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Marina Viotti : « Pour chanter Carmen, il faut avoir vécu en tant que femme »

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Interview
14 juillet 2023
Mariana Viotti fait actuellement des débuts très attendus à l’Opéra national de Paris, en Stefano dans Roméo et Juliette.

Infos sur l’œuvre

Détails

Dans la longue interview qu’elle a accepté de nous accorder, la mezzo revient sur sa vision du monde de l’opéra, de ses projets au disque et à la scène, avec en particulier sa prise de rôle en Carmen prévue pour 2024.

Vous faites actuellement vos débuts à l’Opéra national de Paris dans le rôle de Stefano de Roméo et Juliette

En effet, on m’a proposé d’assurer les dix dernières représentations de ce spectacle, ce qui n’était pas prévu initialement. J’ai déjà chanté ce rôle à la Scala, c’est donc parfait pour des débuts. Je suis dans les meilleures conditions, avec des collègues incroyables. En fin de la saison lyrique, c’est toujours bien de finir par un rôle un peu moins exigeant vocalement. J’avais un peu entendu tout et son contraire sur l’acoustique à l’Opéra Bastille, mais je trouve ça très agréable en fin de compte.

Dans votre actualité, il y a également l’enregistrement d’un album d’airs de Mozart avec l’ensemble Gli Angeli.

J’ai chanté à plusieurs reprises la partie de soprano II de la Messe en ut de Mozart avec cet ensemble et son chef Stephan MacLeod. Ce dernier m’a souvent conseillé de chanter davantage de Mozart, mais cela ne m’a pas été souvent proposé. Le disque étant donc une formidable occasion, sauf que je ne voulais pas faire un disque Mozart pour faire du Mozart. Stephan est donc venu avec cette idée autour de la voix de mezzo-soprano, qui n’existait pas à l’époque, autour d’arias écrites par Mozart pour différentes voix (castrats, voix féminines) et différentes tessitures (des plus graves aux plus sopranisantes). Cette m’a beaucoup plu car cette versatilité est un peu ma force. On y trouvera notamment l’aria de Susanna « Deh vieni, non tardar » que j’ai toujours rêvé de chanter. C’était également l’occasion de faire un clin d’œil à Elsa Dreisig, que j’adore, qui est soprano et avait inclus certains airs de mezzo dans son album Mozart.

En parlant de projet, comment votre CD hommage à Pauline Viardot s’est-il construit ?

J’ai beaucoup de gratitude pour Christophe Rousset avec qui j’ai réalisé ce projet. On s’était rencontré en Espagne pour Le Turc en Italie, au moment où beaucoup de lieux étaient encore fermés en France du fait du Covid. Nous avions alors sympathisé et passé du temps dans de très bons restaurants. Un jour, Christophe m’a demandé pourquoi je ne chantais pas davantage de musique baroque et, comme nous avions du temps, je lui ai proposé de me donner un coaching. On a alors travaillé pendant près de deux heures sur un long récitatif de Rameau, et là, un nouveau monde s’est ouvert à moi. J’ai découvert un champ extraordinaire d’expression.

On ne s’est plus vu pendant un an et un jour Christophe m’a appelé, me disant qu’il avait une idée de disque parfaite pour moi (je n’étais même pas au courant qu’il y avait un projet de CD !). Je connaissais bien Pauline Viardot par le biais de son influence littéraire, du fait des études littéraires que j’avais faites. Je savais qu’elle recevait de grands écrivains dans son salon, tous amoureux d’elles, mais j’ignorais son influence musicale et la grande cantatrice qu’elle avait été. Et puis, je me suis rendu compte que ce qu’elle chantait correspondait très bien à ma voix. En outre, j’étais ravie de pouvoir rendre hommage à une femme, qui a été un peu mise de côté dans l’histoire de la musique, alors qu’elle a joué un rôle si important. Christophe Rousset vous pousse toujours plus loin. Il m’a emmené dans des endroits où je ne pensais même pas pouvoir aller, comme ces récitatifs de Berlioz ou de Gluck. Bien sûr, ce sont des versions très personnelles : en Dalila, je sais je ne peux pas rivaliser avec des voix très corsées, donc j’ai fait une Dalila, plus jeune, plus ancrée dans le texte. Ce disque m’a permis d’aller très loin artistiquement et je suis ravie qu’on puisse enfin le présenter en concert, à la fin du mois d’août au Festival Berlioz de la Côte-Saint-André.

