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A Puccini, la création reconnaissante

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Actualité
4 septembre 2024
A l’occasion du centenaire Puccini, Forumopéra recueille les témoignages de sept compositrices et compositeurs sur l’influence du maître de Lucques sur leur musique.

Infos sur l’œuvre

Détails

« Tout le monde aime Puccini. Tout le monde sauf les compositeurs. » De ces deux propositions, une seule est vraie, ce qui passe pour à peine croyable pour qui connaît un peu cette niche d’ivoire qu’est la musique contemporaine. Comment apprécier au même titre la pugnacité d’une Sonate de Barraqué et la guimauve larmoyante de Suor Angelica ? La hauteur d’esprit d’un quatuor à cordes de Lachenmann ne fait-elle pas irrémédiablement passer la dernière scène de la Bohème pour une bluette sans lendemain ? La réalité est certainement moins évidente, si l’on en croit les sept compositrices et compositeurs interrogés ici. N’ayant pour points communs que d’avoir commis un opéra et de vouloir faire mentir les idées reçues, ils se livrent ici, sur un ton humoristique, analytique, mélancolique ou même sceptique, à un petit exercice d’admiration puccinienne.

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Claire-Mélanie Sinnhuber


La Bohème
, je l’ai écoutée en boucle à l’âge de 18 ans, comme je pouvais écouter un album des Cure, c’était le disque compact Freni-Pavarotti-Karajan. J’étais fascinée par ce petit théâtre parisien tellement factice, où tout chantait en italien. Mais surtout, il y avait ce solo de Mimi, qui m’aimantait, me bouleversait.

Dans le calme de la nuit, j’écoutais : le silence, sur lequel se dessinait comme un trait de pinceau le mi velouté des cordes, sur lequel se posait le même mi de la voix lumineuse de Mirella Freni : « Sì…. » ; puis cette gamme ascendante du chant, si désarmante dans sa simplicité : « …mi chiamano Mimi…. ».

Ce « Sì » – presque une voix parlée, presque une voix d’enfant – chanté à l’unisson avec l’orchestre ouvrait un espace d’écoute et de délice pour moi alors inconnu.

Claire-Mélanie Sinnhuber © Jean Radel

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François Paris

Mes souvenirs de Puccini sont multiples. Depuis mes études de direction d’orchestre, ils ont par la suite nourri ma vie de compositeur et s’ils se focalisent principalement autour de sa dernière œuvre Turandot, je crois pouvoir dire que j’ai une bonne connaissance de l’œuvre du compositeur dans son ensemble. Je pense aussi, avec le recul, avoir été profondément influencé par son écriture vocale, son sens de la dramaturgie et sa virtuosité orchestrale dans mes propres travaux.
C’est d’abord comme figurant (soldat noir !) que, participant à la production Vittorio Rossi, Michel Plasson à Bercy en 1985, je profitais des (nombreux !) moments où je n’étais pas sur scène pour suivre la partition, et ce plus de 40 soirs de suite (répétitions et représentations).
C’est ensuite au cours de mes études que j’évoquerai ici une rencontre à Sienne avec Franco Donatoni en 1991 qui comparait l’opéra français à l’opéra italien. Je le cite de mémoire : « Chez nous les Italiens, les choses sont claires. Dans Turandot, on te pose trois questions. Tu réponds et tu pars avec la princesse, tu échoues et l’on te coupe la tête. Au moins c’est clair. Alors que dans l’opéra français, Mélisande se trouve au milieu de nulle part, on ne sait pas comment elle est arrivée là, par le train de quelle heure ? Où devait-elle se rendre ? Et tiens, voilà Golaud, sorti lui aussi de nulle part, à qui elle demande de ne pas la toucher… Tout cela n’est pas très rationnel… ». J’ai toujours trouvé que cette manière de résumer les choses en disait beaucoup plus que de longs discours.
Avec Gérard Grisey, dans les années 90, nous avions de longues discussions sur l’art lyrique, à propos par exemple de l’orchestration du début du 3e acte de Turandot. Il était très admiratif (et moi de même) et me disait que, même s’il n’était « pas très bien vu » de parler de Puccini (à l’époque) il assumait !
Enfin, j’évoquerai ici un dernier souvenir qui est plus récent et date de ma dernière rencontre avec Luciano Berio au festival MANCA en 2000. Il travaillait sur une nouvelle version de la fin de Turandot (créée en 2002) et j’étais très intéressé lorsqu’il me racontait l’immense travail qu’il avait effectué à partir de toutes les esquisses que Puccini avait laissées (en particulier sur le duo final). Il en avait déduit une fin beaucoup plus sombre que dans la version tonitruante (et d’un point de vue dramaturgique décidément peu crédible) de Franco Alfano.

