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Parsifal vu par le baryton Richard Rittelmann

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Interview
1 février 2010

Infos sur l’œuvre

Détails

Roberto Alagna le surnomme « Rigolemann », l’homme qui rit. Une évidence lorsqu’on rencontre pour la première fois Richard Rittelmann. Il a ce sourire radieux, généreux même, qui en dit long sur son amour de la vie et… de la scène. Une scène que notre chaleureux baryton arpente depuis l’âge de 11 ans. Un coup de foudre à l’Opéra de Genève alors qu’il jouait un petit rôle de sopraniste, dans Tannhaüser dirigé par Horst Stein. Avec sa voix chaude et riche, cet enfant gâté de l’opéra affiche aujourd’hui un itinéraire et un répertoire variés. Ce mois-ci on l’a vu dans Parsifal* à Nice où il interprétait l’un des deux chevaliers. Wagner est à la rencontre de sa destinée dit-il. Il nous en parle avec une admiration certaine…

 

 


 

Dans Parsifal vous jouez le rôle d’un des deux chevaliers ? Qu’est ce qui vous a plu dans ce rôle ?

 

Tout d’abord nous ouvrons l’opéra, ce qui est un honneur ! Nous arrivons après le prélude, où toutes les clefs musicales et les leitmotive de l’Opéra nous sont offerts. Très vite nous avons cette impression de dimension éternelle, presque d’ouverture sur le monde. Nous annonçons ensuite l’arrivée de Kundry et d’Amfortas, un moment d’une grande intensité. Puis il y a toute cette symbolique autour du Graal, coupe céleste, mystérieuse, qui selon la légende aurait recueilli le sang du Christ. L’idée même des chevaliers du Graal, protecteurs du temple est sacrée et nous portons cela en nous, tout au long du spectacle. Le rôle du chevalier est émotionnellement lourd. La force que dégage l’œuvre de Parsifal est incroyable. Même pendant les répétitions, notre concentration à tous était différente si l’on compare à un opéra classique. Dans cette production, les chanteurs se sont mis dans un état méditatif, un peu comme des yogis. Cela n’a pas été pas évident pour la metteuse en scène d’interrompre cette énergie spirituelle. Après chaque répétition nous avions besoin d’un moment de récupération; il fallait redescendre sur terre. Nous pensons souvent que c’est pour cette raison que les opéras de Wagner sont considérés comme longs. Je crois que Parsifal touche tellement à l’immortalité, ce temps suspendu que l’on ne sait pas quand et où cela va s’arrêter, parce que cette musique est un flux continu. Il n’y a pas vraiment d’air avec applaudissements comme dans Verdi. Quand nous rentrons dans le bain et que nous nous laissons porter, on ne voit pas les 4 heures… C’est magique.

 

Quel est le mythe de Parsifal ?

 

Un mythe médiéval, tout à fait d’actualité un peu comme le Seigneur des Anneaux. Il existe un mystère incroyable autour de cette époque, qui est dans la mémoire collective. Wagner était très curieux de cela. Il adorait les symboles, le Graal… Ce n’est pas par hasard. Parsifal représente en quelque sorte l’effondrement d’un monde, d’une moralité (on le voit avec la 1ère guerre mondiale quelques années après). Il y a ces chevaliers qui tentent de protéger le Graal mais, autour, tout s’effondre. Le roi a perdu sa vertu en se laissant tenter par les filles fleurs. Il y a aussi cette dualité, pas seulement chez Kundry, mais dans le monde. Tous sont plus ou moins victime de cela. Chacun s’accroche à ce Graal mais les valeurs du passé ne sont plus là et le présent perd tout son sens. Les repères ont disparus… On dirait presque l’Apocalypse.

 

Parsifal elle est une œuvre mystique ?

 

Wagner a sans doute voulu cela, peut-être pour se différencier de ses autres opéras. Quand on parle du Graal on parle du Christ. Wagner a annoté l’intégralité de sa partition. Il était compositeur mais aussi metteur en scène. De la lumière au choix du décor, tout était bien pensé. Il s’est inspiré de la cathédrale de Sienne pour la scène du Graal. Quand tous les chevaliers se réunissent sous la coupole et que le maître de cérémonie appelle au Graal… Il s’agit de symboles mystiques forts. La blessure d’Amfortas sur le côté fait penser à la blessure du Christ. C’est assez emblématique. Tout comme la lance qui à la fin guérit la blessure. Kundry la femme tentatrice, comme dans, Adam et Eve, est très biblique.

