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Entretien avec Damien Guillon

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Interview
11 janvier 2010

Infos sur l’œuvre

Détails

Dans la galaxie en expansion rapide des contre-ténors, émerger et surtout retenir durablement l’attention est devenu une vraie gageure. Musicien discret et subtil, Damien Guillon a su retenir celle de Philippe Herreweghe et de Maasaki Suzuki, avec lesquels il multiplie les projets et les tournées. Loin des spots et des couvertures de magazines, ces collaborations en disent long sur la valeur du contre-ténor, sans doute l’un des plus doués de sa génération. Alors que beaucoup s’échinent à ranimer le mythe des castrats et qu’une poignée de téméraires bouleversent nos habitudes en abordant Rossini, le lied ou la mélodie française, Damien Guillon a d’abord fait de Bach son pain quotidien. Un Bach à la fois pudique et ardent, spirituel et musical, qui ne pouvait que séduire ses meilleurs spécialistes. Issu de la maîtrise de Bretagne, le jeune alto a poursuivi sa formation au Centre de Musique Baroque de Versailles. Après avoir étudié notamment avec Howard Crook, Jérôme Corréas, Alain Buet et Noëlle Barker, il s’est ensuite perfectionné auprès d’Andreas Scholl, à la prestigieuse Schola Cantorum de Bâle. Loin de se consacrer au seul Cantor de Leipzig, Damien Guillon cultive un bel éclectisme, du spleen élisabéthain à l’exubérance napolitaine, guidé par son instinct musical mais aussi un instinct de survie particulièrement salutaire chez un chanteur !

 

 
 

 L’aigu, vous êtes tombé dedans petit et vous avez décidé d’y rester. Comment avez-vous découvert la voix de contre-ténor ?

 

En fait, cela s’est fait assez naturellement. J’étais soprano dans un chœur d’enfant où j’étais assez exposé, puisque j’avais la chance d’avoir beaucoup de solos. J’ai appris la musique en lisant de la polyphonie. J’ai mué vers treize ans, de manière assez progressive, commençant à perdre un peu d’aigus mais sans gagner de graves. C’était moyennement intéressant. J’ai continué dans ce chœur mais en baryton pendant une année. Pour les besoins de concerts, j’avais gardé une voix de tête utilisable…

 

Pour des rôles bouffes ?

 

Non, du tout, pour de la musique sacrée. Des enfants ont été malades pour un concert et j’ai essayé de chanter avec ma voix de tête, c’était finalement assez confortable. Ma voix s’était transformée et j’avais perdu beaucoup d’aigus par rapport à ma voix de soprano, mais j’étais assez à l’aise pour chanter des parties d’alto. J’ai dû faire deux concerts en réutilisant cette voix puis le chef de chœur avec qui je travaillais m’a dit qu’elle était intéressante et m’a proposé de la travailler ensemble. Très vite, je me suis rendu compte que j’étais plus à l’aise avec cette voix de tête qu’avec ma voix de poitrine et j’ai commencé à travailler le répertoire de contre-ténor.

 

Je vous ai entendu récemment avec le Ricercar Consort dans l’ode sur la mort de Purcell de Blow et d’autres songs de Purcell. Ce sont des pièces parfois très graves pour un contre-ténor et nettement plus confortables pour un ténor aigu, or vous donnez l’impression d’être assez à l’aise avec les changements de registre …

 

Tant mieux, car cela reste assez délicat pour moi. Quand on m’a proposé ce programme, je ne savais pas vraiment quelle partie je chanterais, et j’étais assez angoissé à l’idée de chanter des parties trop graves. Il s’est trouvé que j’ai chanté la deuxième voix, qui est vraiment très grave et j’espère que le résultat est satisfaisant…

 

Il n’y a en tout cas pas de contraste abrupt entre les registres…

 

J’y travaille beaucoup pour éviter un changement de registre trop brutal. Je travaille depuis quelques années en cours de chant pour alléger la voix de poitrine dans l’aigu afin qu’elle se rapproche le plus possible du grave de la voix de tête. Si ça marche, j’en suis ravi ! [Rires]

 

Chanter des parties de haute-contre, qui sont également assez graves, a dû vous y préparer…

 

Oui, quand j’étais étudiant à Versailles, notamment, nous chantions beaucoup de musique française. Lorsque j’étais alto dans les chœurs, j’ai interprété de nombreuses parties de haute-contre à la française tout en y étant, à l’époque, mal à l’aise, mais c’est vrai que vous êtes alors obligé de chercher des solutions. Ce répertoire m’a sans doute aidé, mais j’essaie de ne pas trop le pratiquer car la nature de ma voix est plutôt aiguë.

