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Dix romans de plage pour amateurs d’opéra

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Actualité
2 juillet 2022
Dix romans de plage pour amateurs d’opéra

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Festivals exceptés, l’été s’avère souvent une saison de plaisirs difficiles à concilier avec l’opéra. Le vin rosé, les terrasses, les pique-niques en tout genre ne concèdent qu’une place restreinte à la musique classique et à la voix chantée. Les joies du bord de mer se montreraient encore plus prohibitives s’il n’y avait le « roman de plage ». Le genre longtemps supposé facile s’ouvre désormais à des ouvrages plus exigeants. La COVID a cassé les codes, nous dit-on. La saisonnalité en matière d’édition n’est plus de mise. Le livre de plage peut ne pas être futile. Bonne nouvelle qui ouvre des perspectives sous le parasol. Voici dix conseils de lecture* pour ne pas bronzer idiot mais lyrique.

1. Honoré de Balzac : Massimilla Doni (1837)

Au sein de La Comédie humaine, œuvre monumentale dans laquelle nul ne contestera la place privilégiée accordée à l’opéra, Massimilla Doni prétexte l’opposition entre amour idéal et charnel pour décrire dans le détail une représentation de Mosè in Egitto. Balzac admirait Rossini. Mosè l’avait tant enthousiasmé que Georges Sand lui avait conseillé de transcrire ses impressions dans un roman. Laure Cinti-Damoreau, soprano célèbre pour avoir créé les premiers rôles des opéras parisiens de Rossini, servit de modèle à la Tinti dont les charmes ne laissent pas insensible Emilio – le héros de l’histoire. Et, tel Flaubert avec Emma Bovary, n’y aurait-il pas un peu du romancier lui-même dans Capraja, surnommé « il fanatico », un aristocrate vénitien fou d’acrobaties vocales ?

Savez-vous maintenant en quoi consiste la supériorité de l’œuvre que vous avez entendue ? […] La musique de cet oratorio contient un monde de ces choses grandes et sacrées. Une œuvre qui débute par cette introduction et qui finit par cette prière est immortelle…

2. George Sand : Consuelo (1843)

Avec l’opéra pour matière première, Consuelo se range dans la catégorie des romans historiques. Sur les chemins de l’Europe et de l’amour au 18e siècle, l’héroïne éponyme, élève de Porpora, a été inspirée par deux cantatrices : Gertrude Elisabeth Mara (1749-1833), soprano volage au caractère capricieux, et Pauline Viardot (1821-1910) avec laquelle Georges Sand entretint une longue amitié. S’il est moins connu que d’autres romans du même genre ou du même auteur, le récit, attisé par des situations rocambolesques et zébré d’éclairs romantiques, rivalise sans peine avec les épopées les plus haletantes d’Alexandre Dumas.

La Corilla venait d’ouvrir la séance par un grand air bien chanté et vivement applaudi ; cependant le succès qu’obtint le jeune débutant effaça tellement le sien qu’elle en ressentit un mouvement de rage.

3. Gustave Flaubert : Madame Bovary (1857)

On l’a peut-être oublié : une représentation de Lucie de Lammermoor à Rouen joue un rôle clé dans l’histoire de Madame Bovary. Dans L’Avant-Scène Opéra, Joël-Marie Fauquet analyse les correspondances entre les deux héroïnes – Emma et Lucie – jusqu’à démontrer que le roman de Flaubert se présente comme le miroir du chef-d’œuvre de Donizetti. Sous cet angle original, voilà une bonne raison de (re)lire un des plus grands classiques de la littérature française.

Cependant les bougies de l’orchestre s’allumèrent ; le lustre descendit du plafond, versant avec le rayonnement de ses facettes une gaieté subite dans la salle ; puis les musiciens entrèrent l’un après l’autre, et ce fut d’abord un long charivari de basses ronflant, de violons grinçant, de pistons trompettant, de flûtes et de flageolets qui piaulaient. Mais on entendit trois coups sur la scène ; un roulement de timbales commença, les instruments de cuivre plaquèrent des accords, et le rideau, se levant, découvrit un paysage.