François Paris © lacroix.com

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Francesco Filidei

Ce ne fut pas un amour au premier regard, mais un lent et inexorable poison.
Ma tante, ayant obtenu par je ne sais quel moyen deux invitations, avait décidé de me traîner à une de ces Butterfly de province, riche d’ombrelles et de paravents, qui plaisaient tant aux vacanciers retraités.
Prévenu comme pouvait l’être un jeune homme de quinze ans à peine entré en contact avec des compositeurs dogmatiques qui voyaient en Puccini l’ennemi à abattre, je relevais le défi, et décidais de m’infiltrer parmi la petite bourgeoisie octogénaire qui infectait le milieu lyrique local, afin d’étudier le phénomène avec le détachement proverbial d’un critique de la Frankfurter Allgemeine.

Pour me préparer, je dérobais à la tante en question trois cassettes audio dans lesquelles l’éditeur avait réussi à caser l’intégralité du livret, et me moquais ouvertement des vers d’Illica et Giacosa :

      « E suda e arrampica e sbuffa e inciampica!… Sareste addirittura cotto?…Dipende dal grado di cottura. »
      « Et l’on sue, et l’on grimpe, et l’on souffle et l’on trébuche… Serais-tu véritablement cuit [amoureux, ndlr.] ? Cela dépend du degré de cuisson. »

Comment même comparer ce brouillamini de banalités aux textes si limpides concoctés par Cacciari pour Nono, qui, selon mes amis, étaient le nec plus ultra de la créativité contemporaine ?
« Generò l’H URANO stellato gli alti monti il MARE infecondo TÉMIDE e il più tremendo πολυτεκτονες Τηϑυος εκγονα, bella caviglia…» (1)
…Giacosa et Illica devaient être de véritables canailles, me disais-je.

J’allais donc à ma première Butterfly, de laquelle je ne me rappelle que l’audacieux parti pris scénique, accompagné d’un arrière-plan de reniflements et de caramels déballés, qui laissaient à Pinkerton tout le loisir d’exhiber son torse nu à une Cio-Cio-San qui avait dû avoir quinze ans (« tout juste » rappelle le livret) en même temps que la majeure partie du parterre.

Je sortais du théâtre en ricanant, mais dès le lendemain, je n’arrivais pas à libérer mon cerveau de l’emprise de ces nombreuses incises mélodiques qui avaient trouvé terrain fertile dans la confusion émotionnelle d’un adolescent en pleine crise hormonale. Bien sûr, les jeunes filles de quinze ans à l’école ne ressemblaient en rien au papillon de la veille (lui aussi, accablé), mais les mélodies pucciniennes défaisaient et relâchaient la maille d’un masque que je m’étais obstinément tissé, et m’indiquaient un chemin sur lequel diriger mes obsessions.
Je commençais à me rendre compte que le sarcasme n’avait été qu’un mécanisme de défense, et que le virus avait fonctionné avant tout grâce à la résistance que je lui avais opposée. Puccini m’avait berné, et, pour faire bref, je me retrouvais frappé d’une puccinite incurable, car les recettes de Sieur Giacomo ont de quoi faire pâlir celles de Suor Angelica.
Pour conclure, il suffirait de dire que les êtres humains respirent de l’air et non de l’eau, qu’ils peuvent bien sûr prétendre le contraire, mais que s’ils essaient, ils se noient. On ne peut manger du sel, et dire que c’est du sucre, ou bien si, on peut le dire, mais c’est tricher, et une recette bien pensée pour faire pleurer fait pleurer, une recette bien pensée pour faire rire fait rire, et je ne comprends pas pourquoi je ne devrais pas me réjouir des bonnes recettes parmi mes jouets et mes confettis, maintenant qu’à quinze cinquante-et-un ans « tout juste », je suis prêt à les déballer devant le parterre de mes pairs.