 

Avec ces emplois très graves, on pourrait croire que vous marchez dans les pas de Gérard Lesne, qui a multiplié les incursions dans le répertoire de haute-contre ?

 

Non, pas spécialement. A la différence de Gérard Lesne ou de Carlos Mena, si je chantais avec ma voix de poitrine, je serais baryton. Ils sont plutôt ténors et pour eux la transition avec la voix de tête est peut être plus naturelle, moins brutale, ils montent plus haut en poitrine, nous n’avons pas le passage au même endroit. Lorsque nous avons enregistré l’ode sur la mort de Purcell de Blow, les notes qui pour moi étaient délicates ne l’étaient pas pour Carlos et inversement. Il y a plusieurs types de contre-ténors comme pour les autres voix. J’ai toujours admiré la couleur vocale de Gérard Lesne, très masculine. J’essaie aussi de développer cette qualité dans ma voix plutôt que de tendre vers une voix plus proche du mezzo. Je trouve intéressante cette part de « masculinité » chez les contre-ténors, difficile à définir du reste, c’est à la fois quelque chose dans le timbre et dans la façon de chanter.

 

Ce n’est pas pour le plaisir de vous contredire, mais dans l’enregistrement des motets de Pierre Robert qui vient de sortir chez K 617, vous tenez encore une partie de haute-contre

 

Pierre Robert, c’est un peu une exception. Il y a des passages fort graves, mais aussi de nombreux motets où sont écrites deux parties de haute-contre et Robert Getchell [ténor] prenait souvent la partie plus grave. Mais les parties de haute-contre I sont parfois très aiguës dans les ensembles, jusqu’au do. Ces contre-ut deviennent vraiment délicats pour un ténor. Par exemple, au début du De Profundis, la partie est très grave pour moi, mais le caractère, le climat du motet fait qu’on ne cherche pas la puissance dans ce registre, mais plutôt la couleur des ténèbres et donc un certain inconfort. J’ai fait ce disque aussi par amitié pour Olivier Schneebeli avec qui j’ai travaillé durant mes années d’études au Centre de Musique Baroque de Versailles. En regardant les partitions, j’ai constaté qu’il y avait des parties qui seraient délicates pour moi et d’autres qui seraient aussi très délicates pour un ténor aigu. En fait, cette musique n’est idéale ni pour un contre-ténor ni pour un ténor haute-contre, il faut donc accepter de ne pas être à l’aise dans l’ensemble du programme.

 

Mais alors qui pouvait bien la chanter à l’époque ?

 

Je me demande si la voix mixte n’était pas plus utilisée par les ténors qu’elle ne l’est aujourd’hui. C’est évidemment difficile à établir, les traités de l’époque le laisse penser, mais il est difficile de décrire ce genre de subtilité technique.

 

René Jacobs serait ravi en vous entendant, c’est sa théorie de la voce mezzana

 

C’est vrai. Personnellement, je n’ai pas de théorie. Je me demande si on recherchait autant l’homogénéité de la voix qu’aujourd’hui. En outre, les pratiques étaient-elles les mêmes en France et en Italie ? On sait que selon les pays, les voix ont des caractéristiques très différentes, en raison notamment de la langue. Cela reste mystérieux et chez Purcell, nous sommes confrontés aux mêmes problèmes. La répartition des voix est assez calquée sur la musique française. On le voit dans le programme d’odes que nous venons de donner avec Philippe Herreweghe [Hail bright Cecilia, Who can from joy refrain + le Te Deum en tournée en Belgique et en France du 11 au 22 novembre].

