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ROSSINI, Stabat Mater – Verbier

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Spectacle
31 juillet 2025
Miss Yoncheva fait pencher la balance

Note ForumOpera.com

3

Infos sur l’œuvre

Joseph Haydn (1732-1809)
Symphonie N° 49 en fa mineur Hob. I:49 « La Passione »

Gioachino Rossini (1792-1868)
Stabat Mater
Créé à Paris, salle Ventadour, le 7 janvier 1842

1. Stabat Mater dolorosa : solistes et chœur
2. Cujus animam gementem : solo ténor
3. Quis est homo : duo soprano et mezzo-soprano
4. Pro peccatis suæ gentis : solo basse
5. Eia, mater, fons amoris : solo basse et chœur a cappella
6. Sancta mater, istud agas : solistes
7. Fac, ut portem Christi mortem : solo mezzo-soprano
8. Inflammatus et accensus : solo soprano et chœur
9. Quando corpus morietur : solistes a cappella
10. In sempiterna sæcula : chœur

 

Détails

Sonya Yoncheva, soprano
Alice Coote, mezzo-soprano
Sunnyboy Dladla, ténor
Ludovic Tézier, baryton
Chœur de Chambre de Namur
Verbier Festival Chamber Orchestra
Domingo Hindoyan, direction musicale

Verbier Festival & Academy
Salle des Combins
28 juillet 2025, 18h30

 

 

 

Il suffit parfois d’un choix de distribution un peu erroné pour déséquilibrer un ensemble. Si les stars du lyrique ont le pouvoir magique de remplir les salles, elles peuvent avoir l’inconvénient de faire pencher la balance (sonore) de leur côté, pas forcément volontairement, mais parce que c’est leur nature. Sonya Yoncheva fait partie de ce club restreint. Le Stabat Mater de Rossini aurait sans doute été tout autre avec un soprano plus proche de l’esprit d’une œuvre, qui, disons-le à sa décharge, a pâti d’avoir été donnée au Verbier Festival deux jours après une sublime Messe en si mineur de Bach.

Les deux partitions ne jouent évidemment pas dans la même catégorie. Rossini écrit une œuvre religieuse, mais ne change pas sa nature, celle d’un compositeur d’opéra, et Verdi n’en agira pas autrement avec son Requiem. Ce choix de rester soi-même, de ne pas adopter une personnalité musicale d’emprunt, est plutôt gage de sincérité. Et d’ailleurs une spiritualité romantique à l’italienne émane comme en catimini de cette œuvre flamboyante.

Sonya Yoncheva © Sofia Lambrou

Le come-back d’un retraité

Dont la composition fut chaotique : Rossini l’avait écrite à demi en 1831, à la suite d’une commande, mais, malade, avait demandé à Giovanni Tadolini de compléter l’autre moitié. Un éditeur s’en était emparé, prétendant que le tout était de la main du maestro. De là quelques procès, à l’issue desquels Rossini, qui a posé sa plume miraculeusement féconde après Guillaume Tell et vit dans les délices sinon de Capoue, du moins du Boulevard, y revient, interrompant sa gastronomique retraite.

La création au Théâtre-Italien, installé alors à la salle Ventadour, va être un évènement bien parisien et triomphal, le 7 janvier 1842, d’autant que quelques-unes des têtes d’affiche du bel canto, Giulia Grisi, Mario, Tamburini, y participent sous la baguette de Louis-Antoine Julien, avec le chœur et l’orchestre maison.

Domingo Hindoyan © Sofia Lambrou

À Verbier, c’est Domingo Hindoyan qui dirige l’Orchestre de Chambre du Festival, à nouveau sur le pont deux jours après le chef-d’œuvre de Bach. Le rythme de travail au Verbier Festival & Academy a toujours été stakhanoviste pour les musiciens. Certains pupitres, de vents notamment, ont changé de titulaire, mais Daniel Cho est à nouveau concertmeister.

Haydn ou la surprise permanente

Ici une parenthèse sortant de notre domaine lyrique pour dire que la très belle symphonie la Passione de Haydn donnée en première partie aura été une nouvelle démonstration de la qualité de cet orchestre. Dirigée sans partition par le chef vénézuélien, futur directeur musical de l’opéra de Los Angeles, c’est une œuvre étonnamment sombre, tardive (1790), très Sturm und Drang d’esprit, où l’on admire dans un premier mouvement adagio presque funèbre le velouté des cordes sous des archets caressants.

