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Jean-François Lapointe : « le chant s’est internationalisé »

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Interview
14 décembre 2009

Infos sur l’œuvre

Détails

Le baryton québécois Jean-François Lapointe, spécialiste réputé du répertoire français, est présent à Paris cette saison pour le rarissime Fortunio de Messager à l’Opéra Comique puis pour Falstaff (dans le rôle de Ford) au Théâtre des Champs Elysées fin février 2010. Au sortir des répétitions de Fortunio, il évoque son parcours, ses passions, ses projets…

 

 

Tout d’abord pouvez-vous nous parler de Fortunio de Messager, qui est intitulé « Comédie lyrique » ?

 

Ce n’est en aucun cas une opérette, c’est bien un opéra à part entière, il n’y a aucun texte parlé. Si l’auteur a voulu le qualifier de « comédie lyrique » c’est parce que certains passages sont plus proches de la comédie (les histoires d’amants cela fait toujours rire !), mais ça reste une œuvre… dramatique ! Je vous rassure, c’est romantique, il n’y a pas de mort, contrairement à beaucoup d’opéras ; il y a simplement un amant sur le carreau à la fin ! C’est un texte très intéressant : Le Chandelier de Musset était un texte très à la mode à l’époque, mais qui reste encore aujourd’hui très riche. Cependant, si un compositeur autre que Messager avait traité ce sujet, ça aurait pu être encore plus léger ; ce qui retient l’attention chez Messager c’est surtout le raffinement de l’harmonie. C’est réellement une musique sublime, qui malheureusement n’est pas assez souvent défendue, en France… et dans le monde ! Cette œuvre fait preuve d’un esprit typiquement français.

 

Vous chantez opéras, opérettes, vous avez même participé à une comédie musicale. Vous pratiquez également assidûment la mélodie, vous dirigez… Serait-ce de la boulimie ou simple éclectisme ?

 

J’ai toujours été comme ça, même dans ma vie de tous les jours, j’ai des passions diverses, j’aime toucher à tout ! Evidemment la musique c’est mon travail, je la pratique et la défend avec tout le sérieux possible. Mais, selon moi, quand on a hérité d’un talent, quel qu’il soit, il n’est jamais unique. Je suis intimement persuadé que si les meilleurs instrumentistes sont devenus des virtuoses de leur instrument, c’est presque un hasard ! Le mot est peut-être un peu fort, mais s’ils avaient commencé un autre instrument, ils auraient sans doute excellé également dans celui-là. On peut être compétent dans différents domaines : on peut défendre l’opéra, l’opéra bouffe, l’opéra italien, français ou allemand, sans oublier l’opérette et pourquoi pas la comédie musicale ! Cela étant, il est vrai également que l’on ne peut briller partout : il faut toujours se garder un petit jardin de prédilection, dans lequel on excelle vraiment, et que l’on approfondit sans cesse.

 

Abordez ces différents répertoires de la même façon ?

 

J’y porte la même attention, le même souci d’excellence. Même lorsqu’on aborde un Offenbach des plus loufoques, il faut y amener tout le sérieux possible. En revanche il y a des codes propres à chaque répertoire : quand on chante Verdi, il y a une vocalité propre au style verdien, au style italien, et on doit se plier au maximum à ces règles. Il en va de même quand on chante de l’opéra français. Donc on chante de la même façon, avec le même sérieux… tout en respectant des styles qui sont propres ! Les plaisirs que l’on ressent sont aussi différents… Et les plaisirs doivent être variés, car ils perdent de leur acuité à force de répétitions. La musique est suffisamment vaste, et je n’aurai jamais de ma courte vie pour faire le tour de tout le répertoire qui m’intéresse !

