Forum Opéra

Dolora Zajick : « J’adore jouer les méchantes »

arrow_back_iosarrow_forward_ios
Partager sur :
Partager sur facebook
Partager sur twitter
Partager sur linkedin
Partager sur pinterest
Partager sur whatsapp
Partager sur email
Partager sur print
Interview
5 juillet 2010

Infos sur l’œuvre

Détails

Dolora Zajick est une légende vivante. Depuis plus de deux décennies, elle chante les plus grands rôles dramatiques dans les plus grandes maisons d’opéras et elle est sans égale dès qu’il s’agit des mezzos verdiens : Amneris, Azucena, Eboli… Son Jezibaba dans Rusalka de Dvorak au Met était fascinante. La saison prochaine, on l’attend au même endroit en Comtesse de La Dame de Pique et en Azucena. En parallèle, elle a inauguré il y a quelques années un programme pour former les jeunes chanteurs au répertoire dramatique. Rencontre Outre-Atlantique.

 

 

Quelle a été votre formation musicale ?

 

Je n’ai pas appris le piano ou la guitare et j’ai découvert pour la première fois l’opéra à l’âge de seize. C’était Le Medium à la télévision. Il y avait cependant une tradition vocale dans ma famille et bien que nous ne comptions pas de chanteurs professionnels, notre entourage comportait des musiciens. Mes grands-parents maternels avaient tous les deux des voix graves. Malheureusement, ils sont maintenant un peu sourds. Mon grand-père paternel, sans jamais prendre de leçons de musique, a appris tout seul à jouer d’oreille au piano l’une des rhapsodies hongroises de Liszt. Il était tout simplement d’instinct un merveilleux musicien.

En fait, commencer à apprendre la musique à l’adolescence n’est pas vraiment un problème du moment que vous avez un sens musical naturel. Dans notre programme de formation des chanteurs, nous avons découvert qu‘avoir une bonne musicalité est encore plus important que déchiffrer la musique.

 

A quel âge peut-on commencer à prendre des leçons de chant ?

 

Généralement, on dit qu’il ne faudrait pas commencer avant une petite vingtaine d’année. Dans la pratique, c’est un peu différent. Autrefois, les chanteurs prenaient souvent leurs premières leçons à douze ans. Personnellement, je pense que, plus vous commencez tôt, plus c’est facile. Ce qui ne m’empêche pas d’être convaincue que vous pouvez encore débuter votre formation à 23 ou 24 ans. Après, c’est vraiment trop tard, quel que soit votre talent. Les filles peuvent commencer aussi tôt qu’elles le souhaitent ; il faut être plus prudent pour les garçons. Leurs voix sont fragiles durant la mue.

 

Quels enregistrements d’opéras écoutiez-vous quand vous avez commencé à étudier le chant ?

 

J’écoutais tous les grands chanteurs des années 50 et 60 et je pensais qu’il s’agissait là de ce à quoi l’opéra devait ressembler. Résultat : je n’étais pas en phase avec mon époque. Je veux rétablir cette manière de chanter.

 

Parlez-nous de vos professeurs ?

 

Mon premier professeur était Rosemary Matthews qui m’envoya chez Ted Puffer au bout d’un an. Ted a été mon principal professeur de chant pendant un grand nombre d’année. C’est lui qui m’a enseigné sa technique. Après mon diplôme à l’université de Reno au Nevada, je suis parti à New York où j’ai suivi le Professional Studies Program à l’Ecole de Musique de Manhattan sous la direction d’Helen Vanni. J’appréciais son enseignement mais elle est partie à Santa Fe et je suis retourné étudier avec Ted. Au final, chacun d’entre eux m’a apporté quelque chose dont j’avais besoin. Je ne suis pas allé jusqu’au doctorat mais l’école m’en a décerné un d’honneur plus tard.

 

Est-ce que vous avez suivi des programmes pour jeunes artistes ?

 

Je figurais dans le Merola Program de l’Opéra de San Francisco et j’ai fait une tournée avec le Western Opera Theater. J’ai également été un Adler Fellow1, ce qui a donné une dimension internationale à mon parcours. J’ai eu beaucoup de chance car j’étais exactement le type de chanteuse que Terry McEwen recherchait à ce moment là. Il avait travaillé avec Ebe Stignani, Giulietta Simionato et Fedora Barbieri. Il connaissait donc la manière exacte dont sonnait leur voix. Dès qu’il m’a entendu, il a su à quelle catégorie vocale j’appartenais. Auparavant, lors d’une audition au Met, la personne en charge du programme pour jeunes artistes avait trouvé que j’étais soprano. J’aurais pu intégrer leur équipe à condition de travailler avec leurs professeurs mais j’ai alors estimé que ce n’était pas bon pour moi. J’ai eu beaucoup de chance que San Francisco arrive au bon moment parce que tous, excepté mes professeurs, disaient que je ruinais ma voix. En fait, certaines personnes sauvent leur voix au détriment de leur carrière.