Comment avez-vous rencontré Marc Minkowski avec qui vous avez plusieurs projets la saison prochaine ?

J’ai chanté sous sa direction dans La Périchole au Théâtre des Champs-Elysées à Paris et, suite à une annulation, Marc m’a proposé de chanter pour le Gala des 40 ans des Musiciens du Louvre à Versailles. En deux jours j’ai dû préparer trois nouvelles arias, ainsi que tous les da capos qui vont avec. Cela a été un véritable coup de cœur de travailler avec lui : j’adore son swing, sa passion sur scène. Je vais chanter un récital Haendel sous sa direction la saison prochaine, toujours au TCE.

Je suis contente de faire de plus en plus de musique baroque : je viens également d’enregistrer quatre clips vidéo au Musée du Louvre, avec Julien Chauvin et son Concert de la Loge. J’ai par ailleurs chanté le rôle de Bradamante dans Alcina à Lausanne, un rôle qu’on m’a de nouveau proposé. Même si je me sens très en phase avec ce personnage de femme qui se déguise en soldat pour aller sauver son petit ami, j’aimerais également beaucoup chanter le rôle de Ruggiero, qui est tellement beau musicalement. Il y a également Xerxès, donc je chante l’aria « Crude furie ».

Vous avez récemment participé à un concert mêlant baroque et rap, sous la direction de Jean-Christophe Spinosi. Comment s’est passée cette expérience ?

C’était génial, peut-être l’un des meilleurs concerts de ma carrière ! Je pense qu’il est aujourd’hui complétement nécessaire de s’ouvrir à d’autres milieux. La musique classique est vouée à mourir si elle ne trouve pas un nouveau public, une nouvelle forme d’expressivité. Et je peux vous dire que mêler Vivaldi au rap, cela fonctionne ! Lors de ce concert, il y avait une batterie, l’orchestre, des rappeurs, un slameur et moi. Et je me suis retrouvée à slamer avec eux, à faire faire les chœurs au public dans Vivaldi ou Haendel. La réponse de ce dernier a été incroyable, je n’avais jamais vécu un concert comme celui-ci. On aurait pu je pense remplir cette salle quatre ou cinq soirs de suite. Chacun apprenait de l’autre : les rappeurs étaient très curieux par exemple du texte je chantais dans telle aria de Vivaldi, pour écrire des textes en rapport. Il y avait ce côté battle, cette liberté, que je connais bien, venant du métal. Jean-Christophe Spinosi a créé une sorte d’Académie dans laquelle des musiciens venus du jazz, du rock ou du classique apprennent les uns des autres. Pour moi, le baroque c’est un peu ceci, on doit improviser des variations, des cadences. Dans Vivaldi, moi j’entends des riffs de guitare. Le monde de l’opéra reste trop cloisonné, c’est dur d’imposer de nouvelles idées. Mais Jean-Christophe Spinosi le fait depuis longtemps.

Ces expériences mêlant les genres musicaux restent toutefois encore très isolées, non ?

Je crois qu’on est en train d’y arriver. Le succès des Indes Galantes à l’Opéra Bastille avec ses chorégraphies hip-hop a été phénoménal. Là, dans Roméo et Juliette, il y a du waacking, une danse des années 1970 issue de la communauté gay afro-américaine. On en fait tous sur scène, c’est vraiment génial. Dans Alceste que j’avais donné à l’Opéra de Rome, la mise en scène était signée de Sidi Larbi Cherkaoui, qui faisait toute la chorégraphie. Je pense d’ailleurs que le baroque est un terrain de jeu infini pour ceci. Je suis convaincue que tant que l’on fait ceci avec autant de respect pour l’art « populaire » que la musique classique, cela ne peut que fonctionner. Dans les festivals, je ne suis pratiquement engagée que pour des spectacles avec du cross-over. Les organisateurs se rendent compte qu’il y a un besoin, une envie du public de voir autre chose.

Je viens de faire des émissions TV où j’ai pu chanter Edith Piaf, et mon disque avec guitare marche vraiment bien. J’ai vu récemment un documentaire sur Pavarotti, et je me suis rendu compte que ce type de mélange existait il y a quelques années. Il était sur scène avec Bono, Sting, ils faisaient des bœufs ensemble. Teresa Berganza faisait de la musique populaire espagnole avec guitare. Et aujourd’hui, quand Juan Diego Flórez sort un disque avec guitare, les critiques lui tombent dessus en lui disant « Pourquoi tu ne restes pas dans Rossini ? », comme si cela était de la sous-musique. Mais enfin, laissez-le faire ce qu’il veut, il fait ça très bien ! Cette sacralisation de la musique classique risque de nous coûter très cher.

