Après une ouverture de saison à couper le souffle avec Traviata, l’Opéra Royal de Wallonie l’achève avec une autre affiche incontournable, Le Nozze di Figaro, toute aussi ambitieuse visuellement.
De son propre aveu, Jean-Romain Vesperini s’est inspiré de l’univers de Luis Buñuel pour donner corps à l’intrigue. Les costumes très réussis de Fernand Ruiz convoquent Belle de Jour ou le Journal d’une femme de chambre comme autant de contre-points sous-jacents à la satire sociale de Beaumarchais tandis qu’une tournette triple évoque les travellings, les jeux de contre-champ de l’écriture cinématographique.
L’intitulé de cette saison liégoise était « être et paraitre ». Comment mieux le donner à voir – en particulier dans les Nozze où tout n’est que faux-semblants et travestissement – qu’avec ce décor qui danse jusqu’au vertige, modifiant sans cesse les perspectives, changeant même en cours d’air pour mieux signifier le changement de point de vue, de sentiment du personnage. Le procédé mis en place par Bruno de Lavenère n’est pas seulement habile et remarquablement esthétique, il est également d’une singulière pertinence. Ainsi les espaces publics et intimes se trouvent-ils en perpétuelle reconstruction, dessinant les relations mouvantes entre les classes sociales.
On a connu des directions plus mozartiennes que celle de Leonardo Sini qui utilise néanmoins fort intelligemment les riches couleurs de l’orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie, mettant par exemple en avant le pupitre des vents pendant l’ouverture.
Enkeleda Kamani et Biagio Pizzuti dominent la distribution. Les fiancés partagent une autorité vocale et une fluidité scénique indéniables. La soprano campe une Suzanne vive et piquante aux timbre corsé et ductile dont les récitatifs sont très vivants et qui brille tout particulièrement dans « Deh vieni » aux nuances délicates.
Son Figaro bénéficie d’une voix nette, parfaitement connectée et projetée, généreuse sur toute la tessiture sans jamais manquer de subtilité.
Le couple des châtelains apparaît plus en demi-teintes avec de belles fulgurances mais de réelles fragilité. Mario Cassi bénéficie d’un indéniable charisme et d’un timbre rond et charpenté mais la justesse questionne. Fatigue vocale, peut-être, en tout cas les défauts relevés cet automne dans la prestation d’Irina Lungu en Violetta se retrouvent dans sa Comtesse dont le « Porgi Amor » laisse froid, manquant concrètement de liberté et d’harmoniques aiguës. Les duos, trios ainsi que « Dove Sono » emportent plus nettement l’adhésion. Dans ce second air, la soprano nous laisse profiter d’un récitatif touchant, d’une voix ample dont les finales s’avèrent parfois fragiles. Tous deux semblent avoir pâtis d’une direction d’acteur partiellement lacunaire qui a parfaitement réglé les ensembles – individualisés, superbes musicalement, nuancés, colorés à souhait – mais semble avoir laissé les chanteurs un peu livrés à eux-mêmes dans certains soli.

Du côté des adolescents, les airs sont joliment ornés et fort bien menés. Le ventre fort rond de Gwendoline Blondeel donne un éclairage imprévu – et assumé par la mise en scène – à sa Barbarina, toute de fraîcheur et de vivacité. Deux qualités partagées avec Chiara Tirotta en Cherubino. Quelle jolie idée, si simple, d’installer « Non so Piu » dans l’escalier en colimaçon pour dire son déséquilibre entre deux temps, son cheminement vers l’âge adulte.
Nous avions déjà eu le bonheur d’apprécier la séduction vocale et la veine comique de Lorenzo Martelli en Ernesto dans le DonPasquale de la Chighiana de Sienne l’été dernier. Il est ici inénarrable, si truculent en Basilio ! Aurore Daubrun, pour sa part, incarnait une flamboyante Flora en septembre dernier ; timbre riche et franc, bien couvert, elle est parfaitement convaincante en Marcelline même si la volonté de tirer tout son groupe de personnages vers la farce outre quelque peu inutilement son jeu. En cette matière Francesco Leone s’avère plus à son aise, pitre délicieusement ridicule autant en Bartolo qu’en Antonio. « La Vendetta » impose immédiatement une technique sûre aux beaux graves. Pour tout le gang des ridicules, aucune caricature dans le chant : nuances, finesse, écoute sont un délice.
Stefano Pace, dont le mandat vient d’être renouvelé à la tête de la Maison liégeoise, proposera l‘an prochain de multiples « hits » lyriques comme Faust, Cosi fan Tutte, Fledermaus, La Dame de pique ou encore Otello. Toutefois, quelques incursions seront plus inattendues avec le Chapeau de paille de Florence de Nino Rota, mis en scène par Damiano Michieletto en ou encore un Bartleby dû à Benoît Mernier en mai 2026, sur un livret de Sylvain Fort.