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Fiodor Stravinski, première basse du Théâtre Mariinski (1843-1902)

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Actualité
13 avril 2017
Fiodor Stravinski, première basse du Théâtre Mariinski (1843-1902)

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Malgré l’importance de The Rake’s Progress dans la production lyrique du XXe siècle, l’opéra ne représente qu’une faible part de l’œuvre d’Igor Stravinsky. Pourtant, le concepteur de Mavra et du Rossignol baigna durant son enfance dans le monde de l’opéra, grâce à son père, Fiodor Ignatiévitch Stravinski, qui participa à de nombreuses créations signées des plus grands compositeurs russes de son temps, dont Snégourotchka prochainement à l’Opéra de Paris. Portrait de celui qui fut pendant un quart de siècle première basse au Théâtre Mariinski.


Né en 1843 dans la région de Minsk, en Biélorussie, Fiodor Stravinski fait d’abord ses études au lycée de Nijyn (où Gogol a étudié trente ans auparavant), puis à Mazyr. Agé d’une vingtaine d’années, son goût pour le théâtre et le chant le pousse à participer à divers spectacles montés par des amateurs. Il joue notamment dans Le Revizor, la plus célèbre comédie de l’enfant du pays, et chante dans des opérettes ukrainiennes.

A l’automne 1865, il commence ses études de droit à Odessa, puis à Kiev dès le mois de janvier suivant. Il continue à pratiquer le théâtre en amateur (il joue dans Le Voïevode, la pièce d’Ostrovski qui inspirera à Tchaïkovski son premier opéra). Le chant occupant de plus en plus de place dans sa vie, il part en octobre 1869 pour Saint-Pétersbourg et s’inscrit au conservatoire. Il y a d’abord pour professeurs Pietro Reletto, Luisa Viardot et Henrietta Nissen-Saloman. En 1871, il devient l’élève de Camillo Everardi (chanteur belge, Camille-François Evrard de son vrai nom). Il étudie alors surtout l’opéra italien, chantant notamment dans Parisina, de Donizetti.

En mars 1873, lors d’un concert donné au conservatoire, il interprète Basilio du Barbier de Séville et il est remarqué par l’imprésario Berger, qui lui propose de l’engager à partir du 15 août en tant que Première Basse au Théâtre de Kiev, moyennant 150 roubles par mois. C’est alors que démarre la carrière professionnelle de Fiodor Stravinski, avec un répertoire tout à fait représentatif des œuvres alors représentées en Russie. Il effectue une dizaine de prises de rôle en à peine plus d’un an, rôles italiens, russes ou français (vraisemblablement tous chantés en russe). Le 22 août 1873, il fait ses débuts en comte Rodolfo dans La sonnambula ; il est ensuite Silva dans Ernani, Basilio du Barbier et le marquis de Boisfleury dans Linda di Chamounix. Il est d’abord Rousslan, puis Farlaf dans Rousslan et Lioudmilla, et le meunier dans la Roussalka de Dargomijski. Côté opéra français, outre Milord Cockburn dans Fra Diavolo – encore un personnage comique – et Saint-Bris dans Les Huguenots, il est, dès le 11 septembre 1873, Méphistophélès dans le Faust de Gounod, rôle qui l’accompagnera longtemps.

Très vite, il fait la connaissance d’Anna Kirilovna Kholodovski, native de Kiev, avec qui il aura quatre fils (Roman, né en 1875, Youri, en 1878, Igor, en 1882, et Gouri, en 1884). Le 9 décembre 1874, Fiodor Stravinski assure la première à Kiev de L’Opritchnik, de Tchaïkovski. Le compositeur assiste au spectacle et laisse ce témoignage : « en tant que jeune artiste qui débute, bien sûr, il ne peut être mis sur le même plan que des artistes de premier ordre et mûrs comme Melnikov, mais sa voix superbe et son jeu animé ont porté au premier plan le rôle de Viazminki, qui n’a rien de particulièrement riche ou gratifiant ».