 

Quels ont été vos premiers rôles ?

 

Le premier a été Kate dans The Pirates of Penzance. J’avais 22 ans. Ensuite, j’ai interprété des petits rôles tout en servant de doublure pour des rôles plus importants et en figurant dans les chœurs du Nevada Opera. A la sortie de la Manhattan School, j’ai chanté un grand nombre de personnages comme la 3e dame dans La Flûte Enchantée, Mrs Ott dans Susannah et Tisbe dans La Cenerentola. Des rôles qui m’ont apporté, jeune, une bonne expérience de la scène.

 

Quels roles préférez-vous ?

 

A vrai dire, cela change tout le temps. J’aime avant tout faire de nouvelles choses. Cela dépend avec qui je travaille et si le rôle me convient ou non. J’essaye au maximum d’éviter ce qui, à mon avis, ne me correspondra pas. J’apprécie vraiment les productions novatrices si elles sont réalisées par quelqu’un dont je respecte le travail. Dans ce cas, je sais qu’il ou elle ne trahira pas l’opéra. Malheureusement, je pense qu’il y a des gens qui se contentent juste de balancer des trucs contre un mur pour voir ce qu’il va se passer. Ils appellent ça de l’art ! Certains ne pensent pas aux aspects pratiques de la production. Il y a des idées qui paraissent bonnes sur le papier mais qui ne fonctionnent pas sur scène. Quelquefois, des metteurs en scène se trouvent dans l’impasse parce qu’ils ne parviennent pas à résoudre ces questions pratiques. D’autres, à défaut d’idées originales, copient celles de leurs collègues. Ainsi, pendant longtemps, les productions étaient en noir et blanc avec une lumière rouge. Puis il y a eu les décors aves les boites numérotées…

 

 

Pourquoi avez-vous décidé de lancer un programme de formation ?

 

Il y a des problèmes que je sens que je peux résoudre et je pensais qu’il était de mon devoir de le faire. J’ai commencé par examiner ce que pourrait proposer ce programme. Certains l’ont qualifié d’innovant et même de révolutionnaire. Il s’agit vraiment en fait d’une tentative d’exploiter des recettes qui ont fait leurs preuves dans le passé. Je l’ai mis en place avec Sarah Agler et Rosemary Mathews. Ensemble, nous avons voulu traiter de ce qui manquait aux chanteurs capables de s’illustrer dans Verdi, Strauss, Wagner, et tous les autres rôles difficiles à distribuer. Notre mission est de trouver et de développer des voix dramatiques et inhabituelles. Nous recherchons des chanteurs qui ont un potentiel dramatique afin de pouvoir les guider à travers les différentes étapes nécessaires pour construire leur carrière. Notre objectif est de les aider à éviter les pièges dans lequel tombent tant de jeunes artistes. Nous voulons les accompagner tout spécialement dans les moments où ils pourraient vocalement se sentir incompris. Nous entrons aujourd’hui dans notre quatrième année d’existence. Les voix ont pris le temps d’évoluer et maintenant quelques uns de nos chanteurs commencent à avoir fait des progrès tangibles. Evidemment, chaque année, nous trouvons de plus en plus de voix dramatiques. Il y en a beaucoup plus que l’on imagine.

 

Comment est construit ce programme ?

 

Nous avons différents coachs et accompagnateurs. Cet été, nous aurons par exemple un professeur de diction italienne qui vient de La Scala et un autre de diction allemande. Nous essayons de nous focaliser sur les domaines d’instruction à côté desquels passent de nombreux étudiants. Nous voulons donner à nos chanteurs dramatiques toutes les compétences dont profitent plus jeunes leurs collègues lyriques : cours de linguistique, musicologie, gestuelle… C’est un programme très intensif. Nous avons deux niveaux pour les débutants : le programme de découverte de l’opéra pour ceux qui n’ont pas encore été en contact avec l’opéra (il convient également à nos étudiants les plus jeunes) et le programme d’introduction à l’opéra pour les débutants plus avancés, de 15 à 22 ans. Nous éliminons les chanteurs lyriques quand ils ont atteint 23 ans mais jusqu’à cet âge, nous acceptons une grande variété de voix. La plupart d’entre elles auront démontré leur potentiel dramatique bien avant 23 ans. L’un des plus gros problèmes aujourd’hui est que les professeurs veulent faire rentrer tous les jeunes chanteurs dans le même moule. Ce n’est pas seulement une tendance américaine. Il y a le son français, le son italien, etc. Chaque nation a sa propre version de la voix générique. Nous, au contraire, voulons que nos étudiants conservent leur personnalité et leur propre sonorité

 

Quels genres de rôles devraient chanter les jeunes voix dramatiques ?

