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Jean-Louis Grinda : « Je cherche juste à provoquer de l’émotion. »

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Interview
17 mars 2010

Infos sur l’œuvre

Détails

Dans Opéra Magazine du mois de janvier, on parle de la « tête de l’emploi », principalement celle des chanteurs. Qu’en est-il des autres ? Prenons le cas par exemple de Jean-Louis Grinda, metteur en scène et directeur de l’Opéra de Monte Carlo. Dans l’inconscient collectif notre homme a plutôt la tête d’un directeur, un peu moins celle d’un metteur en scène… Délit de faciès ? Non, juste un genre qui fait penser à… Grand, distingué, plutôt bel homme, issu probablement d’une bonne famille, Jean Louis Grinda, de par son look, semble parfaitement moulé dans le décor chic de l’Opéra de Monte Carlo, plus que dans la peau d’un artiste. Et pourtant… Notre quinquagénaire, porte parfaitement bien le « complet » du metteur en scène, fonction, qu’il a choisi d’embrasser sur le tard il y a dix ans. De Sol en Cirque à Chantons sous la pluie, de Mefistofele à la Gioconda aux Contes d’Hoffmann, Jean-Louis Grinda n’a rien d’un homme convenu et joue le plus souvent la carte de l’éclectisme. C’est la rançon de son bien être.

 

 

Pourquoi l’Opéra ?

Je ne me suis jamais posé la question parce que je suis né dans ce milieu. Ma mère était artiste et mon père directeur d’Opéra. Je suis la quatrième génération. J’ai d’abord fait des études de droit et d’économie puis j’ai commencé à travailler comme stagiaire à l’Opéra d’Avignon chez Raymont Duffaut en 1981. Un stage qui s’est transformé rapidement en un vrai poste. Raymond m’a donné ma première chance, je lui en serai éternellement reconnaissant. Nous avons collaboré ensemble quelques années et j’ai travaillé ensuite au Ministère de la Culture comme directeur de production, j’avais à l’époque 25 ans. Nous avons organisé une tournée Nationale de La Bohème.C’était palpitant. Quelque temps après, j’ai été directeur du Grand Théâtre de Reims pendant 10 ans. En parallèle je secondais mon père à l’Opéra de Toulon pour lui donner un coup de main avant d’être nommé en 1993 directeur de l’Opéra Royal de Wallonie, opéra que j’ai quitté il y a 3 ans.

 

Ce sont vos parents qui vous ont poussé à faire cette carrière ?

Non ils m’ont retenu, au contraire. Pour moi c’était une évidence. J’avais le virus. J’avais en tête l’idée de devenir directeur d’Opéra. C’est sans doute Freudien, je ne sais pas. Ce métier me plaisait et rien d’autre. A l’époque je ne pensais pas non plus à la mise en scène. J’ai d’ailleurs attendu d’avoir 40 ans avant de monter mon premier spectacle, après être arrivé à mes fins comme directeur dans de beaux théâtres tel que celui de Wallonie. Nous y avions quand même une saison qui durait 11 mois avec 10 opéras différents, 300 personnes permanentes, 20 millions d’euros de budget… Une grosse structure ! Tout fonctionnait. A ce moment je me suis dit qu’il manquait à ma vie une part artistique. J’ai alors commencé à faire de la mise en scène, en décembre 99, c’était une comédie musicale Chantons sous la pluie.

 

Directeur, metteur en scène, comment trouve-t-on le temps de faire les deux ? Est-ce difficile ?

Oui et non. Oui parce que c’est compliqué, cela demande beaucoup de travail. Non car lorsqu’on est passionné rien ne semble impossible. Il faut se lever tôt le matin et se coucher tard le soir. J’ai toujours vécu dans les théâtres, diriger un opéra est une chose presque naturelle pour moi. La mise en scène, c’est différent. J’évite de me noyer dans les détails, je fais tout pour me rendre la vie simple et cela marche. Il faut sans cesse avoir une portion de son cerveau disponible pour autre chose, c’est indispensable. Par exemple, lorsque je fais de la mise en scène et il s’agit là d’une vraie difficulté, je dois être capable de reprendre la casquette de directeur pendant le quart d’heure de pause que nous avons, afin de ne pas perdre de temps. Finalement je passe de l’un à l’autre assez facilement.

 

Pensez-vous que ce soit un atout d’être directeur quand on fait de la mise en scène ?

