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Nino Machaidze : « J’aime passionnément ce métier et je m’efforce de ne jamais laisser place à la monotonie. »

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Interview
21 septembre 2023
Quinze ans après sa dernière rencontre avec Mozart, la soprano géorgienne fait ses débuts en Elettra dans une nouvelle production d’Idomeneo à l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, jusqu’au 28 septembre prochain.

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Dans cette entrevue, cette artiste généreuse partage son expérience et son amour pour la scène mais aussi pour l’enseignement, offrant un bel aperçu de sa carrière et de sa passion pour l’opéra.

Vous revenez à Mozart des années après vos premiers pas avec ce compositeur …

J’avais dix-sept ans lorsque j’ai chanté Mozart pour la première fois. C’était à l’Opéra de Tbilisi et j’étais Zerlina dans Don Giovanni. Ensuite, pendant les deux années passées à l’académie de la Scala, j’ai chanté le rôle de Silvia dans Ascanio in Alba puis Despina dans Così fan tutte. La direction voulait que je chante Fiordiligi mais j’ai refusé. J’avais vingt-deux ans et j’étais trop jeune pour ce genre de rôle. J’ai donc demandé à chanter Despina et j’y ai pris beaucoup de plaisir tout au long de la quinzaine des représentations. La dernière fois que j’ai chanté un rôle de Mozart c’était donc en 2007 ! On m’a ensuite vite catégorisée comme une chanteuse belcantiste et pour être honnête, je n’émettais pas spécialement le souhait de revenir à Mozart mais aujourd’hui je suis ravie d’y revenir avec le rôle d’Elettra. Maintenant je sens que c’est le moment, j’ai quarante ans et je suis prête pour ces rôles plus larges. Aussi, je ne chanterais plus Despina ou Zerlina aujourd’hui car j’ai besoin de la dimension dramatique et de l’énergie que demandent les rôles tels que celui d’Elettra.
Par ailleurs, certaines lignes de ce rôle me rappellent les cabalettes de Verdi et, dans le deuxième acte, il y a des parties cantabile assez proches de l’écriture belcantiste. Je pense aussi bien évidemment à l’aria finale « D’Oreste, d’Aiace », où Elettra est furieuse, qui s’apparente à une scène de folie.

Cette furie me fait justement penser au final d’Anna Bolena, lorsqu’elle chante « Coppia iniqua, estrema vendetta ». D’ailleurs, en belcantiste aguerrie que vous êtes, vous n’avez jamais voulu chanter ce rôle ?

On me l’a proposé il y a quelques années mais j’ai refusé. Si on me le proposait aujourd’hui, j’accepterais certainement. À ce stade de ma carrière, je me sens extrêmement à l’aise dans ces pages où il faut vraiment se donner entièrement, sans retenue, sans appréhension. J’étais peut-être plus sur la réserve il y a quelques années, mais plus maintenant.

Selon vous, quelles sont les spécificités requises pour chanter Mozart ?

Ce que j’ai toujours fait dans ma carrière c’est de ne pas adapter ma voix aux rôles que je chante mais l’inverse. La technique et la voix restent la même, quel que soit le compositeur que j’aborde. Ainsi je peux aisément passer de Rossini à Verdi, de Puccini à Mozart et ainsi de suite. Par exemple, trois jours après avoir chanté Giovanna d’Arco à Rome, je chantais Armida à Marseille … Évidemment il ne faut pas exagérer et se dire qu’on peut tout chanter. Il faut être prudent et bien connaitre sa voix, ses qualités et ses limites.

Nino Machaidze dans le rôle d'Elettra à l'Opéra Royal de Wallonie-Liège. © Jonathan Berger/ORW.
Nino Machaidze dans le rôle d’Elettra à l’Opéra Royal de Wallonie-Liège. © Jonathan Berger/ORW.

Aimez-vous interpréter le rôle d’Elettra, ce personnage sombre, si loin de Mimì, Gilda ou Violetta que vous connaissez bien ?

Énormément ! Durant toutes ces années, il se trouve que je n’ai jamais incarné la figure de la « méchante ». Mes rôles sont souvent ceux d’une gentille fille, bien éduquée et amoureuse à l’instar d’Ilia dans Idomeneo. Après de nombreuses années à interpréter des rôles de femmes malades, mourantes, éperdues d’amour, je peux désormais m’épanouir en étant quelqu’un d’autre, en l’occurrence, une « méchante », que je ne suis pas dans la vie réelle (rires). C’est amusant, c’est nouveau, c’est rafraîchissant. Voilà pourquoi vingt-quatre ans après mes débuts sur scène, je continue d’intégrer de nouveaux personnages à mon répertoire, ajoutant au moins deux rôles par saison.

