Trois œuvres – Il tabarro, Suor Angelica, Gianni Schicchi – dans une même œuvre pour donner à éprouver en une seule soirée trois des tonalités majeures de l’Opéra : le tragique, le lyrique, le comique. Trente-huit rôles au total, seize d’hommes, vingt-deux de femmes. Les ambitions d'Il trittico l’empêchent de figurer au répertoire autant que sa valeur musicale l’autoriserait. Barcelone l’affiche après 35 années d’abstinence. C’est ainsi que Puccini le voulait ; c’est ainsi qu’il convient de l’apprécier, rendu à son intégrité et non comme trop souvent démembré, ses composantes appariées à d’autres titres avec lesquels elles n’entretiennent qu’un lointain rapport.
Paris dans les années 1900, un couvent au 17e siècle, la Florence médiévale… Il trittico veut donc faire successivement trembler, pleurer, rire au mépris de toute unité de lieu, de temps et d’action. Les maîtres du théâtre classique en frémiraient. il existe pourtant un dénominateur commun aux trois ouvrages : l’orchestre que Susanna Mälkki à Barcelone propulse au premier plan, rappelant combien Puccini en musicien impressionniste sait jouer des timbres et des couleurs. L’atout majeur de cette nouvelle production, s’il faut en désigner un, c’est sa direction musicale. Les forces conjuguées du Liceu – chœur et orchestre – en soulignent la rigueur rythmique, essentielle pour que la mécanique de Gianni Schicchi ne s’enraye pas, le soin du détail lorsqu’il faut traduire par petites touches le pointillisme du Tabarro, le flux passionné qui irrigue Suor Angelica et, au-delà, la science conjointe du contraste et de l’équilibre – balayer l’échelle volumique, du pianissimo au fortissimo, en s’assurant que le flot orchestral ne submerge pas les voix.
Et quelles voix ! Incorruptibles dans Il Tabarro – bien que Lise Davidsen (Giorgetta) soit annoncée souffrante, bien que Brandon Jovanovich (Luigi) flanche dans les dernières mesures du duo –, ténor et soprano unis dans une même vaillance surmontent les tensions de la partition, sans ne jamais renoncer au texte, ni sombrer dans un vérisme de mauvais aloi. Ambrogio Maestri écarte aussi d’un chant héroïque toute tentation grandguignolesque. Tracé d’une ligne longue et sûre, son Michele se caractérise par une sobriété admirable, entre tendresse avortée, rage sourde et éclats de colère, tout comme deux opéras plus tard, son Gianni Schicchi parcourt un large spectre d’intentions pour offrir du madré un portrait réjouissant.
Suor Angelica, elle, est emplie de la présence d’Ermonela Jaho qui, fidèle à ses principes jusqu’au-boutistes, chante la religieuse corps et âme comme si sa vie en dépendait – « Senza Mamma » évidemment couronné d’un aigu effilé, infini, et toute la scène finale dans laquelle la soprano se consume jusqu’à arracher une clameur sauvage à la salle. Auparavant, Daniele Barcellona s’est montré moins intraitable que ne veut l’usage, capable même de commisération à travers certaines inflexions, le trait juste et terrible cependant – « Espiare ! espiare » –, usant avec parcimonie des écarts de registre comme moyen d’expression. Cette Zia Principessa trouve en Zita dans Gianni Schicchi son exact contrepoint, aussi comique dans ses tentatives d’extorsion d’héritage qu’elle semblait maléfique en fossoyeuse de sa nièce. Dans ce dernier épisode du Trittico, le couple formé par Lauretta et Rinuccio s’inscrit dans une logique dramatique souvent transgressée par le disque. Ruth Iniesta et Iván Ayón-Rivas ne sont pas de grandes voix surdistribuées dans des rôles secondaires mais de jeunes chanteurs, encore fragiles, désarmants de candeur et de sincérité.
Un mot encore, parmi la longue liste des comprimari, pour Marc Sala en venditore di canzonette du Tabarro (puis Gherardo dans Gianni Schicchi) et Mercedes Gancedo en Suor Genovieffa, dont les courtes interventions apportent une respiration lumineuse, bienvenue au sein de partitions sinon étouffantes.