Très franchement oui ! Lorsque vous faîtes des mises en scène dans votre propre théâtre, même si vous ne vous gâtez pas plus que les autres pour les productions, décors, costumes, vous avez en revanche le luxe de choisir les ingrédients de votre spectacle. En général le metteur en scène est assez libre de choisir son éclairagiste, son décorateur … Mais le cadeau que je me fais est celui de choisir mes distributions. Il est vrai qu’à ce moment-là je le fais en fonction des personnalités que j’ai envie d’avoir pour créer un spectacle. Le poste de directeur m’aide aussi par exemple à monter des co-productions. Cela peut simplifier les choses comme les compliquer, notamment vis à vis de certains collègues. Un problème qui ne se pose pas dans les théâtres dramatiques nationaux. Les directeurs sont généralement des artistes. Personne n’envisagerait de donner la direction à quelqu’un qui n’est pas metteur en scène. A l’Opéra on voit les choses autrement. Certains pensent qu’il est préférable de donner la direction à des gestionnaires, des gens de projets… Je l’ai cru un moment, au début de ma carrière. Je pensais alors que le directeur était là seulement pour décider, choisir… Aujourd’hui je pense qu’il est important qu’un directeur d’Opéra ait les mains dans le cambouis à tous les niveaux. C’est un peu facile d’être assis tranquillement derrière son bureau à donner des ordres. Quand nous sommes sur scène avec les chœurs, les techniciens, l’orchestre, nous devons régler les problèmes concrets. Nous sommes dans la réalité.

 

Lorsqu’on est directeur d’un Opéra, n’a t-on pas envie de se privilégier comme metteur en scène ?

Je n’ai pas de problème d’ego à ce niveau là. La diversité est souvent plus enrichissante. L’année dernière je ne m’étais pas du tout distribué, cette année je ne fais que deux productions. En réalité il n’y a pas de règle. J’essaie, si je peux, d’en faire une par an. J’ai la chance que mes spectacles soient souvent repris à l’extérieur. Je ne fais pas uniquement des créations dans mon théâtre, ce serait triste. Je vais très souvent ailleurs. En novembre dernier j’étais à Florence. Au mois de mai, je vais à Rome faire une Manon. Je me rends à Tel Aviv tous les ans, à Zaghreb, en Belgique, en Allemagne. J’ai des projets partout. Je ne suis pas quelqu’un de frustré.

 

Vos choix de mise en scène se tournent souvent vers des œuvres rarement jouées ou vers des comédies musicales comme celle de Chantons sous la Pluie. Vous aimez sortir des sentiers battus ?

La vie n’est pas monochrome. Elle a des couleurs différentes. Parfois j’ai envie de monter des drames, d’autres jours des comédies… Pourquoi me contenterais-je de ne faire qu’une seule chose. J’aime la diversité ! J’ai fait beaucoup de comédies musicales dans ma vie parce que j’adorais ça, j’ai fait de l’opérette, de l’opéra. J’ai même fait Sol en Cirque avec Zazie, cela n’a rien à voir avec les Contes d’Hoffmann. Je crois que l’on apprend de chacune de ses expériences. Cela permet de nourrir son travail, son imaginaire. Même si le répertoire est très vaste, il n’y a pas que l’Opéra dans la vie. Il y a le cinéma, le théâtre, la sculpture, la peinture… La monoculture est très dangereuse.

 

En tant que metteur en scène, vous préférez la convention ou la provocation ?

Ni l’une ni l’autre. Je ne me suis d’ailleurs jamais posé la question. L’année dernière j’ai fait un spectacle trop conventionnel à mon goût. Je pense en particulier à Gioconda, qui a eu néanmoins beaucoup de succès. J’ai fait au contraire une Flûte enchantée, surprenante. Je vais la représenter à Tel Aviv et j’espère aussi à Washington. J’ai également fait une Traviata peu conventionnelle à Santiago du Chili pour l’ouverture de la saison. Le spectacle a été très discuté. Le Chili est un pays de traditions et les intégristes du lyrique sont nombreux. Pendant une semaine on n’a parlé que de ce spectacle « scandaleux » dans la presse. Nous avons reçu des lettres d’universitaires, des pour, des contre. Cette Traviata a créé une polémique alors que si on l’avait passé ici, cela n’aurait jamais été perçu comme une provocation. Je n’aime pas provoquer pour provoquer. Cela n’a pas de sens. Tout le monde est capable de le faire. Je cherche juste à provoquer de l’émotion. En revanche il y a des moments où cela est utile, pour créer un climat de malaise, susciter le rire, la tristesse…

 

Metteur en scène sans être musicien, une hérésie ?

