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VERDI, Falstaff — Lyon

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Spectacle
12 octobre 2021
Falstaff peut-il être mince ?

Note ForumOpera.com

2

Infos sur l’œuvre

Opéra en 3 actes
Musique de Giuseppe Verdi
Livret d’Arrigo Boito d’après Les Joyeuses commères de Windsor de William Shakespeare
Créé à la Scala de Milan, le 9 février 1893

Détails

Mise en scène
Barrie Kosky
Scénographie, costumes
Katrin Lea Tag
Lumière
Franck Evin
Dramaturgie
Olaf A. Schmitt

Sir John Falstaff
Christopher Purves
Ford
Stéphane Degout
Fenton
Juan Francisco Gatell
Mrs Alice Ford
Carmen Giannattasio
Mrs Quickly
Daniela Barcellona
Nannetta
Giulia Semenzato
Mrs Meg Page
Antoinette Dennefeld
Dottore Cajus
Francesco Pittari
Bardolfo
Rodolphe Briand
Pistola
Antonio di Matteo

Chœur et Orchestre de l’Opéra de Lyon
Chef de chœur
Anass Ismat
Direction musicale
Daniele Rustioni

Opéra de Lyon

Samedi 9 octobre 2021, 20h00

Prochaines représentations :

11, 13, 15, 17, 19, 21, 23 octobre 2021

Oui, Falstaff peut-il être mince ?  C’est la question qu’on se pose en voyant la mise en scène de Barrie Kosky, qui est reprise pour huit représentations à l’Opéra de Lyon après avoir été créée à Aix-en-Provence l’été dernier (et qui sera ensuite donnée au Komische Oper de Berlin puis au Bolshoi de Moscou, mais avec une toute autre distribution). Christophe Rizoud avait dit ici sa réticence et on voulait voir si on était du même avis que lui (la réponse est oui).

Le parti pris de Barrie Kosky, c’est que Falstaff n’est pas le client de l’Auberge de la Jarretière à Windsor, mais son cuistot-tenancier. Dont l’amour de la vie  se manifeste sous la forme de l’amour de la chère autant que de la chair. Le premier tableau le montre le couteau à éplucher à la main face à une montagne de légumes, et on verra tout à l’heure qu’il est cul nul sous son tablier. Il soulèvera son Marcel pour montrer son torse et son ventre et on constatera qu’il n’est même pas enveloppé.

Sans ventre donc et hors sol : le décor (?) n’est situable ni dans le temps ni dans l’espace. Des panneaux recouverts d’un papier-peint à motifs verts, genre azulejos. Au-dessus de ces motifs les panneaux sont d’un morne gris-beige jusqu’aux cintres. Toute référence à l’époque élisabéthaine a, faut-il le dire, été jetée à la Tamise.


Christopher Purves © D.R.

Christopher Purves voici quelques années chantait le même rôle à Glyndebourne dans un énorme costume-édredon, avec faux triple-menton, fausse bedaine, cuisses énormes et démarche à l’avenant. Ici délesté de tous ses bourrelets, il pourra sautiller, gambader, gesticuler tout son saoul et davantage encore. Gestique évoquant la commedia dell’arte, de même que celle de ses complices-valets-hommes à tout faire, Bardolfo et Pistola, et du docteur Cajus qui vient se plaindre d’avoir été molesté par eux. Scène d’ouverture qui donne le ton d’emblée : ce sera agité, excessif, burlesque.

Le Falstaff conçu par Boito et Verdi est un gros vieux bonhomme concupiscent, ivrogne, mais finalement touchant de suffisance et de naïveté, gardant d’un beau passé militaire une manière de grandeur, des airs importants assez ridicules, une candeur de vieil enfant. Celui de Barrie Kosky est un ludion survolté, un lapin Duracell à la pile inusable.
Le problème, c’est que le personnage vocal passe à l’as en même temps que le surpoids. Plus de rondeur vocale non plus. Et l’ombrageux monologue, « L’onore », tellement amer, sera quasi escamoté, comme seront escamotés d’autres moments délicieux du rôle, le grandiose « Va, vecchio John, va per la tua via », ou l’aérien « Quand’ero paggio del Duca di Norfolk, ero sottile, sottile, sottile…. – J’étais mince, mince, mince… », tous ces moments qui donnent de l’humanité au personnage, en suggèrent la noblesse, certes déchue et décrépite, derrière la bouffonnerie. Et on aura constamment l’impression que Christopher Purves choisit de surjouer, pour ne pas dire cabotiner, pour estomper une méforme vocale et un timbre en berne.


© D.R.

Mais il n’est pas seul à s’agiter : les quatre dames, costumées en desperate housewifes, courent dans tous les sens, et une bonne partie de la marqueterie musicale de Verdi, les ensembles virtuoses qu’il leur réserve sembleront claudicants et mal fichus, la responsabilité en incombant sans doute à Daniele Rustioni qui privilégie lui aussi la vitesse, le tonus d’ensemble, plutôt que le détail. L’opéra, c’est la fusion du chant et du théâtre. On a l’impression que le chant est ici un peu sacrifié au profit d’une verve artificielle.