De cette gravité songeuse que Domingo Hindoyan fait respirer avec beaucoup de souplesse, il passe à la course ardente de l’allegro di molto, tout en nerfs et en changements de dynamique, en coups de boutoirs surprenants (Haydn ou la surprise permanente), ombragé par deux beaux cors au lointain. Il anime la conversation musicale entre les pupitres de cordes du troisième mouvement, un Menuetto triste avec élégance, qu’interrompt un Trio bonhomme, mais non moins mélancolique. Enfin le Presto final, nerveux et urgent, semble pressentir l’arrivée d’un nouveau monde.

La Révolution est survenue à Paris. Haydn en sent-il les ondes arriver jusqu’à Esterhaza, en tout cas il y a de l’inquiétude dans la sécheresse de ce dernier mouvement, qui semble courir vers on ne sait quoi.

Les quatre solistes et le chef © Sofia Lambrou

Et d’ailleurs le prélude orchestral du Stabat Mater, sombre, inquiet, semblera dans le droit fil de cette gravité. Les quatre voix solistes viennent se poser sur les longues lignes angoissées du chœur, qu’interrompent de lancinants appels de cuivres appuyés sur les timbales. La direction de Domingo Hindoyan, très ample, solennelle, souligne l’austérité, la majesté, de cet incipit. Le Chœur de Chambre de Namur y est à nouveau admirable de ferveur et de cohésion. En accord avec un chef inspiré, soulignant la noblesse de cette musique, qui semble se souvenir de Mozart, celui de Don Giovanni ou du Requiem. Dès les premières notes du quatuor de solistes, on aura remarqué la grande voix de Sonya Yoncheva, très large, et sa tendance à prendre l’avantage sur ses partenaires…

L’esprit du bel canto romantique

On attend évidemment au tournant le ténor dans le célèbre Cujus animam. Le ténor sud-africain Sunnyboy Dladla n’a pas une très grande voix, mais si la puissance lui manque quelque peu pour une salle aussi grande et à l’acoustique peu gratifiante, en revanche il a un ravissant timbre de ténor di grazia, et une technique belcantiste, proche de celle du ténor Mario, créateur de la partition, une des grands vedettes du Théâtre-Italien, qui chantait en falsettone.
Au moment de la création, Gilbert Duprez venait de révolutionner le chant en poussant un ut de poitrine tonitruant dans l’air « Asile héréditaire » de Guillaume Tell en 1837, semant le désarroi chez les Nozzari et Rubini et autres virtuoses du belcanto romantique, comme était Mario. Sunnyboy Dladla use de cette technique ancienne retrouvée et joue avec art de la voix mixte, d’où un contre-bémol final comme allégé, très musical, et non pas athlétique. Pour ne rien dire de son cantabile, de la ductilité de la ligne musicale ou de la lumière que dégage son timbre. De l’élégance de ce chant romantique retrouvé.

Sunnyboy Dladla © Sofia Lambrou

D’un autre monde musical

Par contraste, l’intervention de Sonya Yoncheva dans le Quis est homo, duetto pour soprano et alto, semble appartenir à un autre monde musical. La voix est d’une puissance et d’une projection saisissantes avec des couleurs de grand soprano dramatique, qui l’approchent trop du timbre d’Alice Coote, et son tempérament de feu la pousse vers des fortissimos un peu intempérants, qui couvrent la voix de sa voisine, dont la technique vocale est tout autre. Surtout ce timbre et cette émission en force semblent appartenir au monde d’un certain Verdi, voire à l’univers vériste. Giulia Grisi, créatrice de l’œuvre était un soprano dramatique colorature, célèbre pour l’agilité de ses ornementations. Et on peut penser que Rossini avait en tête un esprit musical différent et un dialogue tout autre pour ce duo qui pourrait être un extrait d’opéra.

Alice Coote © Sofia Lambrou

Tézier en toute noblesse

Annoncé à grands renforts de trombones impressionnants, le Pro peccatis fait entendre un Ludovic Tézier impressionnant de grandeur et de simplicité, dans une partition qu’il aborde pour la première fois. La ligne est aussi superbe de tenue que la voix est solide, et l’entente parfaite avec le chef qui laisse la musique respirer avec naturel, avec ses pleins et ses déliés, son legato et sa noblesse.
À cette aria s’enchaîne l’Eja, Mater, la page la plus singulière du Stabat Mater, mettant toujours en avant le baryton qui dialogue avec le chœur : on entend d’abord les voix d’hommes a cappella, puis la voix du soliste lançant son Fac ut ardeat cor meum, et échangeant avec les voix de femmes. La page surprend par son invention, complètement libre puisque l’orchestre se tait toujours et n’impose pas une stricte mesure. Ludovic Tézier y est d’une sobriété totale, en grand diseur qu’il est. Étonnant moment d’un Rossini essayant des choses qu’il n’a jamais encore tentées.

