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Jean-Claude Berruti : « j’aime avoir avec l’opéra des rencontres à la hauteur de mes espérances »

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Interview
20 avril 2009

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Président de la Convention Théâtrale Européenne, directeur de La Comédie de Saint-Etienne, Jean-Claude Berrutti met en scène Tannhäuser à Bordeaux du 30 avril au 16 mai. Premier Wagner pour cet homme de théâtre qui porte en lui depuis l’adolescence l’envie de monter un opéra du maître de Bayreuth et dont le souhait est de faire entendre d’abord ce qui est écrit dans les notes et dans le texte. Bonne nouvelle, non ?

 

Faut-il être empreint de christianisme pour mettre en scène Tannhäuser ?

 

Nous sommes tous empreints de christianisme, que nous le voulions ou pas. La question avec Wagner est plus précise .Qu’est ce qui fait partie chez lui de sa culture luthérienne (né et grandi à Leipzig, il a entendu la musique du Cantor, au moins dans la version de Mendelssohn) et qu’est ce qui fait partie de sa fascination/haine pour la religion catholique ? Promenez-vous dans Leipzig et vous sentirez comment les deux cultures se côtoient avec prudence. Ces deux cultures sont présentes dans Tannhäuser, l’invocation de la nature va plutôt du côté de la musique de Bach, le triomphe funèbre de Sainte Elisabeth, plutôt du côté de Rome. Mais la petite communauté dans laquelle se déroule l’action de bout en bout (s’il on exclut le Venusberg) est pour moi une secte catholique en résistance dans un monde généralement luthérien. Quant à mon avis là-dessus ? Je suis simplement bouleversé par la recherche « panthéiste » et désespérée de notre pauvre chanteur qui le fait entrer de plein pied dans notre modernité.

 

Comment comptez-vous résoudre deux des principaux problèmes que posent les opéras de Wagner au metteur en scène : la dilation du temps et l’action « à tiroirs », cette référence au passé à travers de longs récits, celui de Rome dans le cas de Tannhäuser ?

 

Commençons avec la dilatation du temps. Je l’ai testée dans un répertoire bien différent à vrai dire, et en particulier avec Donizetti. Il faut savoir alterner, pour donner la sensation de cette suspension, les moments où les actions scéniques sont très profuses avec des moments où l’action devient quasiment absente. C’est un exercice passionnant pour le metteur en scène de chercher ces différents moments, de les mesurer et de chercher à composer avec ces contrastes. Vous me répondrez que Wagner n’est pas Donizetti, mais il connaissait parfaitement les règles du mélodrame et son objectif était de les dépasser, en particulier sur cette question de la suspension du temps et de la mélodie infinie. Prenez par exemple le long duo entre Tannhäuser et Elisabeth à l’acte 2. C’est au fond une scène dans lequel le troisième personnage (Wolfram) est peut-être le plus important pour comprendre la situation. C’est bien sûr d’abord lui qu’il faut mettre en scène, dans sa solitude et son mutisme …On n’en sentira que mieux l’exaltation musicale et la suspension du temps dans laquelle les deux autres sont enfermés, afin de pallier d’ailleurs leur impossibilité à communiquer. On dirait dans le langage courant qu’ils «  subliment », hé bien c’est cela que je chercherai à mettre en scène.

Vous me questionnez ensuite sur les grands récits qui émaillent les partitions wagnériennes. Il n’y en a qu’un dans l’opéra qui nous occupe, et il est immédiatement intéressant pour le spectateur puisque Tannhäuser raconte ce qui lui est arrivé depuis que le spectateur l’a quitté à la fin de l’acte 2 .Il y a chez Wagner des récits bien plus problématiques puisqu’ils racontent des évènements très lointains (Isolde racontant ses aventures avant sa rencontre avec Tristan…). Ce n’est pas le cas ici, et le récit de Rome est à vif, dans tous les sens du terme. Le personnage est épuisé par sa si longue marche, et probablement dans un état second symptomatique des pèlerins (une sorte d’ivresse dansante qui peut entraîner euphorie, perte de connaissance et même mort) .

Et puis à l’opéra, il y a des moments où le metteur-en-scène doit savoir s’abstraire… Que faire pendant la «  romance à l’étoile » sinon écouter et pleurer (si le chanteur sait vous émouvoir). Si vous avez bien préparé les choses depuis deux actes, et résolu ce qui est probablement le plus délicat dans Tannhäuser, à savoir donner des pistes pour sentir et comprendre la relation des trois héros depuis leur adolescence, surtout laissez parler la musique… Et la mélancolie de Wolfram n’en sera que plus poignante.

 

Qu’allez-vous faire de l’ouverture monumentale ?

 

L’interminable et sublime prélude est écrit pour être joué « devant le rideau »… et si Wagner dit cela c’est qu’il a une raison très précise de le faire. Il nous plonge dans la réalité intérieure de son héros et la musique ne supporterait pas d’illustration à mon avis. Il est très important d’être emporté dans la tête de Wagner/Tannhäuser en étant simplement assis dans son fauteuil de spectateur. Et vous imaginez que pendant le prélude de l’acte trois qui représente le voyage à Rome on puisse voir Tannhäuser sur la route ? Je fais trop confiance au spectateur pour lui imposer des explications de texte. Son imagination a besoin de voyager aussi, et de pouvoir le faire librement. De plus, écouter ces morceaux symphoniques dans la salle du Grand-Théâtre, cela doit être déjà quelque chose d’extraordinairement théâtral !