Peut-on chanter à la perfection et jouer la comédie en même temps ? Oui, on le peut, et on en a la preuve avec le triomphateur de la soirée : Stéphane Degout compose un Ford d’anthologie. Ligne vocale impeccable, phrasé idéal, puissance et superbe de la voix, richesse du timbre (et ce si joli mélisme sur le mot madrigal)…. Et en même temps netteté du geste, déplacements en rythme, ironie, et un sens du comique d’autant plus étonnant qu’il y a quelques jours on le voyait dans un récital de lieder et de mélodies où il était d’une gravité, d’une austérité, d’une minéralité inébranlables). Pas d’agitation chez lui, juste un timing à la Chaplin. Son apparition en costume blanc, sous l’apparence du signor Fontana, parodie mi-mafioso mi-danseur mondain, avec perruque noir corbeau et moustache calamistrée, est particulièrement réjouissante. Sa grande scène avec Falstaff mérite à elle seule le voyage, d’autant que le monologue qui la suit, est d’un ton résolument différent… « E sogno, o realtà ? » Sa perruque rageusement arrachée, c’est un sombre désespoir qui éclate jusqu’à culminer de façon saisissante sur le mot gelosia. Derrière le personnage ridicule, il y a le malheur d’un homme, et cette ambiguïté, c’est tout Verdi.


Stéphane Degout © D.R.

On connaît l’intrigue : plus un penny en bourse, l’idée vient à Falstaff de courtiser deux dames de Windsor, richement mariées, et de surcroît de donner sa fille Nanetta en mariage au cacochyme Docteur Cajus. Cette entreprise entraînera une double offensive des femmes : contre Falstaff et contre leurs maris. Alice Ford et Meg Page enverront la robuste Mrs Quickly en entremetteuse pour tendre un piège au vieux bonhomme. C’est le fameux Reverenza, où Daniella Barcelona est très drôle dans un rôle qu’elle a chanté déjà dans plusieurs productions, elle que sa voix porte à chanter plutôt les Ulrica, Amneris ou Eboli. Mais on pourrait souhaiter un peu plus de soin au chant proprement dit, très sacrifié au jeu théâtral, et on en dirait autant de Carmen Giannattasio (Alice Ford) ou Antoinette Dennefeld (Meg Page). Mention particulière à Giulia Semenzato (Nanetta) au joli timbre plein de lumière (notamment dans « Sul fil d’un soffio etesio » , au dernier acte), et à Juan Francisco Gattel au phrasé belcantiste. Si Rodolphe Briand, comédien-chanteur, bouffonne sans complexe, de même que Francesco Pittari (Cajus) – mais il vrai que Verdi ne leur laisse que la portion congrue, on remarque le puissance  et les graves d’Antonio di Matteo (Pistola).

Barrie Kosky ne manque pas de talent ni de savoir-faire. On a récemment dit ici le plus grand bien de son Rosenkavalier de Munich, sans parler de ses Meistersinger de Bayreuth. Il est ici plutôt dans sa veine comédie musicale et cabaret. La scène de la panière à linge qui voit Falstaff précipité dans la Tamise tutoie le mauvais goût, le héros revêtant pour l’occasion un total look dans le même imprimé vert que les murs, au milieu d’une profusion de pâtisseries crémeuses envahissant la scène (sans qu’elles soient intégrées au jeu d’ailleurs).


© D.R.

La scène de la forêt est encore plus ratée, – et là c’est quand même très dommage : en fond, les panneaux grisâtres qu’on a décrits, la pénombre, aucune poésie dans les douze coups de minuit ; en guise de nymphes, elfes, sylphes, esprits, sirènes, une escouade de silhouettes noires, alignées comme un vol de corbeaux ; évidemment le fameux chêne de Herne est aux abonnés absents, de même que la féérie inspirée du Songe d’une nuit d’été. Au contraire, une violence qui semble hors de propos ici (ce n’est tout de même pas la fin de Don Giovanni…) et une humiliation qui détonne dans cette comédie. Mais Falstaff s’en sort avec élégance : « Son io che vi fa scaltri, l’arguzia mia crea l’arguzia degli altri,  –  c’est moi qui vous fais rusés, c’est mon esprit qui vous donne de l’esprit ». La pantomime du mariage de Cajus et de Bardolpho, pour le coup très shakespearienne, détendra l’atmosphère.

On a émis pas mal de réserves sur les ensembles, passablement flottants (et qui d’ailleurs flottaient moins dès que Stéphane Degout y entrait en lice, nous pensons au nonette virtuose de la fin du premier acte), raison de plus pour dire à quel point la fugue finale « Tutto nel mondo è burla » est, elle, précise et impeccable, tout le monde faisant face au chef et ne souciant plus que de musique, solistes et chœur.

Cela faisait dix-sept ans que l’Opéra de Lyon n’avait pas monté Falstaff. La dernière fois en 2004, c’était par un trio Noseda/Peter Stein/Laurent Naouri (et auparavant on avait vu Claudio Desderi, Jean-Philippe Lafont ou José van Dam dans le rôle-titre). Richard Brunel dans une petite adresse au public avait dit quelle joie c’était que cette première Première lyrique sans restriction de jauge, et d’ailleurs devant une salle comble, qui fit à la fin un triomphe à toute la troupe.

 

 

 

 

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Détails

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Barrie Kosky
Scénographie, costumes
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Lumière
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Olaf A. Schmitt

Sir John Falstaff
Christopher Purves
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Stéphane Degout
Fenton
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