtout, l’univers fonctionne de bout en bout, sans lassitude ni redite. Gourmand de mots, familier des patchworks artistiques, le metteur en scène introduit le Singspiel par un tour de piste des protagonistes présentés par Sarastro, Monsieur Loyal omniscient et bonhomme, incarné par le savoureux Nathanaël Tavernier aux graves sonores, aux aigus bien couverts.
Au cours de la soirée, différents dialogues commenteront l’action ou remplaceront l’air souvent coupé qui raconte l’histoire des parents de Pamina et du Sonnenkreis. S’ils n’apportent pas énormément à une œuvre déjà parfaitement cohérente, ils sont amusants et actualisent le propos, comme l’autorise la tradition de la musique légère.
Le metteur en scène vient du monde du théâtre et a dirigé le CDN de Montreuil pendant dix ans. Nous avions déjà pu apprécier son talent dans The Rake’s Progress en 2022-23, une production qui avait remporté le prix du meilleur spectacle lyrique en région décerné par le syndicat professionnel de la critique. Formidable directeur d’acteur, il rythme la soirée tambour battant permettant à chaque chanteur une implication scénique et émotionnelle d’une grande justesse.
Espiègle et touchant, Damien Pass est un merveilleux Papageno au timbre idéal. Truculent et jovial il forme un duo de charme avec la magnifique Pamina d’Elsa Benoit. Le ruban fluide de son soprano ductile se moire de riches harmoniques pour dessiner une silhouette singulièrement émouvante.
Maximilian Mayer est en délicatesse avec les notes hautes dévolues à Tamino mais fait profiter le personnage du beau métal de son ténor lumineux. Bégayant d’abord face à la Reine de la nuit, il prend de l’assurance au fil des épreuves qu’il traverse, les yeux pleins d’innocence.
Face à lui, Florie Valiquette dégage une autorité vocale et et scénique qui font honneur à la Reine de la Nuit. Remplacée par Lila Dufy pour les trois premières représentations, seuls ses contre-fa limites rappellent sa convalescence.
Le ténor clair et rond de Benoît Rameau régale en Monostatos. Tout comme Amandine Ammirati en Papagena ou encore Thomas Coisnon et Paco Garcia, Élodie Hache, Pauline Sikirdji et Laura Jarrell composent Trois Dames d’excellente tenue – même si la seconde a un accent français à couper au couteau dans les passages parlés. Les Trois Enfants issus des rangs de la Maîtrise de Bretagne sont épatants, l’Ensemble Mélisme(s) à l’avenant.
Dans la fosse, Nicolas Ellis, nouveau directeur musical de l’Orchestre National de Bretagne, est au diapason de l’énergie communicative qui se dégage du plateau, avec des tempi très allants. Ses musiciens – en dépit de violons aux attaques un peu imprécises – nous entraînent dans un tourbillon allègre qui distille de subtiles nuances et des suspensions bienvenues dans une vision joliment personnelle, jamais pompeuse, de la partition.
Un spectacle délicieux, qui aura droit, espérons-le à une reprise, à découvrir au Théâtre Graslin de Nantes du 24 mai au 1er juin, à Angers les 16 et 18 juin prochains et gratuitement dans plus de soixante-dix villes de Bretagne et des Pays de la Loire participant à la onzième édition d’Opéra sur écran(s) le mercredi 18 juin à 20h.