4. Elémir Bourges : Le Crépuscule des Dieux (1884)

Dans les dernières décennies du 19e siècle, un raz-de-marée wagnérien emporte tous les arts sur son passage. Si la digue de la musique est la première à céder, la littérature a tôt fait aussi de boire le bouillon. C’est ainsi qu’après la découverte de la Marche funèbre de Götterdammerung aux Concerts Pasdeloup en 1878, Elémir Bourges tente d’appliquer à l’écriture certaines techniques musicales. Avec pour sujet la décadence d’une famille princière et pour thème principaux l’or et l’inceste, Le Crépuscule des Dieux puise non seulement son titre mais aussi son inspiration directement aux sources du Rhin. Non sans talent. Jean Cocteau, citant Eschyle et Shakespeare, estimait que « ce livre est de la race des livres tombés du ciel »

Au milieu du profond silence, une marche solennelle se déroulait, la marche de la mort des Dieux, car le héros Siegfried venait d’être tué, et tous les Dieux mouraient de cette mort. Et le Duc écoutait, stupéfait, cette lamentation funèbre qui l’étonnait par une horreur et une majesté surhumaines. Il lui semblait qu’elle menait le deuil de tout ce qu’il avait connu et aimé, le deuil de ses enfants, le deuil de lui-même, et le deuil des Rois dont il voyait l’agonie en quelque sorte, et le crépuscule de ces dieux.

5. Jules Verne : Le Château des Carpathes (1892)

Plus d’un siècle avant le concert posthume de Maria Callas Salle Pleyel, Jules Vernes inventait l’hologramme. Dans une Transylvanie d’opérette, le comte Franz de Télek se trouve face à la Stilla, une cantatrice italienne qu’il croyait morte. Par quel prodige, son ennemi juré, Rodolphe de Gortz, a-t-il pu ressusciter la jeune femme ? En une juste réponse du berger à la bergère, ce Château des Carpathes a inspiré au compositeur Philippe Hersant un opéra créé à Montpellier en 1992.

Mais ce costume, n’était-ce pas celui que portait la Stilla dans cette scène finale d’Orlando, où Franz de Télek l’avait vue pour la dernière fois ? Oui ! et c’était la Stilla, immobile, les bras dirigés vers le jeune comte, son regard si pénétrant attaché sur lui… « Elle !… Elle !… » s’écria-t-il.  Et, se précipitant, il eût roulé jusqu’aux assises de la muraille, si Rotzko ne l’eût retenu…

6. Gaston Leroux : Le Fantôme de l’Opéra (1910)

La légende d’un pianiste, follement amoureux d’une ballerine qui serait morte dans l’incendie de la salle Le Peletier en 1873, l’effondrement du lustre en 1896 lors d’une représentation de Faust, et plus encore l’architecture efflorescente du Palais Garnier attisent l’imagination de Gaston Leroux. Paru sous forme de feuilleton dans Le Gaulois, Le Fantôme de l’Opéra connaît un succès tel que beaucoup aujourd’hui encore sont convaincus de l’existence, consacrant l’un des quelques triomphes de la fiction sur la réalité.

Et c’est vrai que, depuis quelques mois, il n’était question à l’Opéra que de ce fantôme en habit noir qui se promenait comme une ombre du haut en bas du bâtiment, qui n’adressait la parole à personne, à qui personne n’osait parler et qui s’évanouissait, du reste, aussitôt qu’on l’avait vu, sans qu’on pût savoir par où ni comment. Il ne faisait pas de bruit en marchant, ainsi qu’il sied à un vrai fantôme. 

7. Marcel Proust : A la Recherche du Temps perdu (1913-1927)

Source intarissable d’exégèse, A la Recherche du Temps perdu se trouve souvent passé au crible d’une grille de lecture musicale. Ainsi continue-t-on d’interroger les origines de la Sonate de Vinteuil. Ainsi commente-t-on les correspondances avec Parsifal – le temps devenu espace, les filles-fleurs… Ainsi a-t-on comptabilisé les compositeurs les plus cités par Proust : Wagner donc (une cinquantaine de fois), Beethoven (environ 25 fois), Schumann puis Debussy (une douzaine de fois), Bach (une dizaine de fois) mais aussi Fauré, Franck, Saint-Saëns, Berlioz, Liszt, Bizet et même, plus contemporains du romancier, Richard Strauss et Mascagni (pour le mauvais goût de sa Cavalleria rusticana), sans oublier évidemment Halévy dont l’air d’Eléazar dans La Juive vaut le surnom de « Rachel quand du Seigneur » à la pensionnaire de la maison de passe fréquentée par le Narrateur, appelée à devenir la maîtresse de Saint-Loup puis une actrice célèbre selon le procédé, fréquent dans La Recherche, de transmutation des personnages.

