Il y a des soirs comme ça où l’opéra, ça parait simple : prenez de bons chanteurs, un orchestre en forme, un chef plein d’allant, une mise en espace digne et sobre et n’était-ce la salle aux trois-quart vide pour cause de Coronavirus, l’expérience serait exquise. La mise en espace d’Olivier Fredj, prévue pour la captation vidéo est un modèle du genre : elle est traditionnelle sans être didascalique, elle est moderne sans être abrasive et dans ce grand plateau vide elle se concentre sur la direction d'acteurs dans un dispositif élégant.
La star de la soirée, c’est le ténor Jonathan Tetelman, sorte de Franco Corelli qui aurait mangé du Jonas Kaufmann au petit déjeuner. Chant ample et rayonnant, d’une facilité presque nonchalante de la cave au plafond et qui – en plus – se prélasse dans des pianissimi d’une grâce soyeuse. À côté de cette bête de scène, comment exister ? Joyce El-Khoury a trouvé la parade : assumer crânement son rôle des graves du I à l’aigu victorieux du III tout en incarnant une Tosca humaine, sans chichis ni radadas, moderne mais jalouse et belle en scène jusqu’à son improbable mort (on ne spoile pas) qu’elle rend émouvante.
Le Scarpia de Gevorg Hakobyan est très très méchant et très très roué. Il se trouve qu’il est également très très sonore, ce qui le situe dans la bonne tradition des Scarpia-colonne-de-son, brute épaisse pre-#MeToo qui ne vole pas son coup de couteau à beurre dans la vésicule biliaire. C’est grand plaisir que ce chant généreux. Notons au passage un Patrick Bolleire, plus Jochanaan-hirsute que dissident moribond, une apparition sympathique de Luca Lombardo en Spoletta de luxe et un pasteur comptant triple, interprété par trois jeunes filles justes et émouvantes.
Reste la question de l’Orchestre National de Lille, sous la direction de son chef Alexandre Bloch. Dans la composition de salle Corona-friendly, les musiciens occupent le parterre, ce qui est fatal pour les quelques spectateurs qui souffrent d’une dynamique sonore contrariée, façon Mondrian. En réalité, depuis le troisième balcon, il est difficile de se faire une idée précise du travail des musiciens. Les timbres tourbillonnent dans tous les sens. Mais le spectacle, rappelle Caroline Sonrier, est conçu pour la télévision. Gageons que les micros seront de meilleurs témoins que nous oreilles mal placées. Ces réserves, assurément, disparaîtront sur petit et grand écran pour faire place à l’incroyable vista des musiciens qui emballent ce drame avec une fulgurance qui humecte le fond des yeux.
____
A voir jusqu'au 10 juin 2020 sur la chaîne youtube de l'Opéra de Lille
Mélodrame en trois actes
Livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica d'après la pièce de Victorien Sardou
Création le 14 janvier 1900 à Rome, Teatro Costanzi
Mise en espace
Olivier Fredj
Lumières
Nathalie Perrier
Floria Tosca
Joyce El-Khoury
Mario Cavaradossi
Jonathan Tetelman
Scarpia
Gevorg Hakobian
Cesare Angelotti
Patrick Bolleire
Spoletta
Luca Lombardo
Sciarrone
Matthieu Lécroart
Le sacristain
Frédéric Goncalvez
Le geôlier
Laurent Herbaud
Chœur de l'Opéra de Lille, Jeune chœur des Hauts-de-France
Chefs des chœurs
Yves Parmentier, Pascale Diéval-Wils
Orchestre National de Lille / Région Hauts-de-France
Direction musicale
Alexandre Bloch
Lille, Opéra, 29 mai 2021, 18h00
VOUS AIMEZ NOUS LIRE…
… vous pouvez nous épauler. Depuis sa création en 1999, forumopera.com est un magazine en ligne gratuit et tient à le rester. L’information que nous délivrons quotidiennement a pour objectif premier de promouvoir l’opéra auprès du plus grand nombre. La rendre payante en limiterait l'accès, a contrario de cet objectif. Nous nous y refusons. Aujourd’hui, nous tenons à réserver nos rares espaces publicitaires à des opérateurs culturels qualitatifs. Notre taux d’audience, lui, est en hausse régulière avoisinant les 160.000 lecteurs par mois. Pour nous permettre de nouveaux développements, de nouvelles audaces – bref, un site encore plus axé vers les désirs de ses lecteurs – votre soutien est nécessaire. Si vous aimez Forumopera.com, n’hésitez pas à faire un don, même modeste.
Après avoir dominé la scène baroque pendant plus d’une décennie, Véronique Gens s’est établie une solide réputation à l’international et est aujourd’hui considérée comme l’une des meilleures interprètes de Mozart.
© 2018 - Mentions légales - Tous droits réservés - Publicité - Site réalisé par Damien Ravé