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Surtitres, mon amour

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Brève
16 avril 2012
Surtitres, mon amour

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Notre éditorial d’avril 2012, « A bas les surtitres! » avait pris le parti d’une certaine provocation. Il a suscité de nombreuses réactions chez nos lecteurs. Avis partagés, les uns abondant dans notre sens par souci de l’intégrité musicale et lassitude de la dénaturation des livrets par ces traductions étiques ; les autres défendant la vertu pédagogique des surtitres, voire leur caractère anti-élitiste (oubliant que les chansons de Madonna ou Alicia Keyes ne sont pas surtitrées lors de leurs concerts censément populaires). Le critique musical Jean-Marc Proust a accepté de nous adresser un texte plein de sagesse et d’humour, où il fait état des mérites du surtitrage sans en masquer les défauts. Nous le publions ici, et remercions vivement son auteur de cet envoi des plus charmants. [SF]

Les surtitres, c’est l’opéra pour tous

Il m’a fallu du temps pour découvrir l’opéra. La première fois, j’avais 12 ou 13 ans, ce fut dans les Arènes de Nîmes pour Aïda. Je n’y ai pas compris grand-chose au point que lorsqu’on me demanda : « et les trompettes ? », je ne sus que répondre. Déception. La seconde, quelques années plus tard, fut plus réussie : chez un ami, un été de désœuvrement, j’écoutai le Ring en lisant le livret. Révélation.

Prima le parole ? C’est ainsi : je suis venu à l’opéra par le texte et non la musique. J’en garde la profonde conviction que l’art lyrique vit par ses livrets autant que sa musique, pour le meilleur comme le pire, et ne s’ouvre au non-initié qu’en titillant sa curiosité : mais pourquoi Manrico gueule-t-il comme un veau ? Qu’ont-ils tous à s’agiter dans les choeurs ? Isolde a l’air contente de mourir, je ne comprends pas pourquoi…

Avant les surtitres, les œuvres étaient traduites, on chantait tout en français. Mais c’est comme pour les films en VF : franchement, je préfère la voix de John Wayne et la langue de Goethe quand Mozart l’a choisie. Ecouter Berlioz chanté en anglais à l’English national opera, c’est exotique mais c’est dommage.

Hélas, tout le monde n’est pas Claude Hagège et le mélomane est rarement polyglotte. Hélas encore, chantée, une langue est rarement intelligible, à plus forte raison quand l’écriture vocale est raffinée, complexe. Sans oublier qu’une voix peut être couverte par l’orchestre et l’émission dénaturée par une mise en scène, disons… audacieuse. En un mot : on n’y comprend que dalle et, sauf à avoir lu le livret ou bien appris le résumé, le spectateur n’a guère le choix : kiffer la musique ou la subir.

Bien sûr, la très grande majorité des spectateurs connaît fidèlement le livret de Don Giovanni, de Káťa Kabanová, de Peter Grimes ou de Frau ohne Schatten, et si un jour on donne à Paris du Moniuszko, je ne doute pas que le public le fredonne dans sa langue originelle. Il suffit pour s’en convaincre de se promener dans le métro aux heures de pointe : l’Avant-Scène opéra y a bien plus de succès que 20 Minutes.

Souffrez donc que je parle pour les autres : ceux qui ne consacrent pas leurs pauses café à lire et relire Lavignac. Pour ces quelques – et heureusement rares – ignorants, les surtitres sont une bénédiction.

Le surtitre, c’est d’abord du plaisir dans un monde de contraintes. Récapitulons : vous avez payé – cher – votre billet et confié vos enfants à un baby-sitter coûteux. Engoncé dans un fauteuil d’un autre âge, vous faites des contorsions grotesques mais douloureuses pour tenter d’apercevoir un bout de la scène, après avoir avalé un sandwich infâme et hors de prix au foyer. Une fois éteint votre smartphone (argh) et subi les rabrouements excédés de vos voisins lorsque vous avez murmuré : « tu y vois quelque chose, toi ? », vous devez bien vous avouer que vous ne comprenez rien à l’opéra ; alors, le powerpoint de votre chef de service vient brutalement vous renvoyer à la réalité.

Mais voici qu’on vous propose au milieu de ce naufrage de luxe une bouée de secours : des surtitres. D’un coup, vous voilà moins crétin moins exclu. Ah ah ! Alberich renonce à l’amour ! Evidemment, ça change tout et ça explique les couinements de pucelles des nymphes qui l’entourent. Rasséréné, vous vous dites que l’opéra, c’est bien plaisant car il y a une histoire au fond plutôt bien racontée et, ça ne gâche rien, superbement mise en musique. Mieux : c’est presque un truc à raconter à la machine à café demain. Qui sait ? Pour y faire du prosélytisme…

Car l’élitisme est un problème. Lorsqu’on m’objecte le prix des places, je rétorque qu’un concert de rock ou un match de foot coûtent autant qu’une Traviata. Lorsqu’on me dit que c’est compliqué, je renvoie au livret, accessible par les surtitres. L’opéra, un temps art populaire, ne doit pas mourir d’être un loisir pour happy few. En mettant les livrets à la portée de tous, et en direct, les maisons d’opéra ont accompli un pas immense pour démocratiser l’art lyrique.

Oserais-je ajouter, dans un coming-out rougissant, que bien des fois les surtitres m’ont aidé à suivre une œuvre ? Comme critique, suis-je censé tout connaître par cœur ? S’agissant de créations, évidemment pas. S’agissant de classiques, l’apport des surtitres m’est d’un moindre secours, bien sûr. Mais, parfois, un œil dans les hauteurs vous rappelle une phrase, un dialogues, des mots oubliés. J’y trouve mon compte, d’autant plus que rien ne m’oblige à les lire. C’est juste une liberté à laquelle je ne voudrais en rien renoncer.

Bien sûr, le système n’est pas parfait. Une interruption de service et voici la salle qui s’affole devant une intrigue qui lui échappe. Un décalage d’affichage ou une traduction peu judicieuse et la tragédie devient farce. Un petit coup de flemme et celui qui venait pour de la musique se retrouve à lire, n’écoutant plus que d’une oreille distraite. Sans doute cela dispense-t-il le spectateur de lire le livret, avant ou après le spectacle, pour approfondir ce qu’il découvre sur scène. Mais l’aurait-il fait sinon ? Et est-ce si grave ?

Pour ma part, je suis convaincu que la musique est un plaisir. Les surtitres y jouent un rôle. Ils abolissent une distance, lèvent un coin du voile sur ce spectacle codé, qui a ses initiés. Et si, après avoir découvert les subtilités d’un livret de Da Ponte via des surtitres, il se trouvait parmi ces jeunes lycéens traînés bon gré mal gré sous les dorures, quelques-uns qui seraient tentés d’approfondir le texte, d’écouter un CD ? L’opéra est un roman initiatique : ne durcissons pas à l’excès les épreuves.

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