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L’opéra autrement : Kifadassé, l’opéra en bande dessinée

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Actualité
13 février 2020
L’opéra autrement : Kifadassé, l’opéra en bande dessinée

Infos sur l’œuvre

Détails

Le ministère de la culture a décidé que l’année qui commence serait placée sous le signe du Neuvième Art. Forum Opéra a donc choisi de contribuer à l’ « Année BD 2020 » en se penchant sur une entreprise originale : le lancement d’une série d’opéras en bande dessinée.


Depuis quelques semaines, les librairies et les plateformes en ligne proposent deux volumes, Thaïs (novembre 2019) et Alcina (mars 2020), dont le titre seul indique au mélomane qu’il y est très vraisemblablement question de deux grandes œuvres du répertoire lyrique. Et en feuilletant les albums en question, on s’aperçoit très vite qu’il ne s’agit pas de raconter l’intrigue de ces deux opéras, mais bien d’en illustrer la totalité du livret.

Pour publier ces volumes, la maison d’édition Kifadassé a été spécialement créée par deux passionnés que Forum Opéra a rencontrés : Antonio Ferrara, architecte italien, et Guy Delvaux, claveciniste belge. « Nous avons dirigé ensemble pendant dix ans un festival de musique ancienne à Colle di Val d’Elsa, près de Sienne. On y recréait des opéras jamais enregistrés, comme La Doriclea de Stradella, ou Gli amori di Lidia e Clori d’Alessandro Melani, avec des artistes comme Roberta Invernizzi, Gloria Banditelli, Vito Priante… Sigiswald Kuijken, Ottavio Dantone ou Alan Curtis venaient y diriger ». En 2007, Antonio Ferrara est coach d’italien pour l’enregistrement d’Alcina par Alan Curtis ; il y rencontre Joyce DiDonato, qui lui fait part de son désir d’amener les jeunes à l’opéra pour renouveler le public. Les instrumentistes lui demandent aussi de lui expliquer l’intrigue de l’œuvre de Haendel. Quand le festival doit fermer ses portes fautes de financements, naît le projet de se lancer dans la mise en scène d’opéra, milieu dont ils découvrent vite qu’il est assez fermé. Pour se faire connaître, ils décident de passer par un autre univers, celui de la bande dessinée. Antonio Ferrara : « Durant l’enregistrement d’Alcina ou d’Ezio, je m’amusais pendant les pauses à faire des dessins, des caricatures. Mon père travaillait dans la mode, notamment pour Armani, donc je suis depuis longtemps familier des croquis de styliste, anguleux et acérés ».

Mais d’où vient ce nom étrange, Kifadassé ? « C’est très simple, c’est la transcription phonétique d’un proverbe italien, Chi fa da sé fa per tre, autrement dit : On n’est jamais mieux servi que par soi-même ». En effet, les deux compères ont préféré fonder leur propre maison d’édition (avec le reliquat des fonds du défunt festival), afin de garder le contrôle de leur création, et de conserver leurs droits d’auteurs en cas d’adaptation cinématographique ou autre.

Deux volumes parus, deux autres déjà prêts (Norma, Fidelio) et une Lakmé en chantier : quels critères guident ces choix ? Guy Delvaux : « Nous essayons de respecter cinq points. 1) Refléter la diversité des époques, depuis la naissance de l’opéra jusqu’à nos jours, même s’il y a moins d’œuvres « populaires » au XXe siècle. 2) Refléter également les différentes cultures lyriques des pays européens. Nous commençons par un opéra français et par un opéra en italien écrit pour Londres par un Allemand… 3) Eviter les œuvres canoniques de la littérature mondiale, et donc les opéras d’après Shakespeare, Goethe, etc., pour que le lecteur sache qu’il a affaire à un opéra. 4) Prendre des titres identiques dans toutes les langues, ce qui nous conduit à privilégier les opéras portant le nom ou le prénom de leur personnage principal. 5) De ce fait, nos premiers titres privilégient les personnages féminins, les héroïnes charismatiques. Mais nous sommes également ouverts aux couples, qui viendront peut-être plus tard ».  

