Cette nouvelle production de The Exterminating Angel, la seconde depuis sa création au festival de Salzbourg le 28 juillet 2016, apparaît comme une forme d’intronisation de l’œuvre au répertoire contemporain. L’Avant-Scène Opéra le confirme en lui consacrant son 338e numéro.
1. Le compositeur
Né à Londres en 1971, Thomas Adès fait partie des quelques compositeurs de notre temps dont la renommée dépasse le cercle des amateurs de musique contemporaine. Après des études de piano à la Guildhall School of Music de Londres, il se détourne d’une carrière de concertiste pour aborder le domaine de la composition. Lorsqu’il obtient son diplôme en 1992, il est déjà l’auteur de plusieurs partitions remarquées. Présenté alors comme le successeur de Britten, il se plait à brouiller les pistes en s’illustrant dans tous les genres à l’exception de la musique avec électronique, car dépendante selon lui de technologies soumises à obsolescence. C’est seul, en autodidacte, qu’il apprend le métier de chef d’orchestre afin de diriger sa propre musique puis celle des compositeurs qu’il admire : Berlioz, Sibelius, Stravinsky (l’auteur du Rake’s Progress plus que celui du Sacre du printemps), Tippett, Couperin, le dernier Liszt, Janáček, Berg (en particulier pour Lulu) ou encore Kurtág. (source : Ircam-Centre Pompidou)
2. La genèse
The Exterminating Angel est le troisième opéra de Thomas Adès, après Powder her face (1994) et The Tempest (2004). Cette nouvelle œuvre lyrique trouve son inspiration dans El ángel exterminador, le film de Luis Buñuel que le compositeur avait découvert à l’âge de 12 ans grâce à sa mère, Dawn Adès, historienne d’art spécialiste du surréalisme. L’idée d’une adaptation musicale de ce film a longtemps habité Thomas Adès avant qu’il parvienne à en obtenir les droits en 2011. La composition est achevée en 2015. Le livret, co-écrit avec le metteur en scène de la création Tom Cairns, intègre au scénario original différents matériaux extérieurs dont des poèmes de Buñuel. Les dialogues, traduits de l’espagnol vers l’anglais afin d’en faciliter le traitement musical, ont été écourtés, les scènes élaguées et le nombre de personnage réduit, pour aboutir à une partition de deux heures environ, créée avec succès en 2016 au festival de Salzbourg en coproduction avec le Royal Opera House, le Metropolitan Opera et le Royal Danish Opera.
3. L’argument
A l’issue d’une représentation de Lucia di Lammermoor, les époux Nobile, Lucia et Edmundo, organisent dans leur luxueuse demeure une réception en l’honneur de la cantatrice Leticia Meynar. D’étranges événements ponctuent les conversations. Les invités ne partent pas puis, la nuit passant, réalisent qu’ils ne peuvent pas sortir du salon. Julio, le domestique venu apporter le chariot du petit-déjeuner, se trouve à son tour bloqué dans la pièce. Tandis que la foule contenue par l’armée tente d’entrer dans la maison, la panique succède à l’inquiétude. La situation devient grandguignolesque. Des agneaux puis un ours font irruption. Après moults péripéties, les convives croient être parvenus à sortir lorsque certains d’entre eux, horrifiées, comprennent qu’ils ne peuvent toujours pas quitter la pièce. « Buñuel souhaitait que les spectateurs acceptent le mystère de son film sans chercher sa signification », explique Hélène Cao dans L’Avant-Scène Opéra, « Pour Adès, la vraie question n’est pas de comprendre pourquoi les personnages n’arrivent pas à sortir de la pièce, mais pourquoi ils veulent partir. »
4. La partition
Avec un tel sujet, rien d’étonnant à ce que la musique de The Exterminating Angel puisse sembler oppressante. La répétition de plusieurs motifs mélodiques n’est pas étrangère à cette impression. « La tonalité est une conséquence des processus harmoniques et des cycles intervalliques, rarement leur point de départ », prévient Hélène Cao dans son Guide d’écoute. La partition reste cependant accessible grâce à l’intégration de structures familières et de références. Ainsi la valse s’invite à plusieurs reprises. Lors de la composition, Thomas Adès confie avoir eu l’opérette viennoise en tête, notamment Die Fledermaus dont plusieurs motifs mélodiques sont cités. Cette écriture savante n’exclut ni les airs, ni les ensembles. Les duos entre Beatriz et Eduardo forment des parenthèses au lyrisme bienvenue. L’usage de percussions insolites, les combinaisons inhabituelles de sonorités, la gamme de nuances offrent à l’orchestre une palette irisée de couleurs, les ondes Martenots associées au rôle de l’Ange Exterminateur faisant exception à la règle que s’est fixée Thomas Adès de ne pas utiliser d’électronique (voir plus haut).
5. Les voix
The Exterminating Angel compte une vingtaine de personnages différents dont les voix balaient un large spectre de tessitures, de la basse profonde (Conde) au contreténor (Francisco), de la mezzo-soprano proche du contralto (Leonora) au soprano colorature (Letitia). Cette dernière est sollicitée à des hauteurs stratosphériques, jusqu’au contre-la. De quoi faire passer la Reine de la nuit mozartienne pour une starlette de sous-préfecture. D’une manière générale, Thomas Adès use des zones d’inconfort et des écarts de registre comme moyen de caractérisation, condition nécessaire pour donner une personnalité musicale à chacun des nombreux protagonistes.