Il existe plusieurs façons d’être musicien. Il y a celui qui ouvre la partition et qui la lit couramment. Il y a celui qui la lit plus ou moins bien, comme moi par exemple et enfin il y a celui qui ne l’est pas du tout. Celui qui ne l’est pas est parfois plus musicien dans son fort intérieur, dans son âme, que celui qui comprend parfaitement une partition. Certaines personnes ont une musicalité extrême alors qu’ils ne lisent pas la musique. Prenez Patrice Chéreau, quand il a fait le Ring à Bayreuth il n’était absolument pas musicien. Peu importe, il a quand même créé un chef d’œuvre ! Je crois qu’il faut sortir un peu de cette histoire de spécialiste. Il existe des metteurs en scène de théâtre qui se sont attachés à l’Opéra et qui finalement l’ont rendu plus crédible. Il ne viendrait à l’idée de personne de dire qu’une mise en scène de Luc Bondy ou de Patrice Chéreau n’est pas musicale. Ils ne sont pourtant pas musiciens de profession. Ce qui compte c’est la sensibilité, la capacité à mener un projet et la manière de faire passer tout cela. Il faut sortir des clichés ! Que l’on soit homme, femme, jeune, vieux que l’on n’ait jamais rien fait ou que l’on n’ait tout fait, peu importe ! Quand j’ai démarré ma carrière de metteur en scène, j’ai d’abord monté une comédie musicale, qui a été récompensée au Molière. Par la suite j’ai voulu monter un opéra. Personne ne croyait en moi. Beaucoup disaient : « Grinda est parfait pour les comédies musicales, voire l’opérette. Ce n’est pas sérieux. » En plus je m’attaquais à la Tétralogie ; alors vous imaginez. Cela a été un succès.

 

Comment choisissez-vous les chanteurs ?

Nous essayons d’avoir avant tout des gens capables de chanter des rôles. Nous sommes à l’Opéra, il faut d’abord que cela chante. La meilleure mise en scène du monde ne fera jamais oublier le couac d’un ténor sur un contre ut, par exemple. Il faut mettre les qualités vocales en avant. Toutefois cela ne suffit pas. Heureusement il existe de plus en plus de chanteurs qui sont d’excellents acteurs. Regardez mon dernier spectacle les Contes d’Hoffmann, nous avions des gens capables de chanter et de jouer à merveille. Des gens beaux à regarder. Regardez Marie-Ange Todorovitch dans le rôle de Giulietta, elle dégage quelque chose de fort, de puissant. C’est une beauté sur scène. Même chose pour Nicolas Cavalier. Il est séduisant, joue et chante très bien. Ce que j’aime aussi dans le choix des chanteurs c’est le mariage des voix, une science agréable. Il faut savoir qui l’on met à côté de qui. Vous pouvez avoir deux très belles voix qui ne se marient pas. Tout comme vous pouvez avoir des personnalités qui ne fonctionneront jamais ensemble. Voilà un des nombreux challenges d’un spectacle, savoir associer les gens, créer un esprit d’équipe. J’ai quand même monté les Contes d’Hoffmann en 11 jours. Un temps record. Je devais savoir avec qui je le faisais.

 

Et si l’on n’est pas entouré de ce genre d’équipe, bien rôdée ?

Tout le monde n’a pas le même niveau. Il faut savoir trouver le juste équilibre avec les chanteurs. Le chanteur est quelqu’un qui doit avant tout chanter. Ce n’est pas évident, il faut avoir du courage, être sûr de soi. Je ne cherche jamais à stresser les gens en leur demandant des performances d’acteurs qui les mettront en péril. Cela ne sert à rien d’aller contre leur nature profonde. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas être exigeant. Il y a surtout une façon d’y arriver. Pour ma part j’essaie de m’adapter aux uns et aux autres. J’essaie de faire en sorte qu’il y ait toujours ce sentiment d’équipe. Nous sommes tous dans le même bateau et nous devons ramer dans le même sens. Vous ne travaillerez pas de la même façon avec Neil Shicoff et avec Marie-Ange Todorovitch. Deux chanteurs formidables qui ont pourtant des approches et des sensibilités très différentes. De même pour d’autres chanteurs moins sûrs d’eux. Il faut s’adapter. Il faut être à l’écoute.

