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Marcello Giordani, le colosse aux pieds d’argile

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Nécrologie
14 octobre 2019
Marcello Giordani, le colosse aux pieds d’argile

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Détails

Il n’est pas galvaudé de dire que Marcello Giordani était l’exemple parfait du ténor lyrique à l’italienne, à la voix solaire et aux aigus étincelants. « Le chanteur solide comme un roc et chantant comme un Dieu », comme l’écrivait Anne Midgette dans le New York Times en 2002, s’en est allé ce 5 octobre 2019. Colosse, qualifié d’ « Ironman » par Peter Gelb, pour avoir chanté au Met 240 représentations et 27 rôles,  parfois deux fois par jour. Marcello Giordani a été trahi par son cœur. Une brutale sortie de scène qui contraste de manière saisissante avec les trépas sublimes vécus à l’opéra, qui sont de lentes agonies sur les sanglots longs de la musique.

Né le 25 janvier 1963 à Augusta, une petite ville de la côte est de la Sicile, Marcello Guagliardo, est  le cadet d’une fratrie de quatre garçons élevés au sein d’une famille modeste. Sa mère, Santina, est femme au foyer, et son père Michele, un ancien gardien de prison reconverti en patron de station-service. Alors qu’à l’âge de 19 ans, il entre dans la vie active comme employé de banque, une situation qui ne le réjouit guère, Marcello se voit encouragé par son père à poursuivre sur la voie du chant, une passion qui a toujours été sienne depuis ses plus jeunes années. «Mon père aimait l’opéra, il m’a entendu chanter tout le temps quand j’étais enfant. Peut-être a-t-il toujours rêvé qu’un de ses fils devienne artiste ».

Le futur ténor quitte donc la banque pour la scène, et étudie le chant à Catane puis à compter de 1983 à Milan avec Nino Carta. S’il disait admirer beaucoup à cette époque Aureliano Pertile, pour son chant habité, certes techniquement imparfait, mais pétri d’émotions humaines, il écoutait surtout Nicolai Gedda pour l’élégance du style et la diction impeccable. Il s’en inspirera d’ailleurs pour chanter les répertoires étrangers, notamment français. Marcello Giordani s’y distinguera par la clarté de sa diction alors que paradoxalement il ne maitrisait pas notre langue. Il en comprenait néanmoins « l’’essence poétique et raffinée ». L’artiste, lui-même auteur, passait son temps libre à écrire des poésies.

C’est au festival dei Due Mondi de Spoletto, en 1986, qu’il se fait remarquer en Duc de Mantoue pour les qualités qui deviendront sa signature, la puissance de la projection et la luminosité d’aigus claironnants.  Il commence alors à chanter dans toute l’Europe, ce qui le conduira sur la prestigieuse scène de la Scala en 1988 où il interprète Rodolfe de La Bohème. Suite à ses débuts Milanais, il est appelé sur le continent américain et toujours en 1988, Il y fait ses débuts en chantant Nadir dans Les Pêcheurs de Perles à l’Opéra de Portland en Oregon. 1988 est une année faste pour le ténor sur le plan artistique mais aussi personnel. C’est l’année où il rencontre Wilma Ahrens, au festival de Lucerne, qu’il épousera deux ans plus tard et dont il aura deux fils, Michele et Guerardo.

Il faut alors comprendre qu’à l’aube de cette carrière prometteuse, Marcello Giordani chante comme il respire en quasi autodidacte. N’ayant pas de formation de conservatoire, ne jouant pas d’instruments de musique, le manque de base technique va rapidement se faire sentir. « La voix de ténor devrait être comme un rayon de soleil et cela exigeait au contraire de moi des efforts considérables qui n’étaient pas naturels car je n’avais pas la technique »  confiait-il au Los Angeles Times en 1998.  Le ténor a alors commencé un nouveau programme d’entraînement, sous la direction du professeur William Schuman, qui a véritablement sauvé son talent naturel. C’est donc un tout nouveau Marcello Giordani qui fait ses débuts, en été 1993, dans L’Elisir d’Amore de Donizetti à New York, dans le cadre de la série de concerts-opéras organisée par le Met dans les grands parcs de la ville. Son interprétation de « Una furtiva lagrima », le fait remarquer par la presse et notamment par Alex Ross du New York Times qui souligne « une voix naturelle à l’émotion pure ». Deux ans plus tard, il fait ses débuts au Lincoln Center dans La Bohème de Zeffirelli. Il s’installe alors rapidement dans le rôle de l’amant ardent des œuvres italiennes, mais aussi en interprétant Lensky de Eugene Onegin. Il brille également dans le répertoire français dans La Damnation de Faust de Berlioz, dans une magnifique version des Troyens en version concert et dans Le Cid de Massenet. Mais c’est en Benvenuto Cellini qu’il suscite l’enthousiaste de la critique qui le propulse au rang des stars du Met. Il devient alors un habitué des transmissions en direct diffusées dans les cinémas. Il n’y aura en effet pas une saison, entre 2006 et 2013, dans les salles obscures, où le nom de Marcello Giordani n’apparaîtra pas. 