C’est aussi une façon de se renouveler ?

J’aime passionnément ce métier, et je m’efforce de ne jamais laisser place à la monotonie. Le chant ne doit jamais susciter l’ennui. Je pense à Gilda dans Rigoletto, que j’ai interprétée des centaines de fois. Il vient un moment où la lassitude s’installe. Lorsque j’ai visionné ma dernière représentation, qui remonte à quelques années à San Francisco, je me suis dit : « C’était la dernière fois. Je ne veux plus recommencer ». J’ai incarné ce personnage  pendant quinze ans, dans des dizaines de productions, aux quatre coins de la planète. Toutefois, à un certain moment, il faut savoir dire adieu. Je cherchais déjà quelque chose de plus, car cela ne me convenait plus, non pas sur le plan vocal, mais par rapport à la dramaturgie autour de ce personnage.
Je suis intimement convaincue que si l’on n’aime pas quelque chose, on ne peut pas y mettre 100% de soi-même. Et sans cet investissement total, on ne saurait convaincre qui que ce soit, car on trahit déjà sa propre passion. Vous voyez où je veux en venir ? Il est préférable de dire adieu et d’embrasser de nouveaux rôles, en adoptant une approche différente, que de tourner en rond avec un personnage.

Nino Machaidze dans le rôle de Gilda dans Rigoletto de Verdi, en répétition à l'Opéra de San Francisco. © Cory Weaver.
Nino Machaidze dans le rôle de Gilda dans Rigoletto de Verdi, en répétition à l’Opéra de San Francisco. © Cory Weaver.

Pouvez-vous nous parler un peu de la vision de Jean-Louis Grinda pour cette nouvelle production d’Idomeneo

Cette production est fidèle au livret, elle respecte scrupuleusement l’intrigue. Rien n’y est extravagant ou en dehors du cadre narratif. Je suis convaincue que le public l’appréciera car chaque personnage est doté d’une personnalité singulière et dont l’individualité reste clairement perceptible lorsque ils interagissent. Jean-Louis Grinda a veillé à ce que les artistes puissent s’exprimer avec authenticité sur scène. J’admire sa vision artistique et sa méthode de travail qui laisse aux interprètes une totale liberté pour développer leurs émotions les plus enfouies.

Au début des répétions, est-ce que vous échangez avec le metteur en scène sur la direction que vous allez donner au personnage que vous interprétez ?

Parfois, c’est indispensable, d’autres fois non. Lorsque les répétitions commencent et que vous sentez que les indications du metteur en scène ne correspondent pas à votre vision et que vous n’êtes pas à l’aise, alors les discussions sont nécessaires. Cependant, il arrive que tout se déroule naturellement, harmonieusement, et il paraît alors inutile d’ouvrir des discussions. Pour Idomeneo par exemple, ce genre de discussions n’a pas eu lieu car Jean-Louis Grinda nous a laissé la liberté de créer notre personnage.

Nino Machaidze et Jean-Louis Grinda durant les répétitions d'Idomeneo à l'Opéra Royal de Wallonie-Liège. © Jonathan Berger/ORW.
Nino Machaidze et Jean-Louis Grinda durant les répétitions d’Idomeneo à l’Opéra Royal de Wallonie-Liège. © Jonathan Berger/ORW.

En novembre, vous aborderez pour la première fois le rôle conséquent d’Elisabeth de Valois dans Don Carlos au Staatsoper de Hambourg. Avez-vous déjà commencé à l’apprendre ?

Oui, j’ai commencé à l’apprendre pendant les répétitions d’Idomeneo. Bien souvent, je dois apprendre des rôles en un laps de temps très court et cela demande une certaine organisation. La plupart du temps, je dois jongler avec plusieurs rôles en même temps, comme en ce moment où je suis en train de préparer un nouveau rôle tout en continuant à travailler sur un autre. C’est la seule manière de faire, car si vous attendez le début d’une production pour l’apprendre, il sera trop tard. Vous arriverez aux répétitions sans être prêt et je déteste ça ! Je n’ai jamais fait ça de ma vie. En tant que professionnelle, je me dois d’arriver préparée, de connaître le rôle sur le bout des doigts. Bien sûr, le rôle évoluera au fil du temps, il s’améliorera de jour en jour, mais je dois connaître tous les détails pour ne pas faire perdre de temps à mes collègues. C’est très désagréable lorsque vous êtes en répétition et que vous voyez un collègue qui ne connaît pas son rôle, et vous devez attendre pendant qu’il ou elle essaie de se rappeler les paroles…

Comment travaillez-vous ? Comment préparez-vous un nouveau rôle ?