Dans un tout autre genre, vous chantez cet été aux Arènes de Vérone, dans le Barbier et Nabucco ?

J’avais déjà chanté à Vérone pour un gala, mais c’était une expérience assez bizarre, car la jauge n’était encore qu’à 10%. Je suis très content de chanter Rosina, car c’est la première fois depuis très longtemps qu’ils choisissent une mezzo pour le rôle, et non une soprano. Cela reste quand même un rêve de gamine de chanter Le Barbier de Séville à Vérone. Quand on est à moitié italienne comme moi, c’est également une consécration de chanter en Italie devant un si grand public.

En parlant de Rossini, je ferai également mes débuts dans Angelina de La Cenerentola, à la rentrée au TCE. J’attends cela depuis si longtemps. C’est le Rossini qui va le mieux à ma voix je pense, et pourtant on ne me le propose jamais  ! Je suis très reconnaissante de pouvoir faire des débuts dans des rôles de Mozart ou Rossini à 37 ans, j’ai d’ailleurs chanté mon premier Cherubino à 35 ans. Comme quoi, contrairement à ce qu’on me répète depuis que j’ai commencé, ce n’est jamais « trop tard » et on n’est pas « trop vieux » après 35 ans pour les rôles plus légers.

Considérez-vous, comme beaucoup de chanteurs, que chanter Mozart et Rossini est un peu comme une discipline pour la voix ?

Pour moi, Rossini et Mozart, c’est la santé de la voix. Dans le concert Mozart que j’ai donné à Genève il y a quelques jours, c’était vraiment difficile d’enchaîner ces douze arias si différentes. Pour pouvoir y arriver, il faut vraiment être parfaitement en place techniquement, on n’a pas le droit à l’erreur. Dès que l’on grossit la voix ou que l’on force, cela ne marche plus. C’est comme un échauffement. Rossini fait davantage travailler la virtuosité, c’est un peu différent. Mais pour moi, c’est tellement naturel depuis toute petite ces coloratures, c’est ma façon de m’exprimer vocalement. Le jour où je ne pourrai plus chanter Rosina, ce sera triste, car cela fait partie de mon ADN. Mais même si je me dirige vers d’autres rôles plus lourds à l’avenir, je veux continuer à faire du Mozart et du Rossini le plus longtemps possible.

Il y a des rôles mozartiens qui vous font rêver ?

Sesto : je pense que c’est le rôle qui m’irait le mieux en ce moment. C’est vrai que La Clémence de Titus est moins programmée que les autres grands opéras de Mozart. On m’a proposé le rôle d’Annio mais j’ai dit non, c’est moins ma tessiture et j’ai trop envie de Sesto. De toute façon, quand on voit que Cecilia Bartoli chante encore Sesto, je me dis que j’ai encore le temps ! Les gens me voient souvent comme une chanteuse rossinienne, donc on ne me propose pas forcément d’autres choses. Le baroque, par exemple, c’est très proche, en termes de virtuosité, de sauts d’octave, pourtant pendant longtemps je n’y ai pas eu accès.. Les gens vous mettent dans des boîtes et vous n’en sortez plus. Mais je pense que cela va changer, on va réécrire davantage d’opéras et qui sait, le prochain Carmen sera un homme ?

Le Metropolitan Opera de New York fait d’ailleurs un tabac en ce moment avec les créations, qui marchent beaucoup mieux que les opéras du répertoire

Oui, c’est rassurant. Cela veut dire que l’art se renouvelle et c’est une bonne chose. Nous en avons peut-être assez d’entendre toujours les mêmes œuvres.

En avril 2024, vous ferez vos débuts en Carmen, c’est le bon moment pour ce rôle ?

J’ai refusé à six reprises de chanter Carmen. Pour moi, on ne peut chanter le rôle que si on a vécu en tant que femme. On ne peut pas chanter Carmen à 25 ans, cela n’a aucun sens selon moi. C’est un rôle pour lequel il faut être prêt, vocalement mais également physiquement. Il y a une sensualité, il faut tenir la scène du début jusqu’à la fin : même si on ne chante pas tout le temps, on est quasiment tout le temps sur scène. Vocalement, il faut du souffle, et psychologiquement, il se passe tellement de choses. Jusqu’ici je n’étais pas prête, même si techniquement, j’aurais pu le faire, mais il me manquait certaines couleurs et une corporalité.