Sonya Yoncheva, Alice Coote, Domingo Hindoyan © Sofia Lambrou

Opératique sans complexes

Le tempo bondissant du quartetto, Sancta Mater, n’est pas sans rappeler la désinvolture de la Petite Messe solennelle. C’est une manière de cabalette à quatre, lancée par la voix solaire du ténor et qui verra dialoguer les quatre voix dans une paradoxale prière (le ténor chante par exemple : « Exauce-moi , ô Sainte Mère, / Et plante les clous du calvaire / Dans mon cœur profondément »). L’équilibre des quatre solistes s’établit beaucoup mieux ici, et même si la voix du soprano, par sa nature même, a tendance à « avancer », le morceau, opératique à souhait et dont la musique semble contredire les paroles sans complexe, fonctionne bien, tenu d’une main aimable par Domingo Hindoyan.

Autre belle page, et qui éclaire la spiritualité particulière de Rossini, qui transparaît derrière son langage coutumier, le Fac ut portem, dévolu au mezzo-soprano, une page à l’écriture assez tendue, avec des sauts de notes importants, écrite assez haut (jusqu’au sol dièse), dans une tessiture où Alice Coote est sans doute moins confortable que dans son dernier air de la Messe en si mineur, si magistral. Mais on y retrouve son autorité, sa tenue de ligne imperturbable, et surtout cette intensité dramatique qui lui est naturelle, ce timbre persuasif et troublant.

Domingo Hindoyan © Sofia Lambrou

Un peu trop, décidément

En revanche, l’Inflammatus et accentus verra Sonya Yoncheva retomber dans ses travers. Encouragée peut-être par les trompettes et les trombones de l’introduction, elle montera tout de suite sur ses grands chevaux, lançant des sons agressifs et cinglants, d’un style exotique et incongrus dans une telle œuvre, certes impressionnants, mais d’une extraversion hors contexte. La page est grandiose et Domingo Hindoyan soulève le Chœur de Chambre de Namur, d’une plénitude et d’une puissance formidables à l’instar de l’Orchestre de Chambre, lui aussi monumental. Dommage qu’il n’incite pas le soprano, son épouse à la ville, à s’intégrer à l’ensemble plutôt qu’à rivaliser avec lui.

Est-ce pour se faire pardonner, elle se fera discrète dans un autre passage a cappella, le Quando corpus morietur, fusionnant sa voix avec celles de ses trois partenaires, dans une page étonnamment moderne, d’une spiritualité très intériorisée, une méditation sur la mort, lancée par le baryton, écrite en canon, où les quatre solistes, s’écoutant les uns les autres et dirigés d’une main légère par Domingo Hindoyan, sembleront habités par la même gravité.

© Sofia Lambrou

Le finale, spectaculaire et triomphant, impeccablement fugué par un Rossini qui semble avoir étudié son Haendel, mais interrompt l’élan par un passage suspendu qui semble annoncer le Mors stupebit de Verdi, s’achèvera par un Amen, à grands renforts de roulements de timbales et de trombones déchaînés, déclenchant des applaudissements nourris (il est fait pour ça), mais n’empêchera pas de laisser l’auditeur sur une impression mitigée, avec le sentiment d’être passé à côté de la grande version qu’on aurait aimé avoir aimée…

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Joseph Haydn (1732-1809)
Symphonie N° 49 en fa mineur Hob. I:49 « La Passione »

Gioachino Rossini (1792-1868)
Stabat Mater
Créé à Paris, salle Ventadour, le 7 janvier 1842

1. Stabat Mater dolorosa : solistes et chœur
2. Cujus animam gementem : solo ténor
3. Quis est homo : duo soprano et mezzo-soprano
4. Pro peccatis suæ gentis : solo basse
5. Eia, mater, fons amoris : solo basse et chœur a cappella
6. Sancta mater, istud agas : solistes
7. Fac, ut portem Christi mortem : solo mezzo-soprano
8. Inflammatus et accensus : solo soprano et chœur
9. Quando corpus morietur : solistes a cappella
10. In sempiterna sæcula : chœur

 

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