 

Entre Venus et Elisabeth, s’il fallait faire un choix, lequel feriez-vous ?

 

Impossible de choisir, comme le personnage, et il a bien raison de les vouloir toutes les deux ! D’un côté, une maîtresse ardente qui fait son éducation amoureuse, de l’autre la douceur de l’alter ego féminin. Que rêver de mieux ? Je pense que distribuer les deux rôles à la même chanteuse est une interprétation erronée qui ne fait qu’aller dans le sens d’une recherche vaine et fausse de « l’éternel féminin » (idéal goethéen qu’à mon avis Wagner bat en brèche malgré les apparences). N’oublions pas qu’il confia sa Vénus à Schröder-Devrient, splendide femme qui défrayait alors la chronique. Schumann lui-même, qui avait eu beaucoup de doutes à la lecture de la partition, fut emballé dès après le tableau chez Vénus ! Quant à Elisabeth, elle vit dans une réalité autre (je soutiens dans la réalité de leur adolescence commune) et elle préfère la folie et la mort à la prise en compte de la réalité (l’absence de Tannhäuser au retour des pèlerins, qu’elle a attendue comme la petite Catherine de Kleist attend son chevalier).

 

Connaissez-vous les artistes avec lesquels vous créez cette production ?

 

Je n’ai travaillé avec aucun, mais je les connais bien pour les avoir entendus ici ou là, sauf « mon » Elisabeth, Heidi Melton, chanteuse américaine qui s’est assez peu produite en Europe. Je connais par contre très bien cette salle dans laquelle j’ai écouté beaucoup de musique de chambre et de très grands interprètes dans le cadre du Mai musical. Il y a à Bordeaux une tradition wagnérienne, et cela fait partie de mon plaisir d’y monter Tannhäuser, de savoir que je prends le relai sur une certaine manière de l’écouter. Et comme le chef d’orchestre Klaus Weise a déjà beaucoup dirigé à Bordeaux, il connaît bien la manière dont ce public aborde l’écoute et la vision d’un opéra de Wagner… Mais au-delà de tout cela, faire cet opéra-là dans ce théâtre-là, je pense que ce n’est pas tout à fait innocent. Ce deuxième grand essai romantique – qui est peut-être l’opéra le plus romantique de Wagner – est une œuvre très juste pour cette salle et pour son plateau. Leurs proportions peuvent nous laisser rêver à la manière dont les premiers spectateurs ont entendu l’œuvre, sans chercher toutefois la moindre reconstitution visuelle. Loin de moi en effet l’idée d’une reconstitution, mais plutôt la recherche d’une ambiance de légèreté, de poésie nocturne et mortifère, qui évoque aussi la robustesse saxonne par endroits. Une variété d’ambiance, je dirais, plutôt qu’un univers médiéval à sens unique, me semble la bonne manière d’aborder cette pièce tout empreinte de la lecture des maîtres poètes du compositeur, Hoffmann et Kleist.

 

Vous êtes directeur de La Comédie de Saint-Etienne depuis 2002. Pensez-vous, comme Jean-Louis Pichon, que le projet de la municipalité stéphanoise pour son Opéra-Théâtre soit « la mort programmée » de l’art lyrique ?

 

L’expression de Jean-Louis Pichon est à remettre dans un contexte d’amertume bien compréhensible. Je dirais simplement que les décideurs n’ont peut-être pas pris la mesure de la situation au moment de faire le choix de changer de cap… J’ose espérer que les choses sont plus claires aujourd’hui, et depuis la place qui est la mienne, je n’ai eu de cesse de faire entendre que la présence lyrique était indispensable à la vie culturelle du territoire stéphanois. A présent, il s’agit d’attendre sereinement les décisions. Je milite quant à moi pour un rapprochement des deux structures (le centre dramatique et l’opéra-théâtre) qui me paraît être une solution originale et porteuse d’avenir autant pour les artistes que pour les publics.

 

En attendant les Maîtres chanteurs dont vous dites qu’il est l’autre opéra de Wagner que vous aimeriez mettre en scène, quels sont vos prochains projets lyriques ?

 

J’aime trop l’opéra pour en faire mon quotidien. L’opéra est exceptionnel, difficile à réussir, et j’aime avoir avec lui des rencontres à la hauteur de mes espérances. Donc je choisis, et c’est un luxe. Une production par an est amplement suffisante, et encore, avec une œuvre qui m’importe. Quand on a vingt ans, on veut tout monter, quand on en a cinquante, on devient plus difficile. L’année prochaine, ce sera Otello de Verdi à l’Opéra National de Lorraine puis la reprise de Wienerblut à l’Opéra National de Montpellier, qui m’a énormément amusé et… épuisé. Si vous vous prenez au jeu de l’opérette, elle a avec vous des exigences démesurées. Mais le projet qui m’est le plus cher est L’Orfeo monteverdien que je prépare dans le secret du laboratoire avec Françoise Lasserre et son magnifique ensemble Akadêmia. Ensuite, j’espère enfin pouvoir aborder Die Meistersinger pour rester dans le versant orphique de Wagner.

 

Propos recueillis par Christophe Rizoud et Noëlle Arnault

Février et mars 2009

 

  

Réactions des lecteurs

 

Bonne nouvelle, certes vu la façon dont vous le présentez, mais prudent, surtout avec les metteurs en scène d’aujourd’hui… j’attends de voir. Par ailleurs, n’est-ce pas tout de même une étrange envie que de vouloir mettre en scène le Gotterdammerung, sans préalablement passer par les autres opéras de la Tétralogie ?
Christian

 

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