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Le métier de dramaturge, une fonction nouvelle

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Actualité
25 janvier 2016

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Mise en scène, décors, costumes, lumières : telles sont, après le nom du compositeur et celui de l’auteur du livret, les mentions qui figurent sur la fiche détaillée des programmes d’opéra, à côté des noms des chanteurs, de l’orchestre, des chœurs et du chef. Mais voilà que depuis quelque temps une fonction s’ajoute parfois à cette liste, celle de dramaturge. Le terme est souvent utilisé en français pour désigner un auteur dramatique, mais on comprend bien qu’il ne saurait s’agir ici du librettiste. Il n’est pas davantage question de l’emploi de dramaturge attaché à une maison d’opéra, tel le dramaturge de production, qui planifie la saison, qui définit ou participe à la cohérence de la ligne artistique, la lisibilité de la programmation.

S’il s’agit, comme on le peut le supposer, d’un spécialiste de l’art dramatique – comme il y a des scénographes spécialistes des arts de la scène –, on peut se demander dans quelle mesure cette fonction ne fait pas double emploi avec celle de metteur en scène. D’où un certain mystère, en tout cas une interrogation qui nous a conduit à interroger une dramaturge, Barbara Engelhardt, par ailleurs responsable artistique du Festival Premières à Strasbourg et à Karlsruhe, qui a bien voulu nous parler de son métier – elle a travaillé à plusieurs reprises avec le metteur en scène David Marton -, au cours d’un entretien dont les éléments suivants ont pu être tirés.

En prise avec le texte du livret

Au départ, il semble que le mot français « dramaturge » soit un germanisme pour désigner le conseiller littéraire et artistique d’un metteur en scène, fonction largement répandue au théâtre en Allemagne, et notamment dans l’ancienne Allemagne de l’Est. Le dramaturge est là pour garantir au metteur en scène la maîtrise intellectuelle du spectacle. La définition de son rôle est mouvante selon les œuvres et les choix de mise en scène. En général, il s’agit, en amont, de préciser le but recherché (les raisons du choix) et d’affiner la lecture de l’œuvre. Par rapport au metteur en scène, qui propose sa vision de l’opéra, le dramaturge adopte un point de vue extérieur, tente de se mettre à la place du public pour suggérer des inflexions, des modifications, des adaptations. Il contribue souvent, à côté d’autres facteurs, à une évolution de la mise en scène pendant les répétitions. En prise directe avec le texte du livret, il élabore un corpus d’œuvres complémentaires, permettant d’enrichir la signification première, d’expliciter des références ou allusions, d’ancrer l’œuvre dans un contexte philosophique, idéel, social, économique. Mais aussi de la faire entrer en résonance avec des analyses anthropologiques ou psychologiques fondamentales, afin que le spectateur se sente personnellement concerné par ce qu’il verra sur la scène.

Le travail de lecture, de réflexion et de discussion avec le metteur en scène commence donc très tôt, en général un ou deux ans, voire plusieurs années à l’avance. Durant cette phase, le metteur en scène est encore en attente de la vision musicale du chef, il doit donc se faire sa propre idée, jongler parfois avec plusieurs visions musicales. Cette préoccupation est particulièrement vive chez les metteurs en scène qui sont eux-mêmes musiciens, comme David Marton, qui été pianiste et chef d’orchestre. Puis vient le temps du travail avec les interprètes.

En dialogue avec les artistes

En dialogue avec les chanteurs/acteurs (parfois avec les musiciens) en plateau, le dramaturge travaille pendant six semaines au minimum, consacrées aux répétitions, qui vont permettre de tester les propositions, de les rendre réalisables au contact des interprètes et en fonction, aussi, de leur réceptivité à ces suggestions d’interprétation et aux directives qu’elles entraînent dans les attentes du metteur en scène. Ces six semaines sont un moment intense, coupé des contingences extérieures, une véritable « bulle ».