 

C’est parfois très clair, dans « Hark each tree », par exemple, il n’y a guère de doute sur le type de voix auquel la partie aiguë est destinée…

 

Oui, c’est une partie d’alto à la barre. Par contre, « The airy violin » est assez grave et « T’is Nature’s voice » se trouve vraiment entre deux voix.

 

Pour en revenir un instant à Pierre Robert, on a un peu de mal à comprendre que des pièces aussi magnifiques restent ignorées alors que les motets du Grand Siècle sont largement revisités par les ensembles de musique ancienne.

 

Bonne question [Rires]. Il y a peut-être une explication dans le fonctionnement économique du concert aujourd’hui. Les organisateurs ont besoin de remplir les salles et c’est légitime. Programmer un compositeur quasi inconnu peut comporter des risques. Au Centre de Musique Baroque de Versailles, ce risque est calculé car il s’inscrit dans le cadre d’un Centre de recherches dont la mission est notamment d’exhumer des musiques oubliées. Je me souviens que nous y avions interprété de très beaux motets de Clérambault, qui n’ont pas été souvent donnés depuis… C’est un peu dommage. Le Centre a réalisé tout un travail sur les motets de Pierre Robert qui n’avait pas encore été fait auparavant. La musique n’était pas éditée et elle était difficile à trouver. Il y a un travail de chercheur à mener au départ et je pense que beaucoup de chefs n’ont simplement pas le temps, d’ou l’importance d’une étroite collaboration entre musicologues et musiciens.

 

Même quelques curieux qui frayent loin des sentiers battus, tels que Paul Van Nevel ?

 

Je ne sais pas si Van Nevel utilise ce genre de formation : il faut un orchestre, un double chœur de solistes, autrement dit beaucoup de monde et des moyens énormes. Comme je le disais, nous sommes dans des logiques commerciales et il y a parfois des freins budgétaires. En tout, il n’y a pas de raison musicale pour ne pas jouer ce répertoire.

 

Vous étiez également à l’affiche du Sant’Alessio monté par Benjamin Lazar et William Christie. Avec huit contre-ténors sur un plateau, aussi bien dans des rôles d’hommes que de femmes, l’ambiance doit être assez particulière…

 

Un peu, oui [Rires].

 

Quelque part entre émulation et rivalité ? Je ne vous demande pas de donner des noms bien sûr !

 

Non, heureusement, je n’ai pas ressenti – et les autres non plus je crois – de concurrence entre nous, il n’y avait pas de chanteurs qui cherchaient à se voler la vedette. Nous étions huit contre-ténors avec des niveaux de médiatisation assez différents, les uns extrêmement médiatisés comme Philippe Jaroussky ou de plus en plus comme Max Cencic, d’autres moins, comme moi. Par contre, être entouré pendant des mois par plusieurs chanteurs qui ont le même type de voix, est une expérience parfois déroutante.

 

Quand deux contre-ténors se rencontrent pour la première fois, de quoi parlent-ils ?

 

Personnellement, j’essaie de parler de tout sauf de chant, mais fatalement, on finit par parler un peu de musique et de chant.

 

Par exemple de la manière dont vous avez choisi de développer cette voix ?

 

Non, pas tellement, dans mon cas. Nous parlons parfois de détails techniques. Etant confrontés aux mêmes difficultés, il peut être enrichissant de comparer notre manière d’aborder les différents problèmes. Sur le Sant’Alessio, nous étions huit contre-ténors, mais avec des voix très différentes, c’est pourquoi je pense que le spectacle était assez riche en termes de couleurs vocales.

 

Vous venez de créer votre propre ensemble, le Banquet céleste. Le contexte économique n’est plus du tout le même qu’à l’époque ou René Jacobs fondait le Concerto Vocale ou Gérard Lesne, Il Seminario Musicale…

 

C’est certain. Or, qui ne crée pas son propre ensemble aujourd’hui ?

 

Effectivement, un autre jeune contre-ténor français, Raphaël Pichon, par exemple, vient lui aussi de créer l’ensemble Pygmalion. Comment se lance-t-on dans une telle aventure ?