 

Beaucoup de personnes ne sont pas d’accord avec moi. Des chanteurs comme Barbieri ou Stignani ont débuté dans les grands rôles verdiens. Elles avaient tout juste vingt ans. Pour cela, vous devez avoir la voix adéquate, la bonne technique et vous devez avez travaillé quotidiennement avec un professionnel. Des leçons hebdomadaires ne sont pas suffisantes. Nous essayons de résoudre le problème des étudiants qui n’ont pas assez d’argent pour travailler avec un professionnel aussi souvent qu’ils en ont besoin. Nos élèves payent seulement la chambre et la pension et nos tarifs ne sont pas si élevés. Les cours sont gratuits.

 

Combien de vos étudiants chantent aujourd’hui sur scène ?

 

Nous n’en avons pas encore car nous les prenons très jeunes. Aucun d’entre eux n’est encore prêt. Nous avons une poignée d’étudiants plus âgés mais leur apprentissage est plus difficile. Toutefois, une élève de notre promotion intermédiaire 2009, Rachel Willis Sorenson, a été l’une des gagnantes du Metropolitan National Council Auditions. Elle est maintenant membre du Houston Grand Opera Studio.

 

Comment postuler ?

 

Tout simplement en allant sur http://www.the-zajick-program-for-young-singers.org/home.html for more information. Il suffit d’envoyer un CD avec son formulaire de demande. J’écoute d’habitude les CD quand je suis en Europe. Comme il y a des choses que l’on peut percevoir sur un CD et d’autres non, nous sélectionnons aussi les chanteurs sur audition. Nous avons tendance à préférer les jeunes candidats car notre enseignement a plus d’impact sur eux.

 

Et vous, quels sont vos projets d’ici fin 2010 ?

 

Je vais interpréter Ortrud à Los Angeles. Ce sera la première fois que je chanterai Wagner. Ortrud est un rôle fantastique et cela ne devrait pas manquer de piquant. J’adore jouer les méchantes et Ortrud en est une, définitivement. La distribution est merveilleuse. Le metteur en scène est Lydia Steier qui fait ses débuts à l’Opéra de Los Angeles. Ben Heppner sera Lohengrin, Soile Isokosky Elsa et James Conlon dirigera l’ensemble des représentations. La première est le 20 novembre 2010 et il me tarde d’y être.

 

Propos recueillis par Maria Nockin le 8 avril 2010,

adaptés en français par Christophe Rizoud

 

1 Créé en 1977 par l’Opéra de San Francisco, le Adler Fellowships est un programme de résidence in loco pour jeunes talents. Parmi les Adler Fellows, on relève les noms de Nancy Gustafson, Patricia Racette, Ruth Ann Swenson, Deborah Voigt, Brian Asawa, Monte Pederson et bien sût Dolora Zajick

Commentaires

VOUS AIMEZ NOUS LIRE… SOUTENEZ-NOUS

Vous pouvez nous aider à garder un contenu de qualité et à nous développer. Partagez notre site et n’hésitez pas à faire un don.
Quel que soit le montant que vous donnez, nous vous remercions énormément et nous considérons cela comme un réel encouragement à poursuivre notre démarche.

Infos sur l’œuvre

Détails

Nos derniers podcasts

Nos derniers swags

De superbes Vêpres imaginaires, aussi ferventes que jubilatoires
CDSWAG

Les dernières interviews

Les derniers dossiers

Dossier

Zapping

Vous pourriez être intéressé par :

Jusqu’au 28 mars 2025, la Bibliothèque-musée de l’Opéra dévoile l’univers scintillant des bijoux de scène au Palais Garnier.
Actualité
Les femmes chez Puccini, ses héroïnes ou ses maîtresses, voilà un sujet qui a fait couler beaucoup d’encre. Mais qu’en est-il des mâles ?
Actualité
[themoneytizer id="121707-28"]