Pour mieux unifier le propos scénique, Lotte De Beer opte pour un décor unique – cylindres emboîtés qui forment un tunnel dans lequel se débattent les personnages des trois opéras, comme pris dans une turbine infernale. Les costumes font office de marqueur temporel. Quelques accessoires aident à camper les situations. Des sorties intelligemment aménagées dans le sol, sur les côtés ou en fond de scène fluidifient le mouvement, réglé au cordeau. Toute en ombre et en lumière, cette approche prend le parti de la lisibilité. La scène d’enterrement qui ouvre puis conclut Il tabarro illustre l’intelligence de la réflexion théâtrale. En l'absence d'entracte, la transation avec Suor Angelica , qui n'a pourtant rien d'évident, intervient naturellement. La metteuse en scène s'est montrée ici plus désireuse de servir l’œuvre que de l’utiliser pour délivrer un message, fût-il universel et pétri de vertus – cf. ses Noces de Figaro en 2021 à Aix-en-Provence. Il ne devrait jamais en être autrement.
Trois opéras en un acte, créés au Metropolitan Opera de New York le 14 décembre 1918
Il tabarro - Livret de Giuseppe Adami d'après La Houppelande de Didier Golds
Suor Angelica - Livret de Giovacchino Forzano
Gianni Schicchi - Livret de Giovacchino Forzano d'après La Divine Comédie de Dante (Enfer, XXX)
Mise en scène
Lotte de Beer
Décors
Bernhard Hammer
Dramaturgie
Malte Krasting
Costumes
Jrorine van Beek
Lumières
Alex Brok
Il tabarro
Michele
Ambrogio Maestri
Luigi
Brandon Jovanovich
Il Tinca
Pablo García-López
Il Talpa
Valeriano Lanchas
Giorgetta
Lise Davidsen
Frugola
Mireia Pintó
Venedor de Cançons
Marc Sala
Parella Jove (soprano)
Ruth Iniesta
Parella Jove (ténor)
Iván Ayón-Rivas
Suor Angelica
Suor Angelica
Ermonela Jaho
La Princesa
Daniela Barcellona
L’Abadessa
María Luisa Corbacho
La germana zeladora
Mireia Pintó
La Mestra de les novicies
Marta Infante
Suor Genovieffa
Mercedes Gancedo
Suor Osmina
Carolina Fajardo
Suor Dolcina
Berna Perles
La germana Infermera
Laura Vila
La Novicia
Mar Morán
Conversa I cercatrice
Alexandra Zabala / Raquel Lucena / Elizabeth Maldonado / Elisabeth Gillming
Gianni Schicchi
Gianni Schicchi
Ambrogio Maestri
Lauretta
Ruth Iniesta
Zita
Daniela Barcellona
Rinuccio
Iván Ayón-Rivas
Gherardo
Marc Sala
Nella
Berna Perles
Betto di Signa
Pau Armengol
Simone
Stefano Palatchi
Marco
David Oller
La Ciesca
Mireia Pintó
Maestro Spinelloccio
Luis López Navarro
Ser Amantio Di Nicolao
Tomeu Bibiloni
Gherardino
Joy Sánchez / Clara Feliu / Conrad Font / Vega Torres
Pinellino
Miquel Rosales / Plamen Papazikov
Guccio
Gabriel Diap / Dimitar Darlev
Cor Infantil de l'Orfeó Català (Glòria Coma i Pedrals, director)
Chorus of the Gran Teatre del Liceu (Pablo Assante, director)
Symphony Orchestra of the Gran Teatre del Liceu
Direction musicale
Susanna Mälkki
Barcelone, Gran Teatre del Liceu, Samedi 3 décembre 2022, 19h
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Après avoir dominé la scène baroque pendant plus d’une décennie, Véronique Gens s’est établie une solide réputation à l’international et est aujourd’hui considérée comme l’une des meilleures interprètes de Mozart.
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