« La patronne qui ne connaissait pas l’opéra d’Halévy ignorait pourquoi j’avais pris l’habitude de dire : « Rachel quand du Seigneur ». Mais ne pas la comprendre n’a jamais fait trouver une plaisanterie moins drôle et c’est chaque fois en riant de tout son cœur qu’elle me disait :
— Alors, ce n’est pas encore pour ce soir que je vous unis à « Rachel quand du Seigneur » ? Comment dites-vous cela : « Rachel quand du Seigneur ! »

8. Franz Werfel : Verdi ou le roman de l’opéra (1923)

1883 : en proie au doute, Verdi erre incognito dans Venise désormais acquise au culte de Wagner. La confrontation – indirecte – entre les deux compositeurs aboutira aux ultimes chefs-d’œuvre que sont Otello et Falstaff. Dans ce « roman de l’opéra », Franz Werfel (qui épousera en 1929, Alma Mahler, la veuve de Gustav) met en application le secret de l’art tel que le professait Verdi : « Peindre la vérité, c’est bien, je ne dis pas non, mais l’inventer, c’est tellement mieux. »

Le crâne énorme de Wagner scintillait comme auparavant. Sa femme regardait tristement devant elle. Et Verdi était là, debout : apercevant dans la lumière formidable de la lune le bord de la gondole qui venait presque effleurer la sienne, il pensa : « Proche à le toucher ! », mais dans son esprit agité où vaguaient encore des idées tournant autour de la mort et du meurtre, les mots se brouillèrent, et il sembla au maestro qu’il se fût promis en pensée : « Proche à le tuer ! »

9. Dino Buzzati : Panique à la Scala (1949)

A la fin des années 1940, une soirée de première à la Scala offre l’occasion d’un portrait au vitriol de la bourgeoisie milanaise. Ecrit dans un contexte politique particulier (l’attentat contre Palmiro Togliatti, le secrétaire général du Parti communiste italien), « Panique à la Scala » donne son titre à un recueil de vingt-quatre nouvelles, genre dans lequel excelle Dino Buzzati, auteur aussi de plusieurs livrets d’opéra.

La tête pleine de ces questions sans réponse, il parvint place de la Scala. Et d’un coup, toutes ses idées noires s’envolèrent à la vue du bouillon de culture qui fermentait aux portes du théâtre, des dames qui se hâtaient dans un froufrou de traînes et de longs voiles, des badauds et curieux amassés, de l’encombrement des splendides autos au travers des vitres desquelles on pouvait deviner des rangées de diamant, des corsages immaculés, de belles épaules dénudées.

10. Jean-Nicholas Vachon : Le voleur de voix (2011-2013)

Maria Callas, Farinelli et la Malibran réunis dans un même roman, fleuve qui plus est : trois volumes de près de 600 pages chacun. Il n’est pas question ici de littérature au sens noble du terme – si tant est que le terme puisse accepter un tel sens – mais de lecture avec tout ce que le mot pour le coup comporte de plaisir. Avec cette histoire de vampire dont la morsure assure aux chanteurs l’immortalité, ce Voleur de Voix se dévore comme une série Netflix et s’avère finalement le seul véritable « roman de plage » de cette sélection.

La chanteuse referma la porte de sa loge dès que le valet venu y déposer un dernier bouquet de fleurs, eut quitté les lieux. Plus que quelques minutes avant qu’elle n’entre en scène ! De là où elle se tenait, enfin seule et silencieuse, elle pouvait entendre la rumeur vibrante des vivats de ceux qui s’étaient rassemblés pour venir l’acclamer. 

* Cette liste n’est évidemment pas exhaustive. Nous invitons nos lecteurs à partager leurs recommandations dans la zone « Commentaires » ci-dessous.
 

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