J’aime bien jouer les femmes fortes, c’est très compliqué pour moi de jouer une femme faible ou victime à l’opéra. Dans le cas de Carmen, on a affaire à l’une des rares femmes de l’histoire de l’opéra qui prend sa vie en main, qui a cette force, cette indépendance, cette liberté. Cela me rend folle quand je vois que certains metteurs en scène en font une pute. Pour mes débuts, j’ai demandé spécifiquement à ce que Carmen ne soit pas une pute. Ce serait trop triste, j’aurais vraiment du mal. Mais je suis rassurée, cela ne sera pas le cas. Et puis, l’Opéra de Zurich est l’endroit idéal pour ces débuts : l’acoustique est bonne, c’est comme une petite famille, je vais me sentir bien. Il y a une quinzaine de représentations, donc j’aurai le temps d’apprivoiser le personnage. Je pense que je serai amenée à rechanter souvent le rôle, donc j’ai vraiment envie de bien réussir cette première fois. Gianandrea Noseda dirige la production, donc ce sera une belle équipe.

Pour un artiste lyrique, il faut souvent décider de prises de rôle bien longtemps à l’avance. Comment faites-vous pour vous projeter ?

C’est très compliqué. Je fonctionne beaucoup à l’objectif, je suis goal oriented. Actuellement, mon objectif, c’est de faire un peu plus de rôles lyriques. Il y aura donc Carmen, puis les années suivantes, Octavian, Charlotte, Eboli, tout en gardant mon répertoire habituel et des seconds rôles au moins deux ou trois fois dans l’année. Ma règle, c’est : pas plus de deux nouveaux rôles par saison. Cette année c’était Alceste et La Périchole et Alceste était déjà un sacré challenge. Pour une femme artiste lyrique, il est plus compliqué de se projeter à cinq ans. On ne sait pas forcément ce qui va se passer dans les années à venir, vais-je avoir un enfant ? Est-ce que ma voix va changer ? Je vois déjà que ma voix est en train de se corser naturellement, qu’elle est déjà plus charnue. Les contre-ut dans Stefano de Roméo et Juliette, ils y sont, mais ils sont moins faciles qu’il y a quelques années. Quand je me fixe des objectifs, j’aime les atteindre. La carrière, c’est un grand jeu d’équilibre.

Mais je considère qu’il faut construire quand on peut, quand on a la chance de pouvoir le faire, évidemment. Il faut essayer d’être assez réaliste : « Est ce que je vais pouvoir assumer tous ces rôles dans la même année ? ». Parce qu’apprendre des rôles, cela prend du temps. Actuellement, je vois que, dans mon entourage de chanteurs, on est tous un peu au bout du rouleau en cette fin de saison post Covid. Et on est tous en train de se dire qu’il va falloir construire nos prochaines saisons un peu différemment, pour ne pas enchaîner sept ou huit productions. Personnellement, j’ai besoin d’un peu d’espace dans mon calendrier pour pouvoir faire d’autres choses, avoir d’autres projets.

Aimez-vous construire des programmes, comme celui du disque « Porque existe otro querer », enregistré avec le guitariste Gabriel Bianco ?

J’adore : c’est ma liberté, ma créativité et j’ai besoin de cela pour m’exprimer. Dans l’opéra, je m’exprime au travers d’un personnage, d’un chef d’orchestre, d’un metteur en scène et j’essaye d’apporter ma petite dose de personnalité, de liberté. Donc le fait de pouvoir créer des récitals, des disques avec du cross over, d’autres univers musicaux, c’est important. Avec Jean-Christophe Spinosi, on essaye d’amener ces programmes vers d’autres publics : le public du rap, les banlieues, le public du rock. S’enrichir les uns et les autres, découvrir d’autres mondes, pour moi c’est aussi cela la musique.