 


 

Vous avez insufflé une autre vision de l’Opéra au public monégasque, plus moderne moins poussiéreuse ?

Les temps changent, c’est la vie. L’ancien directeur est resté là pendant plus de 20 ans, il avait ses habitudes, son style de metteur en scène comme Pizzi dont le style était plus conventionnel. Il s’agissait d’une époque différente de ce que je fais aujourd’hui, tout comme les metteurs en scène que j’invite. Heureusement les pages se tournent, le train avance. Lorsque vous voyez les ballets de Monte Carlo, ils ne font pas le Lac des Cygnes, ils font des créations modernes, avant-gardistes. Pourtant il s’agit d’une compagnie qui a des bases classiques très fortes. Même si les choses surprennent, je trouve ça bien. L’art n’est pas fait pour être consensuel, nous n’allons pas voir un spectacle pour voir la même chose. L’Opéra comme le théâtre n’est pas un art figé mais un art vivant. J’aime le côté visuel des choses ; que celles-ci se détachent. Je ne suis pas outrancier non plus. Je ne suis pas un metteur en scène qui fait de grands signes extrêmement visibles pour être compris. J’essaie d’avoir une vision un peu plus subtile même si cela ne fonctionne pas toujours. Je suis évidemment le moins bon juge de mon travail. Il n’y a pas qu’une seule vérité mais des vérités. Nous avons la chance de présenter des chefs d’œuvre dont l’interprétation est inépuisable. Il faut que l’imagination des spectateurs travaille. Nous ne sommes heureusement pas figés dans une seule version de Don Giovanni, ni de Tristan, ni de Faust… Et tant mieux, même si parfois on nous le reproche. En revanche ce que je ne supporte pas ce sont les contre sens sur les œuvres.

 

Une œuvre que vous aimeriez faire plus qu’une autre ?

Falstaff, le spectacle sur lequel je travaille actuellement. J’avais vraiment envie de le faire. Je vais le présenter d’une manière très étonnante ; du jamais vu. Ma propre lecture de Falstaff. La scène se passe dans une basse-cour. Je le présente comme un Chantecler d’Edmond Rostang, avec des animaux. Il s’agit d’un conte animalier avec toute l’astuce de Verdi et de Shakespeare qui devient une sorte de fable avec une morale à la fin. C’est drôle parce que cette année je mets en scène deux spectacles qui sont des œuvres de fin de vie de deux grands compositeurs. Chacun ayant choisi de terminer sa vie artistique en créant l’inverse de ce qu’ils avaient produit auparavant. Offenbach a terminé par un drame alors qu’il n’avait quasiment fait que des opérettes, des opéras comiques… Et Verdi a conclu sur un éclat de rire avec Falstaff alors qu’il n’avait fait que du mélodrame toute sa vie.

 

Quelles sont les grandes tendances de mise en scène et dans laquelle vous situez vous ?

On trouve la mise en scène traditionnelle qui respecte tout. Une façon de voir les choses qui a ses vertus. Vous avez ensuite la mise en scène à l’allemande, appelée le Regietheater, qui est extrêmement compliquée avec des concepts très forts, des visions très particulières où l’on donne du sens au sens, au sens du sens, du sens au sens… Des mises en scènes avec des 3e, 4e, 5e degrés, que l’on trouve surtout en Allemagne et auxquelles les peuples latins ont beaucoup de mal à se faire. Et puis vous avez les mises en scène qui essaient d’être intelligentes c’est à dire qui ne cherchent pas toujours à brosser le spectateur dans le sens du poil. Ces mises en scène tentent de proposer des visions personnelles d’une œuvre. J’espère représenter cette tendance qui selon moi est la plus intéressante. Il existe beaucoup de vrais grands metteurs en scène qui travaillent dans ce sens là, Robert Carsen, Patrice Chéreau, ou Willy Decker. J’ai vu cette année l’un des plus beaux spectacles de ma vie : La Ville Morte à l’Opéra Bastille. C’était exceptionnel. La vision très personnelle de Willy Decker ne trahit en aucun cas l’œuvre. Des images et une dramaturgie fortes, on ne s’attend pas à cela. C’est extraordinaire. La mise en scène est un travail douloureux, un métier dur. Beaucoup disent que cela est facile d’être directeur d’Opéra et metteur en scène. A titre personnel je peux vous dire que c’est plus compliqué car vous vous exposez deux fois. La première fois parce que vous avez choisi l’œuvre et la distribution. La seconde fois parce que vous avez fait la mise en scène.