 

On retrouve également d’autres symboles proches de la franc-maçonnerie ?

 

Je pense qu’il existe une influence. Wagner faisait partie d’un mouvement maçonnique, tout comme Mozart d’ailleurs. Nous pouvons donc effectivement y voir des symboles communs. La fraternité, cet esprit très soudé autour du Graal, peut y faire penser. Tout le monde a vécu dans sa vie et à sa manière une époque mystique que ce soit par la foi, la communauté, la rencontre de guides spirituels. Je pense qu’à sa façon, Wagner a voulu transcender son existence. Il avait ce besoin presque vital d’écrire cette œuvre. C’est pour lui un accomplissement. Il s’agit d’une messe, d’une cérémonie. D’ailleurs il ne l’a pas appelée opéra mais « œuvre scénique sacrée ». C’est un peu la consécration de sa pensée spirituelle musicale. Dans Parsifal, on retrouve des éléments avant-gardistes qui n’existaient pas dans d’autres œuvres comme Lohengrin ou sa tétralogie. C’est une œuvre très complexe. Il est mort six mois après. Parsifal est son testament.

 

Une Œuvre misogyne ?

 

Je ne pense pas. Dans tous les opéras de Wagner il existe cette constante à propos des femmes. Ses héroïnes ont toujours une personnalité forte qui oscille entre le bien et le mal. L’Ortrud dans Lohengrin est une espèce de femme avec des pouvoirs surnaturels qui fait peur. Même Vénus dans Tannhäuser est un personnage qui impressionne. Si je devais faire un peu de psychanalyse, je dirais que Wagner a peut- être gardé une image impressionnante de sa mère. Loin de celle d’une femme douce mais plutôt tentatrice, comme Kundry.

 

Qui est le personnage de Parsifal ?

 

Un homme qui ne connaît ni son nom, ni son origine. Pour moi c’est un voyageur dans le temps. Parsifal veut dire percer le val. Il passe d’époque en époque, d’un monde à l’autre. Il est une sorte d’électron libre, quelqu’un qui n’est pas attaché à une patrie, à un mouvement. Un homme d’une extrême pureté. Je pense qu’il a une âme d’enfant. Kundry justement lui permet d’accéder à cette dimension plus sacrée qu’est la communauté des chevaliers du Graal. Elle éveille en lui des sentiments mais elle lui apporte également une spiritualité plus élevée. Il est curieux justement que ce soit Kundry, femme animal, pécheresse, qui lui donne l’accès à la connaissance. Le personnage de Parsifal a un double symbole. Il est porteur d’un nouveau monde. Il est là pour rétablir l’harmonie, en donnant à Kundry la paix intérieure. Elle meurt et l’équilibre du monde de la chevalerie est rétabli parce que Kundry n’est plus une menace. Parsifal est un peu comme le Christ.

 

Qui est Kundry, une tentatrice, une héroïne ?

 

Kundry est dévouée puisqu’on dit qu’elle est partie chercher le baume en Arabie pour soigner la plaie du Roi. C’est une femme servante, loin d’être mauvaise. Je dirais même qu’elle est extrêmement humaine. N’oublions pas que Kundry a eu cette malédiction d’avoir ri du Christ. Elle va porter cela toute sa vie. Elle est maudite et mal vue par les chevaliers qui vivent dans un monde fermé, empli de préjugés. Un monde que Kundry ne peut intégrer. Kundry est à la fois bonne et mauvaise, séductrice, mystérieuse et toujours au service des autres. C’est sa nature d’être une tentatrice. Elle en a besoin, un peu comme Don Giovanni. Elle est sur terre aussi pour vivre son « karma ». En pensant séduire Parsifal elle ne trouve pas d’écho. Quelque chose de fort va découler de cette rencontre. C’est très symbolique et d’une grande puissance. On retrouve comme dans la Bible, les jouissances terrestres, la tentation. Kundry est un personnage complexe en lutte avec elle-même. Seul Parsifal, parce qu’il est extrêmement pur, va être en mesure de voir cette dualité chez elle. C’est lui qui va lui donner d’être cet intermédiaire entre le monde terrestre et céleste. Au moment de la cérémonie à la fin il la libère de sa malédiction en la bénissant. Ensuite elle meurt.