Tout en évitant les classiques archi-connus, les Carmen, les Rigoletto et autres Flûte enchantée, le but est d’attirer différents publics, aussi bien les passionnés qui sont en terrain de connaissance, que les profanes pour qui la découverte est totale. La bande dessinée peut se lire sans forcément écouter l’œuvre en même temps (et le lecteur est laissé libre de choisir la version qu’il préfère). Le livret est conservé dans sa quasi-intégralité, en évitant simplement les répétitions, fréquentes à l’opéra. Pour Thaïs, il a été décidé d’estomper un peu l’aspect religieux, en supprimant quelques références au Christ. Quelques mots ont aussi été ajoutés, notamment pour souligner certains choix iconographiques : pendant la fameuse « Méditation », illustrée par une page entière, l’héroïne se coupe les cheveux, d’où un commentaire formulé ensuite par l’un des personnages, commentaire absent du livret de l’opéra. Pour les opéras étrangers se pose bien sûr la question de la traduction. Guy Delvaux dit avoir voulu respecter l’alternance récitatifs/arias, en rendant ces derniers en vers « chantables » (de même, dans le dessin, les phylactères ne sont pas les mêmes selon que le texte est celui d’un air ou d’un récitatif). Une autre difficulté est celle des ensembles, comme le premier quatuor de Fidelio où chaque personnage chante des paroles différentes ! Il aura fallu un mois de travail pour aboutir à une version française rimée.

Quant au dessin, Antonio Ferrara part du livret adapté ou de sa traduction pour élaborer son storyboard, et dessine ensuite ses planches au crayon, puis à l’encre de Chine et y ajoute enfin la couleur : « Tout est fait à la main, je n’utilise pas l’informatique ! Chaque volume me demande à peu près huit mois de travail. Il faut rendre les personnages clairement reconnaissables, et donc leur prêter des caractéristiques physiques qu’ils conservent du début à la fin. Je dois prendre des décisions visuelles pour aboutir à une sorte de ‘mise en scène’ iconographiquement rigoureuse et respectueuse du livret. Pour Thaïs, j’ai lu le roman d’Anatole France et je me suis documenté sur l’Egypte hellénistique. Pour Norma, j’ai étudié les découvertes archéologiques afin d’éviter le côté ‘Astérix’. Et l’héroïne sera rousse et non pas brune comme certaine cantatrice à laquelle le rôle est durablement associé ! Dans Alcina, nous nous sommes demandé si Ruggiero devait avoir les traits d’une mezzo-soprano, mais comme le personnage est désormais de plus en plus chanté par des contre-ténors, il nous a finalement paru plus logique d’en faire un homme, un Sarrasin plutôt sexy, que l’on verra arriver dans l’île sur le dos d’un hippogriffe, conformément au poème de l’Arioste ».

Ce choix d’une certaine exactitude historique va-t-il à l’encontre du Regietheater et des transpositions et actualisations toujours plus fréquentes ? « Nous avons fait le choix de suivre fidèlement les livrets, plus ou moins précis selon l’époque, de nous concentrer sur les didascalies sans nous laisser influencer par tel ou tel spectacle vu sur scène ou en DVD ». Et pour les opéras moins réalistes, qui ne se situent ni dans un lieu spécifique, ni à une époque historique, la liberté du dessinateur est évidemment plus grande. La visualisation impose aussi de montrer les personnages accomplissant des actes qui ne figurent pas explicitement dans le livret : pour Thaïs, la bande dessinée développe un malentendu entre Athanaël et l’héroïne, celle-ci comprenant comme « jeunesse éternelle » la « vie éternelle » que lui propose l’ermite. Guy Delvaux : « La psychologie que Massenet fait passer par la musique, il faut la traduire dans le dessin ». La bande dessinée illustre-t-elle donc le texte des opéras ou leur musique ? Antonio Ferrara : « Pour Norma, je voulais rendre visible la différence entre les deux duos Norma-Adalgisa. Le premier tient en une seule planche, car il juxtapose simplement deux points de vue, mais le second en occupe plusieurs, il est plus développé et les images doivent refléter le dialogue entre les personnages ».

Pour le moment, aucun lien n’est prévu entre l’actualité lyrique et le choix des titres. Si seulement la parution de ce premier volume consacré à Massenet pouvait donner des idées aux directeurs de théâtre ! Guy Delvaux : « Peter de Caluwe a un jour déclaré que Thaïs était l’un de ses opéras préférés. Mais alors pourquoi ne l’a-t-il pas monté à Bruxelles ? »

Propos recueillis le 19 décembre 2019

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