Nul interprète ne fut sans doute plus curieux, toujours soucieux de faire partager ses découvertes. Et le centenaire que nous célébrons cette année est l’occasion de faire ressurgir des archives nombre de bandes de concerts enregistrés, mais jamais reproduits sous forme de CD.
Dans la profusion de sorties discographiques que ce centenaire génère, parmi tous les trésors, parfois oubliés, une perle rare nous est offerte. Quatre extraits de récitals, dont trois donnés au Royal Festival Hall de Londres et l’autre à Helsinki, entre 1960 et 1971, nous sont révélés, jamais gravés auparavant. Outre la spontanéité du live, en communion avec son public, par rapport à la chirurgie esthétique du studio, c’est aussi l’occasion d’écouter des compositeurs qui, en dehors de Mahler, ne figurent que rarement dans les enregistrements. Aucune œuvre qui ne soit connue par ailleurs, en dehors peut-être du concert londonien dirigé en 1969 par Zoltan Kodaly dans trois de ses mélodies. Mais toujours les pianistes en studio différaient de ceux de ces prises (*).
De l’œuvre vocale de Ferruccio Busoni, on connaît surtout son Doktor Faust comme Turandot, oubliant qu’il nous a laissé de nombreux lieder. Dietrich Fischer-Dieskau contribua à les révéler. Nous avons ainsi le privilège d’écouter deux fois le Zigeuner Lied de 1923, enregistré à neuf ans de distance, avec des accompagnateurs différents (Gerald Moore, puis Irwin Gage). La qualité technique de la bande du concert d’Helsinski (sur des poèmes de Goethe) a souffert dans son report, mais l’émission du chanteur nous fait oublier ces imperfections, en rappelant aussi la distance qui nous sépare de ce moment de bonheur. Des Mahler qui suivent, la jeunesse des trois extraits des Lieder und Gesänge aus der Jugendzeit a-t-elle été mieux servie ? Des Rückert Lieder, nous retiendrons bien sûr Um Mitternacht, dont le dépouillement de la version pianistique participe à l’émotion, qui nous étreint. Le formidable diseur nous en fait savourer chaque syllabe, chaque mot, chaque phrase, comme jamais. Cet enregistrement nous permet de découvrir trois mélodies avec orchestre de Kodaly, dirigées par le compositeur à la tête du London Symphony Orchestra (1960). Depuis, Supraphon en a diffusé des lectures renouvelées. Mais l’interprétation poignante qu’en donnent les interprètes dépasse le simple témoignage (Dietrich Fischer-Dieskau les chante en hongrois).
Enfin, le second CD réunit deux amples interviews, en anglais, conduites à cinq ans d’intervalle (2000 et 2005, pour le 75ème puis le 80ème anniversaire du chanteur) par Jon Tolansky, qui signe la présentation du livret. Elles sont restituées dans leur intégralité, alors qu’elles n’étaient connues qu’à travers des extraits. Paradoxalement, celui de ses 75 ans était en stéréo, alors que le suivant est mono. Le témoignage de la voix est particulièrement bienvenu : Dietrich Fischer-Dieskau est toujours bien présent dans nos cœurs. Il y fait état de sa jeunesse, de ses professeurs, de sa carrière incroyable, qui lui a permis de révéler le plus large répertoire connu. Avec une gentillesse sans pareille, il se livre, sans fard, et témoigne. Le découpage détaillé par sujet du déroulé de chaque interview permet à l’auditeur d’aller directement au propos, qu’il s’agisse de Winterreise, de Wozzeck ou des lieder de Grieg, des rôles, comme des chefs ou des accompagnateurs (y compris Britten). Plusieurs dizaines de sujets sont ainsi abordés, jusqu’à la peinture qu’il pratique avec art, pour notre plus grand bonheur.
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(*) Nous connaissions les quatre lieder de Busoni sur des poèmes de Goethe, mais avec Demus en 1959 ; les suivants (toujours de Goethe) avec Demus, Engel ou Weissenborn, et les Mahler le plus souvent avec orchestre.