 

Quelle place pour la création ?

La création est une chose primordiale. D’ailleurs l’année prochaine nous allons recommencer à en faire à Monte Carlo. Cet Opéra a connu énormément de créations au 20e siècle, beaucoup d’opéras de Massenet comme Don Quichotte. La Damnation de Faust version scénique c’était ici. L’Enfant et les Sortilèges de Maurice Ravel aussi… L’année prochaine nous allons créer un opéra d’après un livret que j’ai choisi. Je ne le mettrai pas en scène mais j’ai décidé du compositeur et du sujet tiré de la nouvelle de Kleist, La Marquise d’O. Il s’agit d’une nouvelle de la fin du 18e siècle et du début du 19e. Une œuvre à cheval sur deux mondes. Un qui finit, l’autre qui commence. Je pense que La Marquise d’O est un sujet magnifique pour l’Opéra, un rôle de femme extraordinaire. Le problème par rapport aux créations est qu’aujourd’hui le public d’opéra reste fortement ancré sur ce qu’il connaît. Ce n’était pas le cas durant la première moitié du 20e siècle. A l’époque on allait voir un nouvel opéra comme on allait acheter un nouveau roman. Aujourd’hui cela est différent. La difficulté vient de là. Il est vrai que le public a été très froissé. Il y a eu une vraie distance prise entre la création musicale post Deuxième Guerre Mondiale et le goût. Il y a eu une sorte de destruction du beau tel qu’il existait en Europe. Même phénomène pour l’art contemporain. A l’époque nous avons commencé à faire autre chose que du figuratif joli. Des oeuvres dérangeantes, ardues, provocantes… Il s’est passé la même chose en musique. Un tableau s’il ne nous plaît pas nous pouvons en regarder un autre rapidement. Un opéra avec lequel on n’accroche pas il faut le subir pendant trois heures. Résultat, en musique les gens ont souvent perdu la patience d’accepter la découverte. Il faut redonner aux gens l’envie de la curiosité.

 

Comment définiriez-vous votre rôle ?

Je me sens comme un bibliothécaire. Je fais attention à ce que mon répertoire soit complet et j’essai de l’enrichir avec de nouveaux ouvrages. Pareil pour les artistes. Prenons par exemple Niels Shicoff. Une de mes premières décisions lorsque j’ai été nommé directeur a été de faire venir Shicoff dans un spectacle. Pourquoi ? Parce que tous les plus grands ténors du monde depuis Caruso sont passés par l’Opéra de Monte Carlo, sauf Shicoff. Il est l’un des plus grands ténors du 20e siècle, ce n’était pas normal qu’un artiste comme lui n’ait jamais foulé cette scène. C’est une autre façon de mettre de l’historique dans son travail. Bryn Terfel, l’un des génies actuel du monde de l’Opéra, va jouer Falstaff, un rôle dans lequel il est exceptionnel. Nous pourrons dire qu’il est venu dans cette maison. Ce sont des passages importants. Il faut alimenter l’imaginaire du public. L’Opéra de Monte Carlo a toujours été un lieu d’excellence. Il faut garder un certain standing. J’espère m’y tenir. La Princesse Caroline, femme remarquablement intelligente, cultivée, qui aime l’art classique, contemporain et qui le défend, a une très jolie expression : « il faut intéresser sans chercher à plaire ». Chercher à plaire c’est déjà rabaisser son travail et ça ne sert à rien.

 

Vous aimez mélanger les types de chanteurs on dirait ?

Je pense qu’il est intéressant de mettre des gros calibres à côté d’artistes plus jeunes. Le chant est aussi un art d’imitation. On est tiré vers le haut par certains artistes. Du temps de la gloire de José Van Dam lorsqu’on chantait à côté de lui on chantait mieux parce ce qu’il avait cette tranquillité, cette splendeur…

 

Beaucoup de maison d’Opéra souffrent de restrictions budgétaires, est-ce le cas de Monte Carlo ?

Non, aucune baisse de budget. Le seul contrecoup de la crise est que nous n’avons pas eu d’augmentation de notre subvention.

 

Directeur sans mise en scène, il vous manquerait quelque chose ?

Bien sûr. Depuis 10 ans j’ai découvert un nouveau sens à ma vie.

 

Propos recueillis par Raphaëlle Duroselle

 

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