 

Vous donnez également des master-classes… N’êtes-vous pas un peu jeune pour cela ? En caricaturant un peu, elles sont assurées le plus souvent par des chanteurs en fin de carrière ou qui ont mis fin à leur carrière…

 

J’ai tout de même déjà 25 ans de carrière derrière moi ! Je peux donc déjà apporter une certaine expérience à des jeunes qui commencent, spécialement dans le répertoire qui m’est le plus cher, le répertoire français. L’enseignement nous permet également, à nous artistes, d’approfondir, de nous interroger sur ce que nous faisons, comment et pourquoi nous le faisons ; parfois on fait les choses par habitude, ou par instinct, on a développé une certaine façon d’aborder un répertoire ou d’appréhender une difficulté. Enseigner le chant nous oblige à nous remettre en question et à revenir sur ces habitudes… ce qui nous amène à maîtriser davantage notre art. Si un artiste attend d’avoir 65 ans pour enseigner, il risque d’être un très mauvais professeur car il n’aura plus la capacité de s’interroger sur son expérience afin de la communiquer.

 

On vous connaît surtout dans le répertoire français, de Pelléas à Valentin, de Chorèbe à Zurga. Est-ce un choix, qui provient de votre éducation, de votre goût, de votre formation musicale… ou est-ce également lié aux « hasards » de la programmation ?

 

Le hasard y a peu de place. C’est un goût… et un choix ! Il me vient d’abord de mon éducation, de la défense du français qui, en tant que québécois francophone, est essentielle… Jeune j’écoutais déjà beaucoup de musique française, mais pas uniquement de l’opéra, car mes penchants me portaient davantage vers la musique symphonique. Quand j’ai commencé à écouter du chant, je me suis très tôt intéressé à la mélodie française : mes premières pièces étaient des Fauré, des Duparc, des Reynaldo Hahn… J’ai baigné dans tout ce répertoire dès 15 ans. Cela forme une oreille, une sensibilité. Ensuite, je me suis aperçu que ma voix seyait très bien à ce répertoire, qui convient particulièrement aux barytons plus aigus : Pelléas a été mon grand rôle dès le départ, celui que j’ai le plus chanté, et que je continue de défendre d’ailleurs ! Avec les années, mon répertoire s’est progressivement élargi, mais je continue à privilégier ce répertoire français. Tout cela va bien au delà de la musique, même pour mes lectures, par exemple, j’ai toujours été attiré par la littérature française, les poèmes français.

 

Il existe donc selon vous un « baryton français ». Quelles en seraient les caractéristiques premières ?

 

Elles forment tout un ensemble. Il y a d’abord une question de tessiture : c’est un baryton plus clair, plus aigu, plus lyrique peut-être ? Il y a eu dans l’histoire de grands barytons qui ont défendu spécifiquement ce répertoire. Mais depuis les années 60-70, le chant s’est « internationalisé », il y a un son plus global, ce que je regrette parfois, mais c’est une tendance à laquelle on ne peut échapper. Ce que je souhaite apporter c’est un son « international » tout en gardant un style propre : la clarté du son, la diction…

 

 
 

 

Une autre de vos caractéristiques, c’est que l’on vous sent très à l’aise sur scène.

 

Pour moi la scène a toujours été essentielle. Je me suis toujours défini non pas comme un chanteur qui joue mais comme un comédien qui chante. Attention, cela ne signifie en aucun cas que je néglige l’aspect chant : il faut d’abord régler tout ce qui est de l’ordre de l’appareil vocal avant de pouvoir s’amuser en scène. Je suis vite tombé dans la potion magique du jeu ! Si l’on va un peu au-delà de mes premières amours dédiées à la musique purement instrumentale d’abord (le piano) puis à la mélodie, j’ai eu très tôt des expériences sur scène. A 16 ans j’ai participé à ma première production d’opérette – La Grande Duchesse de Gerolstein – au cours de laquelle j’ai appris tout le métier sur le tas ! Tout m’intéressait, j’aurais voulu faire les décors, les costumes… J’apprenais tous les rôles… Ce que j’essaie d’ailleurs encore de faire aujourd’hui : je peux chanter des opéras en entier, tous les rôles, toutes les répliques ! Sur scène, le point crucial est de trouver une vérité, une fraîcheur, même lorsque l’on a répété des dizaines de fois la même phrase ! Autant il est important que les choses soient fixées, que l’on joue de la même façon afin de ne pas désarçonner nos partenaires, autant il ne faut jamais que cela devienne mécanique : il faut toujours retrouver une spontanéité ! C’est, je pense, une de mes qualités, j’arrive à « installer » une régularité, tout en gardant un naturel : il faut dire que j’éprouve toujours le même plaisir… c’est peut-être le secret !