Le travail se fait à ce stade avec une réduction pour piano de la partition d’orchestre. La présence du chef permet de régler les problèmes liés à la position et aux mouvements des chanteurs/comédiens. Dans un premier temps, le critère de la technicité ne prédomine pas, l’importance de l’art vivant est première. Il faut pour cela régler, comme pour une chorégraphie, les gestes sur les sons. L’une des grandes difficultés est la synchronisation des chœurs. Pour La Damnation de Faust, donnée à Lyon à l’automne 2015, par exemple, il y avait plus de 80 choristes, 60 adultes et 20 enfants. La difficulté est devenue un défi, ces chœurs omniprésents dans l’œuvre devenant en quelque sorte le personnage principal. Le travail du dramaturge a consisté entre autres à donner une multiplicité de sens à l’opposition entre l’individu et la masse, tout en tenant compte de la dimension paradoxale de son travail, puisque Berlioz n’avait pas souhaité de mise en scène pour La Damnation. Aussi paraissait-il possible, dès lors que cette disposition était transgressée, d’inclure une réflexion plus large sur les enjeux de l’œuvre, sur les conditions de sa réception aujourd’hui. Que peut signifier pour le public actuel l’histoire de Faust et de Marguerite, et cette masse de chanteurs sur scène ? Peut-on nourrir le spectacle d’échos variés dont la perception nécessairement fragmentaire, laissant inaperçue la richesse des préparatifs, suscitera éventuellement, chez certains spectateurs/auditeurs au moins, un regard nouveau sur l’œuvre, sur soi-même, sur son rapport au monde ? Sans révéler ici toutes les lectures, tous les approfondissements interprétatifs auxquels se sont livrés dramaturge et metteur en scène, on peut mentionner que les questions fondamentales de la manipulation, du pouvoir séducteur du mal, de l’emprise sur les masses ne peuvent, de leur point de vue, être simplement « illustrées » par une mise en images qui se voudrait « fidèle » au livret.

Un rôle qui peut être controversé

En affirmant le rôle du dramaturge, le choix de représentation s’éloigne délibérément d’une conception de l’opéra consistant à retrouver, en aussi bien ou si possible en mieux encore, ce qu’on connaît déjà pour l’avoir entendu sur CD ou vu sur enregistrement vidéo. Autrement dit, nous sommes bien dans une vision du spectacle théâtral (genre auquel appartient l’opéra) qui donne au metteur en scène (associé à son dramaturge) sinon la priorité (comme c’est le cas dans le Regietheater, « théâtre de mise en scène »), du moins un rôle égal à celui du directeur musical. C’est pourquoi le rôle du dramaturge peut être controversé : pour lui, l’opéra ne peut consister en pure écoute de la beauté formelle des voix. En tant que « performance », le spectacle « total » qu’est l’opéra doit impérativement être capable de susciter, à côté de l’émotion purement esthétique, d’autres émotions, spécifiques à l’art théâtral. Dans certains cas, un chanteur à la voix usée pourra lui paraître préférable à tel autre, doté de moyens infiniment supérieurs, mais à la présence scénique moins marquée, moins signifiante pour l’économie générale de la représentation – ce qui évidemment peut ne pas convenir à ceux qui viennent à l’opéra avant tout pour entendre du beau chant. D’ailleurs, le dramaturge peut proposer l’ajout de textes parlés, comme production de son, en tant qu’autre matériau qui a aussi sa propre musicalité. Le dramaturge tire l’opéra vers le théâtre. Mais pas seulement. L’utilisation de la vidéo permet ainsi de jouer sur la dimension visuelle, non pas dans un but purement illustratif, mais, du point de vue du dramaturge, toujours comme un fil narratif à déchiffrer.

Finalement, le métier de dramaturge, très institutionnalisé en Allemagne, moins connu en France, réunit plusieurs aspects des fonctions de conseiller artistique et d’assistant à la mise en scène, en y ajoutant un rapport privilégié au texte. Il s’agit toujours de partir du livret, de donner aux mots un maximum de résonance et de réfléchir aux possibilités d’évolution des corps en accord avec une interprétation de la musique et du chant qui doit rencontrer l’assentiment du chef d’orchestre et l’adhésion des chanteurs.

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