La famille Stravinski (de gauche à droite, Roman, Igor, Anna, un domestique, Fiodor, Youri, Gouri) © DR

Durant les trois années que la jeune basse passe à Kiev, les prises de rôle s’enchaînent toujours aussi rapidement. Entre janvier 1875 et mars 1876, Stravinski est ainsi Kaspar du Freischütz, Marcel des Huguenots, Sparafucile dans Rigoletto, Leporello dans Don Giovanni, Brogni dans La Fille du cardinal (La Juive avait été ainsi rebaptisée en Russie) et Soussanine dans Une vie pour le tsar. Le rythme des représentations qu’il assure paraît quasi surhumain : par exemple, en février 1876, il chante Brogni le 1er, Leporello le 3, Méphistophélès le 6, Brogni le 8, Basilio le 9, Méphisto le 10, Basilio le 11 en matinée, Kaspar le 11 en soirée, Leporello le 12, Basilio le 13, Méphisto, le 14, Basilio le 15 en matinée Basilio et Brogni le 15 en soirée ! On comprend qu’il se repose ensuite jusqu’au 27 février…

Le 28 mars 1876, une ultime représentation de Faust marque la fin de la saison d’opéra à Kiev. Le succès de Fiodor Stravinski est si phénoménal que la direction du théâtre doit demander la mise en place d’une protection policière à la sortie des artistes ! Moins d’un mois plus tard, le 18 avril, le jeune chanteur fait ses débuts à Saint-Pétersbourg dans le même rôle de Méphistophélès, puis se produit en Farlaf cinq jours plus tard. Début, il signe un premier contrat le liant au Théâtre Mariinski, et s’engage à chanter au moins 35 représentations par saison, pour un salaire de 3500 roubles par an ; le contrat sera régulièrement renouvelé, avec à chaque fois une hausse de salaire (4000 roubles par an dès 1877, 6000 en 1882…).

Stravinski chantera au Mariinski jusqu’à sa mort en 1902. Salué pour ses qualités vocales et dramatiques, il est bientôt considéré comme le successeur d’Ossip Petrov. Surtout, il est sollicité pour toute une série de créations d’opéras dus aux compositeurs russes de son temps. Pour Tchaïkovski, il crée dès 1876 le rôle de Son Altesse Royale dans Vakoula le Forgeron ; il sera en 1881 Dunois dans La Pucelle d’Orléans ; en 1884, il est Orlik lors de la création pétersbourgeoise de Mazeppa ; en 1887, il crée Mamirov dans L’Enchanteresse. Pour Rimski-Korsakov, il est en 1880 le Maire du village dans La Nuit de mai ; en 1882, le Père Gel dans Snégourotchka ; en 1892, Mstivoï dans Mlada ; en 1895, il est Panas dans La Nuit de Noël, rôle qu’il interprète en alternance avec celui qui deviendra la nouvelle grande basse russe, Fiodor Chaliapine ; et en 1901, il chante le rôle de Douda lors de la première pétersbourgeoise de Sadko, créé peu auparavant à Moscou.

De César Cui , il crée en 1883 Kazanbek dans Le Prisonnier du Caucase, et en 1899 Raymond dans Le Sarrasin. Pour Anton Rubinstein, après avoir repris en 1877 le rôle de Boaz dans Les Macchabées, il créera en 1880 Ivan le Terrible dans Le Marchand Kalachnikov (en 1892, il sera Ivan le Terrible dans Le Prince Serebrianii, de Grigori Alexeïevitch Kazatchenko), puis le Boyard Poltev dans Gorioucha en 1888. Il participe également à la création de plusieurs opéras d’Eduard Napravnik, chef principal du Théâtre Mariinski : après avoir repris en 1878 le rôle de Kouzma Minine dans Les Nijni-Novgorodiens, il est Guillaume le Conquérant dans Harold en 1886, pour Andreï Doubrovski dans Doubrovski en 1895.

Un lien privilégié l’unit à Moussorgski, dont il a chanté Le Roi Saül pour son examen au conservatoire, mélodie qu’il interprètera régulièrement en concert, souvent avec le compositeur au piano. Dans Boris Godounov, il sera d’abord Rangoni en 1877, puis Varlaam ; le 8 octobre 1882, il chante les deux rôles au cours de la même représentation ! En 1890, lors de la création posthume du Prince Igor de Borodine, il interprète le petit rôle de Skoula, mais il avait été le premier à chanter en concert, dès 1879, les airs de Kontchak et de Galitski orchestrés par le compositeur. Par ailleurs, Fiodor Stravinski était de ces artistes pour qui la notion de « personnage secondaire » n’avait apparemment pas de sens, comme Tchaïkovski l’avait remarqué dès ses débuts.

