Quelle joie de retrouver cette production de Rusalka mise en scène par Robert Carsen ! Créée à Paris en 2002 puis reprise en 2005 et 2015, elle revient cette saison pour la troisième fois sur la scène parisienne. Comme l’écrivait alors Laurent Bury, « Ces magistrales variations sur l’idée de reflet et de symétrie ont gardé toute leur magie et toute leur beauté » et « l’on reste fasciné par le jeu des doubles » , celui du monde fantastique des nymphes et des ondines et celui du monde réel, celui de la nymphe Rusalka douée de parole et de son incarnation humaine muette.
Au bonheur de retrouver une production élégante, épurée et respectueuse du livret, ce qui devient l’exception à l’Opéra de Paris, s’ajoute celui d’entendre une distribution de grande qualité puisqu’elle réunit Karita Mattila, Klaus Florian Vogt et Camilla Nylund sous la baguette de la chef Susanna Mälkki.
K.F. Vogt, K. Mattila, C. Nylund, T.J. Mayer © Guergana Damianova
Le premier acte laisse pourtant un goût d’inachevé. Camilla Nylund est une musicienne accomplie au timbre plaisant mais qui manque de projection dans le medium. Semblant hélas égarée dans l’immensité de Bastille, son interprétation de Rusalka en pâtit, surtout lors de l’Ode à la lune. Musicalement irréprochable, elle ne parvient pas à émouvoir son auditoire. Il faudra attendre la fin de l’acte 2 pour que la soprano finlandaise commence à réellement incarner son personnage et se métamorphose lors du final, où, portée par l’orchestre et son partenaire, elle s’avère particulièrement émouvante.
Klaus Florian Vogt quant à lui déploie dès les premières notes son timbre lumineux qui sied à merveille à la fraîcheur juvénile du Prince. La ligne de chant est parfaitement tenue tout au long de l’œuvre et son interprétation finit en apothéose lors du duo final, sublimé par l’orchestre.
On en oublierait son écart avec la séductrice Princesse Etrangère de Karita Mattila. Le timbre est toujours saisissant, les aigus toujours somptueux mais le medium a un peu perdu sa flamboyante couleur mythique.
Face à l’Ondine, Michelle DeYoung campe une Jézibaba inquiétante et cruelle et Thomas Johannes Mayer un père torturé par le sort de sa fille. Son air « Pauvre, pauvre Rusalka » est indéniablement le moment le plus déchirant de la soirée.
Le trio des nymphes de l’acte 3 est remarquable : les voix charnues d’Emanuela Pascu, Andreaa Soare et Elodie Méchain se mêlent harmonieusement à la dentelle orchestrale de Suanna Mälkki.
Très attentive aux chanteurs et veillant à ne jamais les couvrir, la chef finlandaise propose une direction élégante, précise et poétique de l’œuvre de Dvořák mais sans toutefois parvenir à embraser la fosse lors des passages chantés de l’acte 1. A partir de l’acte 2, les couleurs chatoyantes de la partition commencent à animer l’orchestre, et plus seulement dans les traits symphoniques. L’équilibre de la délicatesse et de la puissance de la matrice orchestrale est atteint lors du dernier acte.
Au final, une soirée d’une grande élégance musicale dont l’émotion se distille crescendo tout au long de la représentation.