J’ai également besoin mentalement d’avoir cet espace, pour continuer à sortir de ma zone de confort, à aller plus loin. Le projet avec Gabriel Bianco est né pendant le confinement et a pris forme petit à petit. On a réarrangé tous ces titres, et on continue à le faire, en allant maintenant plus loin, avec du violoncelle, du saxophone, et en partant également vers des musiques de monde. J’aimerais chanter du fado par exemple, je pense que cela nourrirait mes rôles à l’opéra, en apportant d’autres couleurs. Pour moi, c’est essentiel vraiment d’avoir ces projets. J’ai bien l’intention de continuer et d’aller encore plus loin.

Vous vous êtes récemment exprimé sur les réseaux sociaux pour soutenir certains artistes ayant annulé des spectacles, comme votre frère Lorenzo Viotti, ou Nadine Sierra.

C’est un vrai sujet actuellement. Comme je l’indiquais, dans mon cercle de chanteurs et de musiciens, on est très nombreux à finir cette saison épuisés. C’est très embêtant car il y a l’attente du public, qui a souvent payé ses places à l’avance. Or, il y a des fois où l’on ne peut juste plus. Et, en cas d’annulation, il y a une culpabilité très difficile à vivre, parce que tout le monde nous fait sentir qu’il vaudrait mieux ne pas annuler. Ce n’est quand même pas de gaieté de cœur qu’on annule un spectacle, c’est aussi des mois de travail. Mais si on n’annule pas, on risque de faire du mal à notre instrument, pour un long moment, et il n’y aura même pas de vraie gratitude du public, qui ne s’en rendra pas forcément compte. J’ai déjà chanté avec une voix malade et c’est horrible. C’est un sentiment vraiment désagréable, qui fait mal.

Il n’y a même pas vraiment de prise de conscience de ce que cela nous coûte, on pourrait faire comme dans n’importe quel métier, s’arrêter quelques jours lorsqu’on est malade. Lorsqu’un footballeur se tord la cheville, on ne lui demande pas d’aller jouer un match. C’est important de parler de ce problème : nous sommes des êtres humains, cela nous arrive d’être malade, de faire un burn-out. Il y a un moment où le corps ne répond plus, mais annuler est une décision horrible à prendre. Cela m’est arrivé en décembre dernier. Un peu comme Nadine Sierra, je perdais ma concentration, j’oubliais mon texte, je n’arrivais même plus à me lever le matin. Je devais chanter Cosi fan tutte à Bilbao et j’ai annulé. Avec le recul, c’est la meilleure décision que j’ai prise. Le directeur de l’Opéra a été fantastique et m’a soutenu. Mais ce n’est pas toujours le cas, on peut être menacé d’être poursuivi en justice, il y a vraiment une réelle pression. C’est un sujet qui doit être abordé plus souvent.

Peut-être que la réaction parfois violente du public face aux annulations renvoie au prix élevé des billets dans le lyrique ?

Oui et non. Parce que pour moi, il y a beaucoup de choses qui sont beaucoup plus chères que ça. Et les gens n’ont aucun problème à payer. Alors que là, quand on regarde le nombre de personnes impliquées pour faire un spectacle lyrique, ce n’est pas cher, en fait, je trouve. Certes, certaines places sont vraiment très chères. Le plus gênant est peut-être lorsque les tarifs sont rehaussés parce qu’une star est à l’affiche un soir donné. Là, je comprends que le public puisse être fâché en cas d’annulation. Mais en temps normal, le public doit comprendre que nous ne sommes pas des machines et que si on annule, c’est qu’il y a une bonne raison.

Ceci étant dit, peut-être qu’il faut revoir certaines choses, par exemple le temps de répétition qui est très long : quatre ou cinq semaines, c’est trop. Du coup, souvent, les grands chanteurs n’arrivent que pour les deux dernières semaines de répétition, ce qui peut créer de la frustration et de la désorganisation. Pour moi, trois semaines de répétitions, avec tout le monde, seraient suffisantes, cela permettrait d’avoir du temps entre deux productions. Mais c’est également la faute de l’artiste et des agents qui font un peu de surbooking. Quelques années à l’avance, on a tendance à se dire que tout ira bien, mais quand les choses arrivent et qu’on voit le planning, on réalise que c’est juste impossible.

La période post-Covid a également incité les gens à ce surbooking, on se disait qu’il fallait accepter toutes les propositions, ne sachant pas de quoi l’avenir allait être fait. J’ai fait également cette erreur, mais quand on s’en rend compte, c’est trop tard. On en a parlé justement avec Nadine Sierra. Je l’ai félicitée d’avoir eu le courage de s’exprimer, avec sa notoriété, sur les réseaux sociaux lorsqu’elle a dû annuler des spectacles. Et j’étais tellement contente de voir qu’il n’y avait quasiment que des messages de soutien à cette prise de position. Au final, je me dis que si l’on explique aux gens la situation, ils seront plus compréhensifs, et les théâtres le seront également.