 

Je m’y lance avec prudence. Ce n’est peut-être pas la meilleure manière de s’y lancer, je n’en sais absolument rien. En tout cas, j’y ai bien réfléchi et je ne veux pas abandonner les ensembles avec lesquels j’ai la chance de travailler comme le Collegium Vocale ou le Bach Collegium Japan de Masaaki Suzuki. J’apprends beaucoup avec eux, nous montons d’excellents programmes et je considère vraiment comme une chance d’y prendre part. En fait, j’ai été invité pour donner des récitals dans certains festivals et il s’agissait de décider par quel orchestre je serai accompagné. Comme je suis très intéressé par la direction depuis mon plus jeune âge et qu’il s’agissait dans un premier temps de musique de chambre, je préférais faire venir des musiciens avec lesquels j’avais envie de travailler. Par la suite, il a fallu trouver un nom pour l’ensemble et les choses se sont mises en place progressivement, pas du jour au lendemain, de manière arbitraire.

 

Y a-t-il un noyau fixe de musiciens ou est-ce plutôt un ensemble à géométrie variable ?

 

Plutôt, oui, tout dépend du répertoire. Nous avons plusieurs programmes avec un quatuor à cordes et continuo. Il y a la fois quelques musiciens parisiens et d’autres que j’ai rencontrés au Collegium Vocale. J’ai eu la chance, par exemple, d’avoir la formidable violoncelliste Ageet Zweistra ainsi que le violoniste Baptiste Lopez il y a trois jours pour un concert [Stabat Mater de Pergolesi avec Céline Scheen à l’Oratoire du Louvre, le 26 novembre].

 

Tenez-vous parfois le clavecin ?

 

Pas pour le moment. On ne me connaît pas du tout comme claveciniste en France et il y en a tellement d’excellents.

 

Même pas pour diriger ?

 

Peut-être, à l’avenir, sur des projets avec une plus grande formation.

 

René Jacobs qui, contrairement à vous, n’est pas du tout claveciniste, n’hésite pas à diriger depuis le clavier…

 

Oui, je crois plutôt pour diriger des opéras ou des oratorios, comme on le faisait à l’époque. C’est une chose que j’aimerais beaucoup pratiquer.

 

Je vous pose la question, parce que vous êtes aussi continuiste.

 

Oui. Malheureusement, je n’ai que très peu d’occasions de jouer le continuo. On ne peut pas tout faire et je pense que cela ne viendrait à l’idée de personne en France de m’appeler pour tenir le clavecin dans un continuo. Mais je ne l’exclus pas pour de futurs projets. Je n’envisage pas forcément de chanter toute ma vie, même si j’adore le chant et que j’y prends beaucoup de plaisir. Il y aurait une vie possible pour moi en tant que musicien sans le chant, mais pas dans l’immédiat.

 

L’année dernière, vous avez été invité en résidence au festival de Saintes, haut lieu de la musique ancienne. Est-ce une forme de consécration ?

 

Je ne le prends pas ainsi, c’est plutôt un grand honneur. Stephan Maciejewski m’a vraiment accordé une énorme confiance et je lui en suis très reconnaissant. La première année, j’ai été amené à Saintes par Philippe Herreweghe, nous avons donné des cantates avec le Collegium Vocale et l’année suivante Stephan Maciejewski m’a proposé un récital, en me laissant carte blanche à la fois pour le programme et pour le choix des musiciens. C’est assez rare. Je ne parlerai pas de consécration parce que je n’ai pas le sentiment d’être arrivé au sommet de quelque chose. J’y suis allé humblement, avec la conscience de la chance qui m’était donnée, et en essayant de faire le mieux possible.

 

C’est au moins le signe tangible d’une reconnaissance par vos pairs ?

 

Oui, certainement.