Avant tout, j’aime avoir une vision globale de l’opéra et de la musique. En général, je commence par écouter l’oeuvre deux ou trois fois du début à la fin en sélectionnant des enregistrements de qualité. Si l’opéra est en français, je recherche toujours des enregistrements avec chanteurs ayant une bonne prononciation car nous autres chanteurs avons une oreille très développée. Nous mémorisons non seulement la musique, mais aussi les erreurs qui peuvent être commises. Si vous écoutez un enregistrement où les chanteurs ont une prononciation approximative ou font quelques fausses notes, vous risquez de les mémoriser et de les reproduire, ce qui peut poser problème lors des répétitions. C’est pourquoi j’ai toujours ma partition sous les yeux lorsque j’écoute des enregistrements.
Ensuite, je commence réellement à travailler dessus. Lorsqu’il s’agit d’un opéra en français, étant donné que je ne parle malheureusement pas cette langue, je souligne les mots qui me semblent difficile à prononcer. Enfin, je commence à mémoriser le rôle et j’ai la chance d’apprendre très rapidement. Pour un opéra italien de cinq cents pages environ, je peux l’apprendre en une semaine. En revanche, en français ou dans une autre langue, cela peut me prendre environ trois semaines.

La langue française est réputée pour être très difficile à apprendre mais également à prononcer …

En effet, maîtriser la prononciation française représente un défi bien plus grand que l’italien. La musicalité et la complexité des sons français exigent une précision extrême. Même si l’italien requiert également une diction précise, il s’avère moins exigeant que le français sur ce plan. En revanche, quand je chante en français, ma voix semble avoir une énergie, une vigueur particulières. Chanter en français me paraît plus naturel qu’en italien, étonnamment. Je ne saurais expliquer pourquoi, mais depuis mes débuts, ma voix est très épanouie dans cette langue. Je me souviens d’avoir appris Juliette et interprété d’autres rôles en français, comme Leïla dans Les Pêcheurs de perles ou Marie dans La Fille du régiment. Cependant, il est important de rappeler qu’en dehors de notre langue maternelle, il est difficile d’atteindre la perfection. Si j’entends quelqu’un parler géorgien, je peux discerner immédiatement si la personne est géorgienne ou pas. Je vis en Italie depuis dix-huit ans et même si je maîtrise très bien la langue, les Italiens devinent que je ne suis pas native.

Nino Machaidze dans le rôle d'Elettra à l'Opéra Royal de Wallonie-Liège. © Jonathan Berger/ORW.
Nino Machaidze dans le rôle d’Elettra à l’Opéra Royal de Wallonie-Liège. © Jonathan Berger/ORW.

Outre le géorgien et l’italien quelles langues parlez-vous ?

L’anglais, un peu d’espagnol et le russe que je parle couramment. À l’époque de l’Union soviétique, nous regardions des dessins animés, des films à la télévision en russe et nous l’apprenions à l’école. Cette langue était omniprésente en Géorgie comme dans tous les états satellites de l’URSS…

Puisque l’on parle de langues et de cultures, comment expliquez-vous qu’il y ait tant de musiciens et de chanteurs lyriques géorgiens sur la scène internationale ?

La musique coule dans nos veines. En Géorgie, nous avons une tradition musicale très forte, presque ancestrale, qui fait partie intégrante de notre culture et même au sein de familles qui n’ont rien à voir avec la musique, comme la mienne, c’est très important. À la maison, nous avions un piano, et ma mère m’a inscrite à l’école de musique pour prendre des cours, non seulement parce que je chantais constamment, mais aussi parce que cela fait partie de notre tradition.
Dans chaque famille géorgienne, vous trouverez un piano et des enfants qui apprennent la musique, que ce soit le piano, la guitare ou un autre instrument. Les Géorgiens considèrent l’éducation musicale comme une richesse à transmettre à leurs enfants, que ces derniers deviennent chanteurs ou musiciens ou non. C’est un héritage précieux, car cela permet de détecter plus facilement les talents dès le plus jeune âge. Ainsi, dès l’âge de six, sept ou huit ans, de nombreux enfants intègrent des écoles de musique, ce qui facilite la découverte de leurs talents. Si vous avez la chance d’avoir un enfant doté d’un talent musical, cela se révèle plus tôt et vous pouvez dire : « Mon enfant a du talent ». Sans cela, il est possible que vous ne découvriez jamais ce talent.
Lorsque vous allez en Géorgie et que vous assistez à une grande fête, à l’une de ces immenses tablées où nous avons l’habitude de nous retrouver, il y a toujours un moment où tout le monde se met à chanter … et les gens chantent bien !  Nous sommes tous musiciens, même ceux qui n’ont pas suivi une carrière musicale. C’est comme si la musique était ancrée dans notre ADN.