 

Qu’en est-il des autres personnages les chevaliers, le Roi?

 

Les chevaliers représentent le dévouement pour cet emblème sacré qu’est le Graal. Ils ont beaucoup de compassion et de sympathie pour ce Roi qui n’a plus la force, malgré sa bonne volonté, de porter tout cela sur ses épaules. Avec sa blessure Amfortas refuse toute célébration. Cette blessure, sur le côté, pourrait faire penser à celle du Christ. Mais le Roi n’a rien d’un rédempteur, il attend plutôt la rédemption. C’est un monde fermé et très soudé. La déchéance du Roi leur fait mal au cœur. Ils restent dans leur univers, ils n’arrivent pas à voir la lumière, ils s’accrochent au Graal… Mais rien ne pourra changer tant que Parsifal ne sera pas là. Parsifal est vraiment un rédempteur, celui qui va apporter la lumière.

 

D’un point de vue musical Parsifal est-elle une œuvre forte ?

 

La musique est très puissante. Elle nous emporte à coup sûr, même si on ne comprend pas l’allemand. Il existe des musiques comme celle-ci qui sont intemporelles. Pour les spécialistes il s’agit d’un chef d’œuvre parce que Parsifal est une œuvre visionnaire, avec des harmonies et des accords exceptionnels. Nous sommes à un carrefour, à l’orée d’un monde. Nous sommes proches de l’école de Vienne, de Strauss, de Mahler… Tous les grands créateurs sont venus à la première écouter Parsifal à Bayreuth. Même Nietzche était là. On y voit aussi les prémices de la psychanalyse. La musique véhicule une grande émotion et une psychologie intense. Ces thèmes qui reviennent sans cesse et s’entremêlent, celui du Graal, de kundry, des chevaliers… On a l’impression d’entendre la même chose mais à chaque fois c’est amené d’une manière différente. C’est la magie wagnérienne. Vocalement, je pense que chanter les grands rôles, Amfortas, Gurnemaz, Kundry… ne présente pas la même difficulté que chanter Verdi. La tessiture est proche de la voix parlée, ce qui est d’ailleurs formidable dans Wagner et aussi très avant-gardiste. Cela pour chaque personnage que ce soit le baryton, la basse ou la voix de soprano. Ce ne sont jamais des tessitures extrêmes mais plutôt de longues phrases très scandées où l’on sent une sorte de douleur intérieure, une colère. On pourrait penser à ces voix parlées de prédicateurs. Il n’existe pas d’effet comme dans l’opéra traditionnel. Il y a vraiment une appropriation de la situation dans la couleur et dans la manière de chanter. 

 

Vous aimez interpréter les rôles de Wagner ?

 

Je n’ai pas encore la « voix wagnérienne ». Ce sont des voix spéciales avec une couleur propre à ce répertoire, très différente des voix verdiennes ou françaises. C’est pour cela que Wagner est un astre à part. Ce sont des timbres assez corsés, assez enveloppants. Nous avons tous en tête ces grandes voix wagnériennes comme Birgit Nilsson, Kirsten Flagstad, Martha Mödl, Léonie Rysanek… Des voix héroïques mais avec cette couleur, cette manière de poser le son, d’articuler… Certains compositeurs, comme Debussy, ont été très influencés et ont même dû lutter contre cette influence. Wagner est comme une planète d’une grande force gravitationnelle dans l’univers de l’Opéra. Pour nous chanteurs, c’est tout un monde dans lequel on entre. Au-delà de l’histoire, c’est la musique, la psychanalyse aussi avant l’heure. C’est un voyage initiatique passionnant et sans fin.

 

 

Propos recueillis par Raphaëlle Duroselle

 

* Lire le compte-rendu d’Elisabeth Bouillon

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