 

Alors que la médiatisation n’est pas nécessairement un gage de qualité artistique…

 

Ce n’est pas parce qu’on est très médiatisé qu’on est reconnu par ses pairs, c’est vrai, mais fort heureusement la majorité des artistes très médiatisés ne le sont pas pour rien. [Rires]. La reconnaissance des musiciens avec qui je travaille compte beaucoup pour moi. Pour pouvoir faire de la musique ensemble, il est primordial de sentir qu’on est apprécié et considéré comme un musicien à part entière. Ceci étant, même si je ne me plains pas de mon parcours, il est un peu frustrant, parfois, de voir qu’une porte n’est qu’à moitié ouverte, voire totalement close alors qu’elle est grand ouverte pour d’autres, dans des répertoires et des rôles qu’on est capable d’assumer, à l’opéra comme au concert. Il en va ainsi pour de nombreux musiciens, nous devons tracer notre propre parcours. Nous vivons à une époque où on fait croire au public – et aux artistes aussi quelque part – qu’être une « star » est un but en soi. Or, il me semble que l’on peut vivre de son art sans emprunter forcément la voie d’une hyper médiatisation. C’est là un tout autre domaine, qui n’a rien à voir avec le travail de musicien. Stephan Maciejewski ose prendre des risques, que j’imagine calculés, en programmant des œuvres et des artistes moins connus aux cotés de musiciens plus accomplis, je trouve que c’est une démarche intéressante pour le public. Découvrir d’autres répertoires mais aussi différentes manières de vivre la musique représente un véritable enrichissement.

 

En décembre, vous serez en tournée au Japon, pour Rinaldo et le Messie. S’agit-il de la production dirigée l’été dernier à Edinburgh par Masaaki Suzuki ?

 

Oui, mais pas tout à fait avec le même casting. Certains chanteurs n’étaient probablement pas disponibles.

 

Vous avez un répertoire éclectique, mais on vous entend peu dans l’opera seria.

 

On ne m’y entend presque pas et ce pour plusieurs raisons. On ne vient pas de nulle part, notre formation oriente nos choix des répertoires. Enfant déjà, j’ai chanté sur scène, mais je nourrissais au départ un énorme complexe parce que je n’avais pas fait d’études au conservatoire et je n’ai guère suivi de cours de théâtre. J’arrive sur scène un peu en autodidacte et j’ai donc appris beaucoup sur les productions auxquelles j’ai participé. Il y a aussi une question vocale. Beaucoup de rôles sont très lourds et je ne veux pas m’y lancer trop jeune. Il y a de temps en temps des projets, généralement des seconds rôles, où je suis par contre totalement à l’aise. Je crois qu’il faut vraiment l’être pour défendre un rôle sur scène car on doit gérer de nombreux paramètres extérieurs au chant et si on n’est pas vraiment à l’aise techniquement, on peut vite se laisser déborder par le jeu et se laisser aller à des pratiques vocales pas très saines.

 

En somme, vous préférez vous donner le temps de mûrir pour ne pas vous brûler les ailes.

 

Oui, puis je ne sais pas si, de toute façon, je ferai beaucoup d’opera seria. Je vais notamment reprendre Eustazio [Rinaldo] à l’Opéra de Cologne en 2011. C’est un rôle où je me sens bien vocalement et scéniquement.

 

Etes-vous plus à l’aise dans l’opéra du XVIIème siècle, souvent moins lourd vocalement, mais plus exigeant sur le plan théâtral ?

 

Je ne l’ai pas encore beaucoup pratiqué, mais j’ai notamment chanté le rôle d’Ottone à Tokyo au mois de mai dernier, c’est un rôle qui me plaît beaucoup dans une configuration orchestrale proche de la musique de chambre. J’y suis peut être aujourd’hui plus à l’aise que dans les grands rôles haendéliens où, en plus, on s’habitue maintenant à des voix très larges. Je pense à un rôle comme Jules César qui est parfois même tenu par des voix très lyriques à côté desquels on pourra trouver qu’un contre-ténor manque de volume.

 

Vous donnez en concert des cantates de Leo et de Porpora, or ces compositeurs sont assez décriés par les temps qui courent. On dénonce la faiblesse de leur musique et prétend qu’ils ne sortent de l’oubli qu’en raison de la fascination du public pour le répertoire des castrats. Que diriez-vous pour leur défense ?

