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LE MAGAZINE DE L'OPÉRA ET DU MONDE LYRIQUE

 

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LAIDEURS DE L’OPERA


Nos lecteurs – et Dieu sait tout l’amour que je leur porte – ne se rendent pas compte. Lorsqu’ils lisent avec ardeur les chroniques de nos collaborateurs, ils les découvrent ornées de photographies du plus bel effet. Couleurs moirées et lumières tamisées, ces photos laissent à penser que si Forum Opéra était une revue imprimée, elle le serait sur papier glacé, avec lettrage ancien, et comporterait aussi une rubrique sur les voitures de luxe et les cigares cubains. Las ! Il faut au choix de ces illustrations le savoir-faire unique d’une femme au doigté savant : lorsque du spectacle dont il est question il n’existe que des photographies médiocres, Lou (car c’est elle) y substitue le portrait posé de l’artiste principal. Ainsi, nous n’avons pas droit aux quatre molaires du fond de la Garanca, mais à une Elina détendue, admirablement coiffée et blonde, toute vêtue de Yamamoto, les yeux profonds comme des lacs.

Tout autre est l’expérience que nous offrent nos amis des revues d’opéra. En France, en Angleterre, en Italie, en Allemagne, c’est la consternation et la nausée qui attendent le lecteur innocent au détour de chaque page.

Prenons un récent numéro de telle revue étrangère dont je ne citerai pas le nom par charité. Lorsqu’il s’agit de nous parler d’une production d’Aida dans tel théâtre de province, faut-il vraiment faire paraître cette photo où le ténor, saisi en pleine décomposition maxillaire, tente de faire passer ce que l’on pense être une note aiguë sous le halo dévastateur d’un spot violet se reflétant impitoyablement dans la perruque rousse dont un costumier paresseux a affligé le pauvre homme, déjà peu gâté par une Dame nature malicieuse ? Faut-il véritablement nous rappeler que pendant quelques dixièmes de seconde, Amnéris a ouvert un œil et fermé l’autre, cependant que ses mains se posaient (par réflexe ?) sur sa poitrine généreuse et l’écrasaient spectaculairement, et où ses lèvres esquissaient une moue offrant une ressemblant frappante avec celle de Ugo Tognazzi dans La Cage aux Folles, moustache comprise, ou bien avec les grimaces de la grande Zaza lorsqu’elle a trop bu de Campari ?

Prenons ce Faust d’un théâtre d’importance. Certes, il y a quelque vision de carnaval dans les partis pris de mise en scène et de décor. Mais cette lumière jaune qui baigne le visage d’un Méphisto mafflu et fait valoir le dégoulinement pathétique de son rimmel vaut-elle la peine d’être immortalisée ? Quant à ce Faust aux cheveux gras et à la barbiche méchamment taillée, fallait-il nous rappeler qu’il portait ce soir là une jupette de papier crépon vert seyant mal à sa taille épaisse, moins mal toutefois que l’espèce de pourpoint doré épousant le moindre rebond de son poitrail d’eunuque ? La sueur luisant au long des replis de son menton ne nous inspire guère plus de goût que les froissures de la longue robe mauve d’une Marguerite qui ne doit pas beaucoup rire de se voir en ce miroir, affublée de verroteries infâmes et de bouclettes roses rappelant en pire les plus beaux moments capillaires de Sue Ellen.

Non certes, cette débauche de mauvais goût, de tape-à-l’œil et de kitsch n’est pas d’hier. Il n’est qu’à lire le dossier consacré dans cette même revue à Alfredo Kraus. Le voici qui, d’outre-tombe, nous réapparaît cintré dans des tuniques dont même Pippo Baudo ne voudrait pas à San Remo, et gainé de collants dont on se demande s’ils n’expliquent pas partiellement la légendaire facilité d’aigu de notre ténor.

Cette revue a en outre la redoutable particularité d’offrir des pages de publicité à des chanteurs soucieux de communiquer au public attentif et aux directeurs de théâtre en déshérence leur planning des prochains mois. C’est ainsi que quelques illustres inconnues imposent en pleine page la déroute de leur mise en pli, la multiplication affolante de leurs ridules accentuée par la crudité d’un éclairage amateur et les plâtrages hasardeux de terracotta assassine, non sans faire valoir au passage les travaux de rénovation effectués par quelque dentiste approximatif basant son travail sur une étude attentive de la denture chevaline. Encore n’est-ce pas grand-chose comparé à l’exposition de son corps que nous propose une basse d’Europe centrale, dont la poitrine velue est certainement supposée attester qu’il possède de beaux graves, et dont la profusion de chaînes, chaînettes, bracelets est sans doute censée entraîner l’imaginaire du directeur de théâtre vers les bas-fonds de fantasmes bon marché, promesse de bonheurs non strictement vocaux, mais toujours bons à prendre les soirs de relâche.

Pour couronner le tout, ladite revue – mais en son genre, elle n’est qu’un exemple, hélas, non une exception – offrait récemment au lecteur un calendrier 2007 composé des plus belles photographies des productions 2006. Dire que le calendrier de la Poste consacré à la vie des marmottes et des lapins en milieu alpin ressemble, en comparaison, à une exposition de Man Ray à la Tate Gallery, c’est peu dire, tant la laideur des couleurs le disputait, dans ce calendrier, à l’inadéquation des cadrages et à la repoussante horreur des postures et des expressions physiques. Pour utiliser ce calendrier sans sourciller de janvier à décembre, il faut faire partie de ces gens qui trouvent à Freddy Mercury un charme désuet et dandy, ou qui ne font pas la différence entre Le Caravage et un tag baveux sur le mur de la station République.

Ah ! Décidément ! Nos lecteurs ne se rendent pas compte !

Sylvain Fort
Rédacteur en chef

 
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