 

Quel est votre rapport avec les metteurs en scène ? Aimez-vous vous impliquer dans les choix de mise en scène ?

 

Je suis quelqu’un de plutôt docile : plus jeune, j’essayais d’imposer un certain nombre de choses… Mais finalement il est plus facile d’entrer dans la conception des autres. Ce qui ne veut pas nécessairement dire que je suis forcément d’accord avec les idées du metteur en scène – d’ailleurs je suis assez souvent en désaccord ! – mais je ne le ferai jamais voir. Imaginez si chaque artiste tirait de son côté, ce serait invivable ! Mon travail en tant que chanteur c’est de servir au mieux le projet d’un metteur en scène et d’un chef d’orchestre… Tout en y mettant mon âme et ma propre personnalité. Je n’endosse pas pour autant la responsabilité de la vision du metteur en scène. Lorsque j’étais jeune chanteur, je me demandais « qu’est ce que les gens vont penser ? », et cela m’affectait beaucoup ! Mais aujourd’hui je ne prends plus cette responsabilité, ma seule mission, c’est de servir au mieux la conception des autres… Mais parfois cette vision est tellement éloignée de la nôtre, que tout ce que l’on peut faire, c’est suivre les indications au maximum… et advienne que pourra !

 

Cette formation théâtrale s’est-elle faite sur le tas, ou avez vous suivi des cours de comédie ?

 

J’ai commencé par des études de piano pendant 13 ans, de violon, de direction d’orchestre tout cela au conservatoire. Voilà pour ma formation musicale. Ma formation vocale, elle, s’est faite par le biais de l’université. Au Québec et en Amérique du Nord, on peut en effet étudier à l’université, au-delà de la musicologie, la pratique instrumentale. J’ai eu la chance de suivre les cours, jusqu’à la maîtrise, à l’université Laval où il y avait de très bons professeurs. C’est là que j’ai bénéficié de cours de théâtre, on y montait des opéras. Dans le même temps je menais déjà une carrière, des petits rôles, mais qui me donnaient déjà de l’expérience, et qui me permettaient de directement mettre en pratique les enseignements reçus. On apprend d’autant plus vite à 17-18 ans que l’on n’a peur de rien, on fonce, on prend des risques incroyables !

 

Pouvez-vous nous parler de vos projets ?

 

Cette année, après Fortunio, je vais chanter Falstaff au Théâtres des Champs Elysées puis Les Troyens à Amsterdam, suivis de Didon et Enée à Lausanne… Ce qui nous emmène déjà au mois de juin. Pendant l’été je vais également diriger Carmen au Québec… Il y aussi un Don Giovanni (rôle titre) prévu à Marseille.

 

Avez-vous un rôle de prédilection ou un rôle rêvé que vous n’auriez pas encore abordé ?

 

J’ai eu la chance de réaliser pas mal de mes rêves, même les plus importants… Cela étant, on en trouve toujours de nouveaux ! Je vais aborder d’ici quelques années le rôle d’Eugène Oneguin. Ca sera un grand défi, du fait notamment de la langue russe ! J’ai déjà chanté la Dame de Pique à Monte Carlo – le rôle plus court, mais magnifique, du Prince Eletski – dans le but de tester si le style m’intéressait, et si je pouvais chanter en russe. Comme tout s’est parfaitement passé, il ne me reste plus qu’à être logique avec moi-même et passer à Oneguin ! Je débute dans Verdi cette année avec Ford, mais il y aura d’autres rôles verdiens ! J’aimerais beaucoup interpréter Posa dans Don Carlo. Il n’y a rien de prévu pour le moment, mais je souhaiterais que ça soit mon deuxième rôle chez Verdi. Sinon, il y toujours Pelléas, qui est mon opéra favori, que je continue à chanter : je vais prochainement aborder le rôle de Golaud ; ce sera un défi très intéressant de passer de Pelléas à Golaud, mais en tout état de cause c’est une œuvre fétiche que je ne suis pas prêt de quitter !

 

Propos recueillis par Antoine Brunetto le 28 novembre 2009

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