Nino Machaidze durant les répétitions d'Idomeneo à l'Opéra Royal de Wallonie-Liège. © Jonathan Berger/ORW.
Nino Machaidze durant les répétitions d’Idomeneo à l’Opéra Royal de Wallonie-Liège. © Jonathan Berger/ORW.

C’est donc très jeune que vous avez découvert la musique ?

Oui, toute petite déjà j’écoutais des chansons de Whitney Houston et je chantais mes propres paroles qui ne voulaient rien dire (rires). A l’âge de huit ans, le professeur de piano a dit à ma mère que je devais changer de classe, car je ne jouais pas correctement et que je chantais les notes que je ratais au piano (rires). Ma mère m’a donc inscrite à des cours de chant, et l’enseignante a immédiatement remarqué mon talent si bien qu’un mois plus tard, j’étais déjà sur scène à chanter Oscar dans Un ballo in maschera de Verdi. On me faisait participer à tous les concerts, et j’étais la fille la plus heureuse du monde. En Géorgie, nous donnons des concerts très tôt, ce qui permet de repérer les talents dès leur plus jeune âge. C’est l’un des aspects exceptionnels de notre culture musicale. Nous sommes confrontés très tôt à la scène, bien avant ce qui se fait en Europe ou aux États-Unis. Même au conservatoire, nous participions déjà à des opéras. C’est ainsi que j’ai été nommée soliste à l’opéra au même moment où j’ai intégré le conservatoire. On ne grandit pas seulement en classe avec son professeur de chant mais aussi et surtout sur scène. C’est pourquoi dès l’âge de seize ou dix-sept ans, nous sommes déjà dans le cœur du métier, face à un public.

En France, la culture musicale ne fait pas vraiment partie intégrante de l’éducation…

Je pense que c’est aussi le cas en Italie, malheureusement. C’est regrettable, car les enfants commencent à apprendre la musique assez tard, sans avoir l’expérience de la scène qui est selon moi la partie la plus importante. Vous pouvez être un merveilleux chanteur dans votre loge, mais une fois sur scène, vous pouvez avoir peur, ou être confrontés à des choses que vous n’aviez pas anticipées, et toutes ces années d’études peuvent alors être réduites à néant. Vous comprenez alors que vous n’êtes pas fait pour la scène car malheureusement, tout le monde n’est pas capable de gérer le stress que cela génère.

Nino Machaidze durant les répétitions d'Idomeneo à l'Opéra Royal de Wallonie-Liège. © Jonathan Berger/ORW.
Nino Machaidze durant les répétitions d’Idomeneo à l’Opéra Royal de Wallonie-Liège. © Jonathan Berger/ORW.

Vous avez donné plusieurs masterclasses à Bruxelles et vous enseignez également le chant à quelques élèves. Qu’aimez-vous dans l’enseignement ?

J’aime beaucoup pouvoir aider la jeune génération de chanteurs. Cela me procure une immense satisfaction. En tant qu’artiste, en tant que chanteuse, voir le public heureux me comble de joie, bien sûr. Cependant, ce qui me touche profondément, c’est de voir ces jeunes chanteurs arriver le premier jour, souvent avec des difficultés voire en détresse vocale. Malheureusement, de nos jours, c’est le cas pour beaucoup de jeunes et je ne sais pas ce qu’il se passe dans certaines écoles ou conservatoires mais nombre de professeurs n’enseignent pas les bases essentielles du chant, comme le soutien, la respiration, ou la posture. C’est pourtant le fondement du chant. Parfois, ces jeunes artistes sont maltraités parce qu’ils ne peuvent pas exécuter ce que les enseignants demandent, mais cela est dû au fait que les professeurs ne leur expliquent pas comment faire, ils leur disent simplement de le faire : « Pense à ceci, réfléchis à cela ». Je n’enseigne pas des concepts théoriques à mes élèves mais je leur donne des instructions claires et simples, faciles à comprendre et à appliquer. C’est de la pratique et pas des discours abstraits qui les perdent complètement … et les résultats arrivent très rapidement.
Cela me motive à continuer, car ils progressent, et j’aime les guider. Je partage avec eux ce que je sais, y compris les vocalises que je pratique depuis l’âge de huit ans. Cette transmission est très importante pour moi. Aussi, mon enseignement ne se limite pas à la technique, il englobe également l’interprétation et la présence scénique, ô combien essentielles. L’authenticité de l’interprétation, l’expressivité et l’engagement total du corps sont tout aussi cruciaux dans le chant ; la technique vocale seule ne suffit pas.