Brillant tenor lyrique, l’artiste quitte pourtant peu à peu ces rivages pour s’arrimer à ceux du lirico spinto puccinien. Il décide ensuite d’aborder des rôles dramatiques Verdiens comme Radames et Manrico, et sans doute ces choix artistiques ne furent pas toujours très heureux. Les dernières années, depuis son abandon d’Enée après la première représentation des Troyens  au Met en janvier 2013, ont été quelque peu contrastées. Mais malgré des arabesques fluctuantes, le ténor nous a offert encore de très belles parenthèses avec cette Francesca da Rimini dans la représentation en direct du 25 mars 2013 et ses interprétations de Calaf et de Cavaradossi sur toutes les scènes européennes. « Le principe ignoto » est devenu un rôle important pour Marcello Giordani après sa brillante performance lors de la reprise de la production de Franco Zefirelli au Met en 2009. Son Calaf est moins un homme de pouvoir (comme Franco Corelli pouvait le personnifier) ​​qu’un jeune héros romantique. L’artiste éclairait plus l’homme et les oscillations de son âme que le prince qui veut retrouver une terre et un trône. Son « Non piangere Liù » était d’une grande sensibilité et illustrait toutes les contradictions du personnage entre l’attachement à sa vie passée et à l’attrait irrésistible des promesses futures. Quant à son Mario, et je songe à celui de la représentation du théâtre antique de Taormina au côté de Martina Serafin et Renato Bruson en 2008, il avait toutes les couleurs et les nuances requises. Sa caractérisation du personnage était aussi particulièrement pertinente. Son Mario portait des opinions politiques, mais il n’était pas un intellectuel. C’était un personnage typiquement italien, une personnalité instinctive qui agissait et réagissait au gré des évènements. 

Malgré tous ses succès à l’opéra, sa performance la plus mémorable pourrait bien avoir été un concert, celui donné au Carnegie Hall le 9 mars 2002 avec l’Opera Orchestra of New York dirigé par son chef fondateur, Eve Queler. Marcello Giordani y chantait alors son répertoire de prédilection de ténor lyrique et distillait généreusement des perles d’une voix lumineuse : Adriana Lecouvreur, La Gioconda de Ponchielli, Les Huguenots et L’Africaine de Meyerbeer. Mais c’est avec Guillaume Tell de Rossini. Il bisse alors «Amis, amis, secondez ma vengeance»  devant un parterre de mélomanes américains en transe, comme s’il avait marqué le touchdown décisif au Superbowl. Ce sont des images qui laissent une empreinte indélébile dans les esprits. Quand un artiste suscite une telle fièvre, une telle ferveur, c’est qu’il a fait entrer la lumière. Et on a alors rétrospectivement peine à croire que le colosse sicilien s’en soit finalement allé. 

 

Discographie sélective

-Albums solo

-Tenor arias, Arias from Rossini, Donizetti, Bellini, Pacini, Bizet, Verdi, Mascagni (2003) 1 CD NAXOS DDD 8.557269

-Sicilia Bella (2003) 1CD VAI

-Ti voglio bene Italian & Neapolitan Love Songs (2010) 1 CD IN CANTO

Intégrales

Benvenuto Cellini, in James Levine Celabrating 40 years at The Met (200, 2 CD Metropolitan Opera Edition

Jerusalem (2001) 3C PHILIPS 462613

DVD/Blue Ray

Madame Butterfly 2004, Arena di Verona, 1 DVD TDK

La Boheme (2005) 1 DVD Zürich Opernhaus Live

La Gioconda (2006), Teatro Teatro Massimo “V. Bellini” di Catania , 1 DVD Kicco Classics,

La forza del destino (2007), Teatro comunale di Firenze, 2 DVD TDK

Tosca (2008) teatro antico di Taormina, 1 DVD Pan Dream

Manon Lescaut (2009), 1DVD EMI Classics/The Met opera HD Live

Madame Butterfly (2011) 2DVD Sony Classical/The Met Opera HD Live

Simon Boccanegra (2011) 2DVD Sony Classical/The Met Opera HD Live

Turandot (2011) 1DVD Sony DECCA/The Met Opera HD Live

La Fanciulla del West 2DVD Sony Deutch Gramophon/The Met Opera HD Live

 

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