 

Je répondrai d’abord qu’ils sont très représentatifs d’une époque et qu’il me paraît un peu sévère d’affirmer qu’à telle époque, la musique était totalement inintéressante. Il n’y a pas que des chefs-d’œuvre chez Leo et Porpora. J’ai lu quelques cantates de Porpora qui étaient clairement moins brillantes que d’autres et j’ai essayé de construire mon programme autour des pièces qui me semblaient musicalement les plus riches. La musique napolitaine a vraiment un style caractéristique, l’ornementation mais aussi la basse continue est extrêmement virtuose, en particulier pour le violoncelle. L’instrument quitte sa fonction d’accompagnement et nous avons de véritables duos avec la voix. Je trouve un peu catégorique de décréter qu’une musique est sans intérêt, ainsi qu’on l’entend parfois dire pour des compositeurs comme Telemann, qui a écrit des choses incroyables dont une magnifique Passion, sous prétexte que certaines œuvres sont moins abouties. Ces musiciens devaient aussi écrire sur commande, avec des échéances parfois très rapprochées, tout ne peut pas être brillantissime. J’ai pris beaucoup de plaisir avec ce programme de musique napolitaine.

 

Quels sont les projets, comme soliste et avec le Banquet Céleste, dont vous pouvez déjà nous dire un mot ?

 

Si tout va bien, un premier disque, cette année, consacré aux lute songs de Dowland, puis un programme de Cantates pour Alto solo de J.S. Bach.

 

Elles semblent un peu délaissées par les contre-ténors…

 

C’est vrai ? Andreas Scholl vient d’en enregistrer, il n’y a pas si longtemps.

 

Oui, mais c’est pratiquement le seul et à l’entendre, il serait prêt à ne plus chanter que des lute songs le reste de sa vie ! Il y aura sûrement encore d’autres albums.

 

Sûrement, je sais qu’il aime beaucoup ce répertoire. J’aimerais enregistrer aussi les cantates pour alto de Bach avec le Banquet céleste.

 

Vous pourriez nous rappeler d’où vient le nom de votre ensemble ?

 

C’est notamment une œuvre de Messiaen, mais aussi un recueil d’un compositeur fort peu connu, Daniel Danielis.

 

Un Liégeois installé en France.

 

Oui, il a vécu en Bretagne et a été maître de chapelle à Vannes. Comme je suis breton, c’était un petit clin d’œil à ma région natale. Il a publié un recueil de motets qui porte ce titre.

 

Agnès Mellon en a enregistré quelques uns avec Christophe Rousset.

 

Oui, il existe également un très beau disque de Frédéric Desenclos et l’ensemble Pierre Robert.

 

Et si demain tout devenait possible, quel(s) rêve(s) réaliseriez-vous ?

 

Si je pouvais conjuguer à la fois une vie de chanteur et de chef, cela me passionnerait.

 

Quelles œuvres vous tiendraient particulièrement à cœur ?

 

J’allais dire Bach, car je suis tombé dedans tout petit, mais il y a tellement de choses qui m’intéressent, c’est difficile de choisir. La musique pour chœur du XIXème siècle est également sublime, je pense aux lieder de Brahms pour chœur et piano. C’est une musique que j’adore, bien que très éloignée de ce que je fais actuellement. La direction d’un chœur pourrait faire partie de mes projets.

 

Propos recueillis par Bernard Schreuders

Paris, 28 novembre 2009

 

 

Prochains concerts 

J.S.Bach: cantate BWV 194, Trauer-Ode BWV 198. Freiburger Barockorchester, Collegium Vocale de Gand, Maasaki Suzuki.

Paris, église Saint-Roch, 11 janvier

Rouen, Théâtre des Arts, 16 janvier.

 

A la télévision 

Sur MEZZO, le 17 janvier à 10h00, Stabat Mater de Pergolesi avec Céline Scheen et le Banquet Céleste.

 

Sélection CD/DVD

J.S. Bach: cantates BWV 12, 78, 150, motet BWV 118. Fr. Lasserre. 1 CD ZIG-ZAG

Tobias Hume: the Passion of Musick. 1 CD ALPHA

Stefano Landi: Il Sant’Alessio. W. Christie/ B. Lazar 1 DVD VIRGIN CLASSICS

J.-B. Lully: grands motets. O. Schneebeli. 1 CD K617

Pierre Robert: grands motets. O. Schneebeli. 1 CD K617

 

A paraître

John Blow, Ode on the death of Mr. Henry Purcell, avec Carlos Mena et le Ricercar Consort, 1 CD MIRARE.

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