 
Le meunier, dans Roussalka de Dargomijski, et Rangoni dans Boris Godounov © DR

Outre l’opéra russe, son répertoire s’élargit avec beaucoup de nouveaux rôles français : Zacharie dans Jean de Leyde (titre donné en Russie au Prophète de Meyerbeer), Tchin-Kao dans Le Cheval de bronze d’Auber, Gilles Pérez dans Le Domino noir, Giacomo dans Fra Diavolo (son succès y est tel que les autres chanteurs décident de le laisser seul saluer après le baisser du rideau), Gessler dans Guillaume Tell, Don Diego dans L’Africaine, Capulet lors de la première russe de Roméo et Juliette, le Bailli dans Werther ou Brander dans La Damnation de Faust. Zuniga dans Carmen, abordé en 1885, est le rôle qu’il interprètera pour sa dernière représentation au Mariinski, le 3 février 1902.

Par ailleurs, il aborde aussi Wagner : le Landgrave dans Tannhäuser dès 1876, Henri l’Oiseleur dans Lohengrin en 1878 et Colonna dans Rienzi en 1879. Et l’on peut ajouter quelques nouveaux personnages italiens : Ramfis dans Aida, Bartolo du Barbier (après avoir été Basilio), le rôle-titre de Mefistofele pour la création russe de l’opéra de Boito en 1886, Pistola lors de la création russe de Falstaff en 1894 (après avoir été Falstaff dans l’opéra-comique de Nicolai, Les Joyeuses Commères de Windsor). Pour s’être un peu ralenti, son rythme de représentations reste musclé : en décembre 1881, il est le Langrave le 2, Ramfis le 4, Saint-Bris le 7, Varlaam le 11, Tchin-Kao le 13, Saint-Bris le 14, Farlaf le 16, Méphistophélès (de Gounod) le 18, Eriomka (dans Le Pouvoir du diable, de Serov) le 20, Méphisto le 21, Kouzma Minine le 30, et Tchin-Kao le 31.

Fin lettré, Fiodor Stravinski se constitue peu à peu une bibliothèque de plusieurs milliers de volumes, dont de nombreux ouvrages sur l’histoire et le folklore russe, où il puise pour son interprétation de personnages historiques. Dessinateur de talent, il se représente dans ses différents rôles ; il aurait également posé pour la toile du peintre Ilya Répine, Les Cosaques zaporogues écrivant une lettre au sultan de Turquie. Le couple Stravinski reçoit dans son salon l’intelligentsia pétersbourgeoise ; à partir des années 1890, ils effectuent régulièrement des séjour en Allemagne. Lors d’un voyage à Paris en juillet 1893, Fiodor Stravinski visite le Louvre, le Père-Lachaise, la Sorbonne, le Panthéon, et assiste à une représentation de La Walkyrie.

Régulièrement salué comme « le héros de la soirée » par le magazine Golos (« La Voix »), il remporte des triomphes : dans Faust, par exemple, il est le seul artiste dont les airs sont bissés.  Le 3 janvier 1901, on célèbre son quart de siècle passé au Théâtre Mariinski et il reprend un personnage pour lequel il avait encensé par la critique lors de sa prise de rôle en 1889,  Holopherne dans la Judith de Sérov, avec Félia Litvinne dans le rôle-titre.

Atteint d’un cancer dont les premiers symptômes sont apparus en 1898, Fiodor Stravinski doit bientôt interrompre sa carrière. Il se rend à Berlin pour y recevoir un traitement par rayons, mais la maladie l’emporte et il meurt le 21 novembre 1902. Il semble qu’il ait d’abord été inhumé au cimetière de Novodevitchi, avant que son corps ne soit transporté en 1917 vers le cimetière du monastère Alexandre Nevsky, où il repose aujourd’hui encore. Aucun enregistrement ne témoigne hélas de son talent.

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