Est-ce que les réseaux sociaux, sur lesquels vous être très présente, permettent au public de mieux comprendre tout le travail qu’il y a derrière le lyrique, les répétitions, les temps de trajet par exemple ?

Oui, et également de comprendre que ce qu’on nous demande aujourd’hui sur scène n’est plus du tout comme avant. Par exemple, cet après-midi, je viens de faire deux heures de combat lors de la répétition de Roméo et Juliette. C’était hyper physique, avec des montées et descentes d’escalier, des side kicks, etc. C’est épuisant physiquement, c’est comme faire du sport. On ne fait pas que venir sur scène et chanter, cela demande un entraînement régulier. Le public nous voit parfois comme La Castafiore, mais ce n’est plus du tout cela. Sinon, effectivement, je suis très présente sur les réseaux sociaux. Mes followers, dont beaucoup sont aussi des amis de mes vies passées, n’ont souvent aucune idée de ce qu’est l’opéra et me disent : « C’est monstrueux ce que vous faites. Vous devez apprendre par cœur, vous avez de la pression ». Effectivement, chaque fois, on chante, on est jugé, on est critiqué, et tout ceci est un peu stressant. On ne peut pas craquer une note. On ne peut pas avoir un blanc sur scène. On ne s’en rend pas forcément compte de l’extérieur. Moi, je n’en suis pas consciente, de toute cette pression. Quand je me rends compte c’est à cause des tensions dans la nuque régulièrement. Finalement, faire un peu moins mais mieux, c’est mon objectif pour les prochaines années parce que de toute façon, je ne pourrai pas tenir le rythme actuel. En plus pour avoir une vie à côté, c’est un problème. Beaucoup de chanteurs sont plus ou moins célibataires, avec tout ce que l’on fait, comment en plus caser quelqu’un dans notre vie ?

La vie itinérante de l’artiste lyrique est également fatigante ?

C’est une vie de nomade, on est un peu toujours dans les valises, deux mois ici, deux mois-là. Dès que l’on commence à prendre ses habitudes dans un endroit, il faut en changer, se déraciner, retrouver des nouvelles habitudes ou routines. Par exemple, dès que j’arrive dans un endroit, je cherche un club pour faire du padel : je commence à y connaître des gens pour jouer, à me faire des amis, et hop, il faut repartir. On n’est quasiment jamais chez soi, et cela peut être parfois fatigant. Des fois, j’ai l’impression d’être schizophrène : je me réveille sans savoir où je suis. Heureusement l’été arrive, et je vais pouvoir penser à autre chose qu’au chant.

Avez-vous d’autres projets ou des artistes avec qui vous aimeriez collaborer ?

J’ai toujours envie de jouer au Hellfest, c’est vraiment un de mes objectifs ! J’adorerais également chanter au Palau de la Musica à Barcelone, qui est vraiment un endroit magique. Sinon, je suis ravie de revenir au Théâtre des Champs-Elysées la saison prochaine. Michel Franck et Baptiste Charroing sont des personnes qui ont misé sur moi, et tout ce qui m’arrive en ce moment en France est un peu grâce à eux. Avec la vie nomade d’artiste, cela fait du bien d’avoir des points de repères, des endroits où l’on a envie de revenir. J’aimerais beaucoup chanter avec Riccardo Muti. J’ai eu la chance d’être dirigée par Daniel Barenboim à Berlin dans sa dernière production scénique à ce jour, en Chérubin. Je souhaiterais également davantage chanter de Mahler. C’est peut-être le répertoire que je fais le moins, alors que c’est l’un de ceux que j’écoute le plus. Et puis j’aimerais chanter beaucoup plus souvent avec mon frère Lorenzo !

Vous êtes très sportive, c’est à la fois une passion, mais également important pour votre vie professionnelle ?

Oui, je ne pourrais pas m’en passer. C’est important pour mon métier, c’est aussi un exutoire, et également ma façon d’avoir un réseau en dehors de l’opéra, de rencontrer des gens différents et d’autres univers. Même en vacances je fais beaucoup de sport. Je ne sais pas ne rien faire, c’est une catastrophe !

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