Un numéro spécial de L’Avant-Scène Opéra vient opportunément le rappeler : le héros de la rentrée parisienne s’appelle Robert Carsen. Certains y voient la consécration d’un consensus conservateur tant l’esthétisme et la lisibilité de son travail semblent destinés à séduire le plus grand nombre. D’autres, dont nous faisons partie, ne se lassent pas d’admirer sa capacité à renouveler la lecture d’une œuvre sans la trahir. Ainsi ces Contes d’Hoffmann dont les maintes reprises à l’Opéra de Paris n’ont pas usé la pertinence et la profondeur de vue. On ne reviendra pas sur l’intelligence d’une mise en scène qui joue du théâtre lyrique dans le théâtre lyrique, avec son formidable effet de travelling : le prélude situé dans le foyer du Palais Garnier, les actes d’Olympia sur le plateau, d’Antonia dans la fosse et de Giuletta dans la salle. On rappellera simplement la correspondance que tisse à bon escient Carsen entre Don Giovanni et Hoffmann ainsi que sa volonté de dessiner à travers le récit du poète une carte du tendre allant de l’amour fantasmé (Olympia) à la sexualité débridée (Giulietta) en passant par le romantisme le plus ardent (Antonia). Tout cela, on le perçoit avec acuité, que l’on connaisse ou non le livret. Le public ne paraît d’ailleurs pas ce soir des plus initiés, riant des cabrioles d’Olympia comme s’il les découvrait, n’hésitant pas, une fois échauffé par les vocalises de la Poupée, d’applaudir en plein milieu des numéros puis désertant la salle à la fin du troisième acte sans même attendre l’épilogue, croyant sans doute l’opéra terminé.
L’intérêt de cette reprise repose aussi sur une distribution largement renouvelée. Dans la discussion qui oppose opposants et partisans de Nicolas Joël, c’est la qualité des chanteurs réunis qui fera pencher la balance du côté des seconds. Routine que ces noms alignés comme des trophées : Secco, Koch, Aldrich, Archibald, etc. ? Non, artistes garants d’une qualité maison sur laquelle renâcler reviendrait à cracher dans la soupe. Le français de Stefano Secco est son talon d’Achille mais la vaillance, la ligne, l’endurance sont ceux d’un Hoffmann de premier niveau qui, par son lyrisme maîtrisé, n’est pas si éloigné de ce que pouvait proposer Alfredo Kraus dans le même rôle. La muse de Kate Aldrich n’a pas autant de puissance que ses partenaires mais on se laisse prendre par l’égalité et la plastique de la voix. Sophie Koch, superbe en Giulietta façon Rita Hayworth, crève l’écran scénique et sonore. L’Antonia d’Ana Maria Martinez rachète par le souffle et la nuance ce que le timbre peut avoir parfois d’astringent. Passé un Lindorf trop grave pour lui, Franck Ferrari compose un diable aussi intelligible qu’inquiétant, avec une sobriété bienvenue et un sol vainqueur posé comme un fanion sur « Scintille diamant ». Eric Huchet connaît Offenbach comme sa poche, Jean-Philippe Lafont aussi, lui qui fut au disque au début des années 80 un inénarrable Choufleuri. Jane Archibald passe tous les suraigus d’Olympia, orne le deuxième couplet de sa chanson, ainsi que la coutume l’impose désormais, et sans surprise l’emporte à l’applaudimètre.
Dans la fosse, Thomas Netopil, chef d’orchestre importé de Prague, réussit sans faire d’étincelles à dompter l’acoustique de Bastille. Mention enfin au Chœur de l’Opéra de Paris, conduit par Patrick Marie Aubert, qui participe ô combien à l’impression conclusive de qualité maison.
Version recommandée :
Offenbach: Les Contes d’Hoffmann | Compositeurs Divers par Sylvain Cambreling