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JACQUET DE LA GUERRE, Céphale et Procris

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CD
18 mars 2024
Réhabilitation d’une compositrice

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

Céphale et Procris, tragédie lyrique en un prologue et cinq actes

Musique d’Élisabeth Jacquet de La Guerre sur un livret de Joseph-François Duché de Vancy

Création en mars ou avril 1694 sur la scène du Palais Royal à Paris

Détails

Céphale, Nérée
Reinoud Van Mechelen
Procris
Déborah Cachet
L’Aurore
Ema Nikolovska
Flore, Dorine
Lore Binon
Iphis, la Prêtresse, nymphe
Gwendoline Blondeel
La Jalousie, un dieu de la mer, un Thrace
Marc Mauillon
Borée, Pan
Lisandro Abadie
Arcas
Samuel Namotte
Nymphe, Athénienne, une suivante de la volupté
Wei-Lang Huang
Athénienne, une bergère
Pauline De Lannoy
Un pâtre, la Rage
Gert-Jan Verbueken
Le roi, le Désespoir
Laurent Bourdeaux

Chœur de Chambre de Namur

A nocte temporis
Direction musicale
Reinoud van Mechelen

2 CD Château de Versailles Spectacles (75’50 et 72’05)
Enregistré les 17, 18, 21, 22, 23 janvier 2023 à Namur

C’est une jeune musicienne de 29 ans, prodige applaudie par le roi, qui offre Céphale et Procris à l’Académie royale de musique en 1694. Dans la notice qui accompagne le disque, l’éminente Catherine Cessac nous apprend qu’Élisabeth Jacquet de La Guerre, fille d’un organiste parisien, baigne dans la musique dès le berceau : ses frères et sœurs ont une carrière d’instrumentistes. Élisabeth est la plus talentueuse ; dès 5 ans, elle joue du clavier devant Louis XIV, qui l’encourage à cultiver son art. La composition de divertissements de cour – malheureusement perdus – et de pièces pour clavecin accroissent encore sa renommée.

Le révéré Lully meurt en 1687, et l’affiche du théâtre du Palais royal s’ouvre enfin à de nouveaux talents. Jacquet de La Guerre devient la première femme à composer pour l’institution nationale. Elle demeurera longtemps la seule d’une liste qui ne s’est guère étoffée. De fait, en dépit d’une attente enthousiaste et de la flatteuse réputation de la compositrice, Céphale et Procris chute, connaissant le même sort que la majorité des créations que tentent Louis Lully, Collasse, Charpentier ou Desmarest à cette période. L’ombre du Florentin est encore écrasante, ce à quoi il faut sans doute ajouter ici les préventions auxquelles Jacquet de La Guerre n’a pas manqué de faire face. Ce qui la distingue d’ailleurs de ses collègues, c’est qu’elle ne se voit pas donner de seconde chance après cet échec, destin que rencontrera encore la talentueuse Louise Bertin dans les années 1830. C’est bien fâcheux, car ce premier essai lyrique est plus que prometteur.

D’aucuns ont aussi incriminé le librettiste, Joseph-François Duché de Vancy. Le poème ne brille certes pas d’un génie étincelant, mais le drame est troussé efficacement, avec tous les éléments familiers du modèle lulliste. Si les vers sont parfois faibles, d’autres scènes ne manquent pas d’allure : on préfère la confrontation d’Aurore et Céphale (acte III) aux échanges de Procris et Borée (acte I). Surtout, le drame s’achève sur une fin tragique, chose fort rare à l’époque.

L’intrigue, justement : Céphale et Procris s’aiment, mais le premier est convoité par la déesse Aurore, la seconde par Borée. Ce dernier cherche en vain à s’attirer les faveurs de Procris au début du I. Céphale arrive en grande pompe pour épouser sa promise, mais un oracle interrompt les noces : les dieux s’opposent à l’union. Le couple se lamente au II, Aurore se présente en alliée de Céphale. Mais après lui avoir offert un voluptueux divertissement au III, elle lui avoue son amour. Refus de Céphale, dépit d’Aurore. La déesse invoque la Jalousie pour empoisonner l’esprit de Procris au IV : la jeune fille rejette Céphale qu’elle croit infidèle, et se résout à épouser Borée. Repentante, Aurore révèle sa manipulation au V, mais trop tard : Céphale a blessé Procris en voulant frapper Borée, la princesse meurt dans ses bras.