(1) Ce serait faire outrage à la limpidité du texte original du Prometeo de Nono-Cacciari que de le soumettre à une traduction [n.d.l.r.]
Francesco Filidei © Olivier Roller

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Diana Soh
   


Malgré certains stéréotypes culturels, et la matière de certains livrets de ses œuvres de maturité, telles que Madame Butterfly ou Turandot – je suis particulièrement sensible à cette dernière en ce moment -, la musique de Puccini reste pour moi un péché mignon. Je trouve particulièrement réussie la façon dont il s’empare de cultures musicales étrangères afin de les intégrer à son propre monde. Sa musique est toujours si vocale, son sens de la ligne et de l’orchestration si impressionnant. Il est à ce point incontournable que sa musique est devenue composante si importante de ce qui façonne notre image culturelle collective de ce qu’est l’opéra par excellence. En revanche, au-delà de l’aspect musical, j’attends toujours un.e metteur.euse en scène capable d’adapter ou de rendre l’histoire de Butterfly ou de Turandot plus pertinente pour les spectatrices de 2024.
Il est difficile pour un.e féminist.e aujourd’hui de regarder l’histoire d’un viol statutaire et de prétendre que la musique (pourtant excellente !) parle d’autre chose.

Diana Soh © Droits réservés

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Gérard Pesson
     

L’action de Tosca se déroule à Rome, et voilà ce qui a déclenché ma plongée dans la musique de Puccini, quand, au début des années 90, j’ai habité cette ville comme pensionnaire à la Villa Médicis. Cette découverte tardive n’est pas une incuriosité de ma part, mais tient plutôt à une certaine doxa des avant-gardes, auxquelles je m’attachais comme jeune compositeur, doxa dont Puccini, c’est peu de le dire, n’était pas l’invité permanent. Quelle surprise de découvrir plus tard que Schoenberg avait un grand respect pour Puccini, que son disciple et prosélyte, René Leibowitz, était un puccinien de cœur ! Il est vain de mettre des frontières entre les musiques.
À partir de cette entame romaine, j’ai écouté, vu, lu, étudié les œuvres de Puccini jusqu’à en devenir assez familier, mais pas spécialiste.
Un pèlerinage dans la ville de Lucques s’imposait, et j’ai mieux appréhendé là, par un bel automne de 1992, que Puccini avait des racines profondes dans l’épaisseur du temps, étant 5e compositeur en ligne directe, tous issus de cette grosse bourgade toscane (le premier, Giacomo, né en 1712). Le rez-de-chaussée de la maison natale de Puccini, au coin de deux rues, était alors une boucherie.
Génie mélodique, sens infaillible de la dramaturgie, extrême mobilité de la musique, fluidité des idées, inventivité orchestrale subtile, ultra-mouvante, que Ravel admirait tant, et surtout, ce nerf de l’émotion dans son œuvre, comme sous-cutanée, qui semble la transposition de l’exigence anxieuse que Puccini montrait quand il cherchait un « sujet » et faisait écrire ses livrets avec un instinct très sûr, bien qu’il fût souvent accablé de doutes.
Gianni Schicchi, son œuvre la plus parfaite sans doute, livret compris. Tosca et Butterfly qui ont conquis tous les cœurs de par le vaste monde. On pleure encore à la fin de Butterfly, vous pourrez le constater à chaque représentation.
Le degré de puccinisme se mesure lorsqu’en entendant l’hymne américain, on pense d’abord à Madame Butterfly.
Puccini est né en 58, comme moi, et nous avons les mêmes initiales ; j’espère juste passer l’année 24.

