Du chêne sacré du temple d’Irminsul à la cathédrale Notre-Dame du Liban à Paris, le parcours de cette Norma est judicieux. D’abord parce que, bien que néo-gothique (Jules-Godefroy Astruc, 1893), l’édifice rappelle que Chateaubriand comparait la cathédrale gothique à une forêt pleine de mystère, propre donc à donner à ce prototype de l’opéra romantique un cadre à sa mesure. Ensuite, parce que cette église est réputée pour son acoustique, qui en a fait pendant la seconde moitié du XXe siècle le studio d’enregistrement de prédilection d’Erato.
Le concert de ce soir constitue un lourd challenge, tant la partition présente de difficultés. Pourtant, malgré nombre d’imperfections, on passe une excellente soirée, du fait de la lisibilité et de la clarté du propos musical. Bien sûr, l’orchestre sous la direction de Léonard Ganvert a connu des problèmes, et quelques pains, ici et là, on fait sourire. Mais il s’agit d’un orchestre de jeunes – voire très jeunes – élèves de conservatoires, alors il faut surtout parler de performance. Les chœurs de VociHarmonie auraient encore à travailler l’articulation, mais ils tiennent leur place avec assurance.
Gautier Joubert (Oroveso), Clémence Olivier (Adalgisa) et Catherine Manandaza (Norma) © Photo Jean-Marcel Humbert
Quant aux solistes, il y a les jeunes et les vétérans. De la première catégorie se dégagent Clémence Olivier, que l’on a jusqu’à présent plus souvent entendue dans Offenbach où elle fait merveille, et qui s’attaque avec aplomb à la version soprano du rôle d’Adalgisa. A l’opposé total des lourdes mezzo, elle apporte au rôle sa frêle silhouette et sa voix fraîche et musicale, qui se marie parfaitement avec celle de Norma, mais est parfois simplement emportée dans le flot de décibels émis par les deux rôles principaux. Il en ressort une personnification sensible et émouvante de la jeune prêtresse, rarement perceptible à ce point sur scène. L’Oroveso de Gautier Joubert, dont c’est la première apparition en tant que soliste, est encore brut de décoffrage, mais quelle belle voix pleine de promesses, à suivre avec intérêt. Les petites interventions de Julie Lempernesse (Clotilde) sont fort bien venues.
Moins de surprises du côté des deux personnages centraux. Daniel Gàlvez-Vallejo campe un Pollione pour une fois digne d’intérêt, avec une grande intelligence du texte et une belle qualité musicale. Sa voix légèrement barytonnante, d’une technique vocale exceptionnelle, le range d’emblée dans les meilleurs titulaires d’un rôle où ont brillé Corelli et Vickers. Catherine Manandaza, enfin, est Norma. Elle en a toutes les interrogations, les scrupules, l’autorité et la véhémence, elle a la voix du rôle, puissante et sans passage, avec de beaux son filés et de très jolies notes piquées dans le duo avec Adalgisa. Mais en même temps, sa technique est imprévisible, et parfois en délicatesse avec la justesse, ce qui ne fait d’ailleurs qu’ajouter à la fragilité d’un personnage souvent interprété d’un bloc, comme un roc. Les voix de tous les interprètes ont de plus l’intérêt de se marier parfaitement entre elles.