On apprécie un prologue plutôt vif qui témoigne de la belle veine mélodique de la musicienne. Pourtant l’acte suivant est assez plat : ni le librettiste ni la compositrice n’y donnent leur meilleur. L’opéra ne fait que s’améliorer ensuite, tout l’intérêt venant des figures de Céphale, Procris et Aurore, et culmine avec le dépouillement progressif de l’acte V. La pompe de la tragédie lyrique s’y efface jusqu’à une émouvante scène finale, d’une maîtrise et d’une sobriété rare, annonçant la radicalité de Callirhoé (Destouches et Roy, 1712).

Cette intégrale a été gravée juste avant le concert versaillais de 2023, auquel était présent Clément Mariage. Reinoud van Mechelen dirige A nocte temporis en même temps qu’il interprète Céphale (et Nérée du prologue). Dans le sillage de ses beaux récitals (appréciés ici, ici et ), l’artiste prouve qu’il tient la route à l’échelle d’une œuvre complète. Tout est en place, expressif, avec un style impeccable et des couleurs chaudes. Manque à peine un peu plus de netteté dans le dessin, de nerf dans la mécanique tension/détente de phrasés typiquement français. Les danses, toujours élégantes, pourraient avoir plus de rebond et d’allant. Mais ces réserves apparaissent bien négligeables tant l’essentiel est là : l’éloquence, la sensibilité, les nuances dans la conduite des récitatifs… C’est bien une direction de chanteur, particulièrement attentif aux inflexions du texte. Comme chanteur justement, la haute-contre n’est plus à vanter, et s’anime ici particulièrement quand la situation l’appelle. L’air « Amour, que sous tes lois cruelles » a décidément de quoi s’imposer comme joyau de cette tessiture.

Aurore intéresse dès son entrée. On découvre en Ema Nikolovksa, mezzo canadienne originaire de Macédoine, une voix presque fauve qui miaule, vitupère ou caresse. Singulière dans le soin qu’elle apporte à varier les couleurs et les accents avec beaucoup d’originalité, elle tranche dans un répertoire souvent policé et générique, ce qui nous semble très appréciable. Bien timbrée dans un rôle assez central, Déborah Cachet dessine une noble Procris, qui n’a rien du « rôle à mouchoir » éploré (bel air « Lieux écartés, paisible solitude »). Est-un hasard si les deux principaux rôles féminins sont les plus agissants et intéressants ?

Aucune faille toutefois dans le reste de la distribution. Lore Binon campe une charmante Flore dans le prologue, mais pourrait donner plus de piquant à Dorine, comparse d’un Samuel Namotte également sage en Arcas. Borée est dramatiquement mal valorisé, mais Lisandro Abadie s’y montre aussi impeccable qu’en Pan du prologue. Très à son aise dans des rôles de taille, Marc Mauillon a malheureusement peu à chanter, tandis que Gwendoline Blondeel a plus d’occasions de se faire valoir ; mais les deux parviennent en peu de vers à animer leurs multiples personnages. Le Chœur de chambre de Namur sait mettre en valeur collectivement certains mots pour donner beaucoup de relief et de clarté au texte. De cet ensemble, Wei-Lang Huang, Pauline De Lannoy, Gert-Jan Verbueken et Laurent Bourdeaux se distinguent efficacement dans de petits rôles, en particulier les deux dames.

À l’heure où l’Académie royale de musique et son public se cherchaient, Élisabeth Jacquet de La Guerre explorait elle-même son talent dans le genre. Quel dommage qu’elle n’ait pas pu l’aiguiser davantage, car ce Céphale et Procris a plus qu’une valeur documentaire.

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Céphale et Procris

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Musique d’Élisabeth Jacquet de La Guerre sur un livret de Joseph-François Duché de Vancy

Création en mars ou avril 1694 sur la scène du Palais Royal à Paris

Détails

Céphale, Nérée
Reinoud Van Mechelen
Procris
Déborah Cachet
L’Aurore
Ema Nikolovska
Flore, Dorine
Lore Binon
Iphis, la Prêtresse, nymphe
Gwendoline Blondeel
La Jalousie, un dieu de la mer, un Thrace
Marc Mauillon
Borée, Pan
Lisandro Abadie
Arcas
Samuel Namotte
Nymphe, Athénienne, une suivante de la volupté
Wei-Lang Huang
Athénienne, une bergère
Pauline De Lannoy
Un pâtre, la Rage
Gert-Jan Verbueken
Le roi, le Désespoir
Laurent Bourdeaux

Chœur de Chambre de Namur

A nocte temporis
Direction musicale
Reinoud van Mechelen

2 CD Château de Versailles Spectacles (75’50 et 72’05)
Enregistré les 17, 18, 21, 22, 23 janvier 2023 à Namur

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