Gérard Pesson © Radio France


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Lucia Ronchetti
     

Turandot, le dernier opéra de Puccini, inachevé et énigmatique, est l’un des grands chefs-d’œuvre du XXe siècle, et une véritable bible pour mes projets choraux, de théâtre musical et d’opéras.
La forte absence dramaturgique de Turandot au premier acte, et celle forcée, résultat d’un finale inachevé sont exacerbées par de nombreuses tentatives malheureuses de terminer la partition. Ces absences donnent un espace aux personnages de Calaf et de Liù, qui émergent du néant, faisant partie du magma humain d’un Pékin sans frontières. Dans cette partition magnifique et plurielle, Puccini conjugue le développement de ses protagonistes à la présence constante d’une marée humaine tout en mouvement et en interactions, un monde sonore fait de crescendos de rage et de decrescendos de résignation. Ce supra-personnage qu’est la foule collecte les nombreuses voix anonymes convoquées par Puccini. Au fil de la partition, du livret, mais aussi des lettres du compositeur, elles prennent des noms tels que « voix de femmes mystérieuses et distantes », « la foule », « le bourreau »… : toutes ces voix différentes et complexes qui hurlent, tremblent, maudissent et implorent. Elles brossent le portrait d’un paysage urbain en ruine et en rébellion qui assiste à la décapitation rituelle des prétendants de Turandot.
Dans ses lettres, Puccini parle souvent des échos des voix, échos qui fusionnent et se dispersent dans celui du grand gong. L’écho de ces voix se perd « dans le lointain », comme si la réverbération était engloutie par cette cité-monstre, où les ombres apparaissent dans le silence nocturne, devenant de plus en plus nombreuses, jusqu’à émerger à nouveau en tant que masse. Puccini dépeint en des tons fauves le désenchantement des habitants de la métropole ; une ville grotesque et aliénante dans un style musical dadaïste.
La mort de Liù et celle de Puccini font s’effondrer le mythe, la fable, l’espoir ; tout retourne à la normalité, l’anonymat et l’indifférence, controlés par la justice aveugle du destin. Nous quittons le conte de fées et ses couleurs éblouissantes de songe pour revenir à une réalité en noir et blanc.

Lucia Ronchetti © Stefano Corso

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Hèctor Parra
 

Ma relation avec la musique de Puccini a commencé dès ma plus tendre enfance, car ma grand-mère, chanteuse amateure, aimait chanter à la maison quelques-uns des airs les plus connus du compositeur, tels que « Un bel dì, vedremo » de Madama Butterfly, « O mio babbino caro » de Gianni Schicchi ou, évidemment transposé, « Nessun dorma » de Turandot. Puccini était sans doute son compositeur préféré et, par conséquent, l’un des premiers dont j’ai un souvenir conscient. La prodigieuse expressivité lyrique, la lucidité mélodique et harmonique inégalée de ses opéras me conduisent toujours à l’émotion la plus puissante.
Mais depuis 2021, suite à ma résidence à la Villa Médicis pour composer l’opéra Orgia, d’après la tragédie de Pier Paolo Pasolini (dont la première a eu lieu en juin 2023), ma relation avec la musique de Puccini est devenue plus consistante et réfléchie. Par une accumulation de coïncidences, dont une conversation sur Tosca avec l’ambassadeur de France à Rome à l’époque, Christian Masset, dans son propre bureau au Palazzo Farnese (le même bureau que Scarpia !), j’ai fréquenté la partition et les enregistrements de Tosca de plus en plus assidûment, au point qu’elle est devenue la seule musique que j’ai gardée en tête pendant l’année de mon séjour à Rome. L’influence de Tosca – un opéra que j’admire et adore par-dessus de presque tout – dans Orgia et dans mon dernier opéra Justice est, je pense, très forte.     

Hèctor Parra © Ircam

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