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Les métiers de l’opéra : chargé de production costumes, de la maquette à la scène

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Actualité
30 novembre 2015

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Parmi ces intervenants essentiels qui œuvrent dans l’ombre, le chargé de production costumes est un des principaux responsables de l’identité visuelle d’un spectacle. C’est lui qui assure le passage des maquettes dessinées aux tenues que porteront les chanteurs. Frédéric Llinares travaille régulièrement au Châtelet ou au Théâtre des Champs-Elysées comme chargé de production costumes. Il nous explique en quoi consiste son métier.

Je dois d’abord préciser que j’ai suivi une formation assez atypique. Après avoir passé un bac général, j’ai fait un BEP Couture flou (le « flou » désigne le vêtement féminin, par opposition au « tailleur » qui inclut les pantalons et pièces à manche). Pendant mon BEP, on m’a encouragé à préparer un BTS, et j’ai choisi l’option « Industrie des matériaux souples », c’est-à-dire le modélisme industriel. Après cela, j’aurais pu me mettre à dessiner des patrons, mais il se trouve que j’avais rencontré un créateur de costumes qui m’a fait entrer dans le monde du spectacle, dont j’ai peu à peu gravi les échelons.

J’ai d’abord été stagiaire à la peinture (par exemple, j’ai dû peindre des détails sur les costumes des personnages de La Flûte enchantée). Je suis ensuite devenu assistant, j’ai cosigné des costumes, puis je me suis mis à fabriquer mes propres créations. Pendant dix ans, à Lyon, j’ai travaillé sur toutes sortes de spectacles. J’ai aussi eu l’occasion de travailler pour le cinéma. En 2003, j’ai été recruté au Châtelet comme habilleur, parce que les danseurs russes voulaient des hommes pour les habiller (les habilleuses étant réservées aux danseuses). Le Châtelet m’a ensuite proposé d’être chargé de production costumes (ou « assistant costumes ») pour un spectacle, en collaboration avec un créateur de costumes étranger.

La fabrication des costumes, du rendez-vous maquettes à la générale

Quand le créateur de costumes livre ses dessins, entre un an et trois mois avant la première représentation, le chargé de production se met à son écoute pour bien cerner le projet. Aux maquettes s’ajoutent de plus en plus souvent, aujourd’hui, ce qu’on appelle un cahier de tendances, où sont rassemblées des images piochées ici et là, en rapport avec la silhouette souhaitée. C’est très utile, car c’est un outil de référence qui permet souvent de trancher lorsqu’on a une hésitation concernant certains détails. Le chargé de production peut aussi aider le créateur de costumes à faire évoluer son concept initial pour que des individus entrent dedans, en s’adaptant au physique des artistes.

Une première étape est l’échantillonnage : c’est à moi de trouver le tissu approprié à la maquette, en fonction de la psychologie du personnage, mais aussi de la morphologie du chanteur qui va porter le costume. Il faut pouvoir répondre à plusieurs questions à la fois : si le tissu choisi s’entretiendra facilement, s’il est léger à porter, s’il correspond bien au projet artistique, et surtout quelle est son « incidence lumière ». On doit déterminer au toucher si un tissu pourra être teint, ou peint… C’est un processus de validation : je propose, le créateur de costumes dispose.

Après la réception les maquettes, je m’occupe de la suite des opérations en tant qu’intermédiaire entre le concepteur et l’atelier de costumes chargé de les réaliser. Lorsqu’il y a un atelier fixe dans un théâtre, il ne fabrique que les costumes « propres », mais c’est le chargé de production qui s’occupe des chaussures, des chapeaux, des accessoires, bijoux, lunettes et sous-vêtements. Il faut donc faire appel à toutes sortes d’artisans, toutes sortes de corps de métier, pour les éléments en fourrure par exemple. Pour les chaussures, il m’arrive de les louer, de les fabriquer, de les acheter, de les transformer…

Vient alors le rendez-vous avec la Première d’atelier, où l’on décide de la fabrication du costume, qui a lieu en deux temps. On commence par faire une « toile », un costume réalisé en toile à patron, un coton ou un calicot pas cher : c’est comme un premier jet, une première recherche en volume. On en fabrique la moitié (une « demi-toile »), puis on coupe une toile complète, ou on passe directement au vrai tissu. Lors des essayages, on procède à une sorte de synthèse, en réunissant tous les éléments : les gens de l’atelier arrivent avec les costumes qu’ils ont fabriqués, moi j’arrive avec la lingerie, les bijoux, les chaussures, et on assemble le tout pour que chaque personnage prenne forme. Et tout doit être là dès l’essayage : pour une robe longue, il faut absolument savoir avec quel genre de chaussures elle sera portée, sinon on s’expose à des surprises…

En tant que chargé de production, j’assiste à toutes les répétitions (mon contrat va jusqu’au soir de la Première inclus). Lors de la générale piano, lorsqu’on file toute l’œuvre sans orchestre, tout le monde est en costume, on étudie les changements de décor, de lumières et de costume ; la pré-générale est normalement consacrée aux lumières, et la générale permet de vérifier que tout va bien. Entre ces trois moments où tout le monde se retrouve peut s’écouler un temps variable : au Châtelet, ça se fait en trois jours d’affilée ! Pour la générale piano, je suis dans la salle avec le créateur de costumes, on regarde tout et c’est alors qu’on remarque certains détails. Eclairée en bleu, telle robe paraît rose alors qu’on la voulait rouge, donc je note qu’il faudra mettre un coup de bleu, teindre ou patiner le vêtement. C’est aussi l’occasion de repérer les problèmes de coupe, un ourlet à raccourcir ou à rallonger, un col à enlever. Après, ce n’est plus possible, il est trop tard. Je produis aussi des « notes d’habillage » : telle cravate n’est pas nouée comme il faut, par exemple. Tous ces points doivent être réglés avant la générale.

Quand les spectacles voyagent

Après la première représentation, je suis libre… jusqu’au moment où le spectacle est repris ! On apprend parfois que certaines productions vont être rpreises à l’étranger alors que ce n’était pas du tout prévu au départ. Lors d’une tournée, on fait appel aux assistants : comme souvent la distribution change, il faut fabriquer de nouveaux costumes, et je dois être là pour guider l’atelier. On s’appuie alors sur les documents que j’ai préparés : l’inventaire des costumes, qui dresse la liste de ce que porte chaque soliste, choriste ou figurant, y compris les chaussures et accessoires, et le « classeur de fabrication », où l’on trouve les coordonnées des fournisseurs, et des échantillons des tissus. Le Singing in the Rain du Châtelet va être interprété à Broadway et par plusieurs compagnies différentes, auxquelles je peux fournir mon classeur en guise de référence.

Le Rigoletto du festival d’Aix-en-Provence était une coproduction qui a beaucoup voyagé. Par exemple, j’ai suivi le spectacle à Moscou, sauf qu’ils n’allaient pas simplement le donner pour une dizaine de représentations, mais pendant deux ans ! Il fallait donc tout préparer pour quatre Gilda successives, trois Ducs de Mantoue, et ainsi de suite, même pour les membres du chœur. Et j’ai dû me battre pour que soit respectée l’identité du spectacle d’Aix tel que Robert Carsen l’avait voulu, pour que l’on ne remplace pas tel lainage anglais par un tissu russe complètement différent. Pour m’en assurer, il fallait aussi que j’assiste aux essayages.

Costumes et relations humaines

J’ai rencontré Robert Carsen en 2010, pour My Fair Lady, dont les costumes avaient été créés par Anthony Powell, une légende vivante qui a reçu trois Oscars à Hollywood[1]. Au début, ce vieux monsieur était très timide. A la fin du premier rendez-vous maquettes, je le vois ranger ses papiers, et j’aperçois un petit dessin de robe du soir des années 30, avec la mention manuscrite « Tissu Bianchini-Férier ». Je suis lyonnais, donc le nom de cette manufacture de soierie lyonnaise m’était familier, et Anthony Powell m’a expliqué qu’il aurait aimé avoir certains de leurs tissus des années 1920. Comme j’avais déjà un contact chez Bianchini-Férier, je leur ai téléphoné et j’ai obtenu le droit d’utiliser des dessins que Dufy avait conçus pour eux, et dans les couleurs qu’Anthony Powell souhaitait. Nous avons même eu un article dans Vogue, et TF1 a fait un sujet sur ces costumes. Un an après, Robert Carsen m’a appelé pour me dire qu’il préparait Rigoletto à Aix et qu’il voulait que je seconde sa créatrice de costumes, qui était très malade[2]. En effet, il y a un aspect humain dans le métier de chargé de production : on passe beaucoup de temps avec le créateur de costumes, et cela tourne parfois à l’assistanat personnel. Je fais la liaison entre tous les services du théâtre : l’atelier de costumes, bien sûr, mais aussi les responsables administratifs, qui s’occupent des contrats et du démarchage auprès des artistes, les accessoiristes, le maquillage-coiffure, et le service habillage. J’essaye de mettre un peu de diplomatie dans les relations entre les uns et les autres…

Comme pendant dix ans j’ai fabriqué des costumes dans mon atelier à Lyon, j’ai une expérience de terrain, j’ai connu toutes sortes de galères ! Maintenant, je supervise chaque opération, tout ce qui concerne les costumes d’un spectacle est vu et discuté avec moi.  Le plus dur, désormais, c’est l’aspect financier : si j’ai le choix entre un tissu de qualité et un autre moins coûteux, mais que l’effet est à peu près le même, je choisis le moins cher, parce que ça libèrera de l’argent pour faire d’autres choses, pour engager d’autres personnes. Même quand je travaille avec des créateurs étrangers, j’essaye de privilégier le Made in France, parce que les spectacles qu’on donne dans notre pays sont montés grâce à l’argent du contribuable.

J’aime travailler à l’opéra. Souvent, avec les comédiens de théâtre, on discute longuement : ils veulent être partie prenante dans les choix, comprendre le pourquoi et le comment. Et les danseurs, en général, veulent être sûrs qu’on mettra en valeur leur corps. A l’inverse, les chanteurs d’opéra ont avant tout envie de chanter, donc pour le reste, ils nous font confiance, ils ne discutent pas des couleurs de leur costume, ni de la forme de leurs chaussures. Ils acceptent l’idée, le concept. Les chanteurs sont des gens avec qui j’ai toujours des relations très agréables…

 


[1] Né en 1935, Anthony Powell a beaucoup travaillé pour le cinéma, et a notamment reçu un Oscar pour Mort sur le Nil en 1978 et Tess en 1979. En 2004, Robert Carsen fit appel à lui pour les costumes de Capriccio, qui reste à ce jour son unique participation à une production d’opéra.

[2] On doit à Miruna Boruzescu (1945-2014) les costumes d’une vingtaine de spectacles mis en scène par Robert Carsen depuis 1995, notamment L’Affaire Makropoulos de Janáček, repris cette saison à Strasbourg.

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