C’est un peu la définition qu’on pourrait faire d’un artiste, non ?

Tout à fait. Tout au long de ma carrière, j’ai souvent entendu des chefs d’orchestre et des metteurs en scène me dire : « Je t’apprécie parce que tu n’es pas seulement une chanteuse, tu es une artiste. » Cela signifie beaucoup pour moi, car être uniquement une chanteuse serait assez monotone. Lorsque j’assiste à une représentation, si je vois mes collègues se contenter d’être des chanteurs, je ne reste pas. On n’a pas besoin de me donner un cours de chant. Donnez-moi plutôt de l’émotion, faites naître des frissons, transmettez quelque chose. Sinon, je trouve ça terriblement ennuyeux.

Être un artiste, c’est aussi s’exposer au regard des autres et à la critique. Comment la gérez-vous ?

Je sais toujours si ma performance sur scène a été réussie ou pas. Pour moi, c’est l’essentiel : être satisfaite de moi-même. Lorsque je donne tout dans un spectacle, lorsque je ressens un succès retentissant, je rentre dans ma loge comblée. Ce n’est pas parce que je recherche les applaudissements, mais parce que c’est une nécessité profonde. Mon désir est de toucher le cœur du public, de lui procurer des frissons. C’est une démarche authentique, une passion qui m’anime toujours après toutes ces années de carrière.
Les critiques, parfois, me parviennent car des collègues les partagent ou me taguent sur les réseaux sociaux. En tant qu’artiste, je consacre des heures à une performance, livrant une prestation exigeante. Chanter des rôles comme celui de Violetta demande beaucoup d’investissement et d’énergie. Parfois, les critiques se contentent de quelques mots, ce qui ne permet pas vraiment de comprendre leur point de vue. Peut-on réellement évaluer trois heures de travail en deux mots ? Par ailleurs, je ne connais pas l’auteur de ces critiques. Je ne sais pas s’il maîtrise l’art du chant, s’il comprend les défis de notre métier et j’ignore même s’il était vraiment présent à la représentation. Comment pourrais-je être affectée par l’opinion d’une personne que je ne connais pas et qui ne sait peut-être pas grand-chose de la musique et du chant ? C‘est d’autant plus cruel lorsque les critiques manquent de respect et de bienveillance. Quand j’étais plus jeune et moins « blindée », je lisais ces critiques et ça m’atteignait. J’avais donné le meilleur de moi-même, le public avait été enthousiaste, c’était un succès indéniable. Pourquoi ces critiques étaient-elles si sévères ? Pourquoi penser être plus perspicace que des centaines de spectateurs heureux ? Aujourd’hui, ça ne m’attriste plus, car je sais que ça demeure bien souvent subjectif. Si quelqu’un souhaite exprimer des critiques négatives, cela relève de son droit fondamental, mais à quoi bon ?

Nino Machaidze dans Giovanna d'Arco à l'Opéra de Rome en 2021. © Fabrizio Sansoni / Teatro dell’Opera di Roma
Nino Machaidze dans Giovanna d’Arco à l’Opéra de Rome en 2021. © Fabrizio Sansoni / Teatro dell’Opera di Roma

Il faut donc une forme de résilience pour ne pas se sentir trop affecté par les critiques ?

Certainement. Et il faut cultiver cette résilience pour perdurer dans ce milieux exigeant, voire intransigeant, car une carrière sur scène ne tient pas longtemps sans cela. Je parle ici après plusieurs décennies d’expérience : Il faut  aussi se tenir à l’écart des énergies négatives pour s’épanouir. Cela découle à la fois de la nécessité d’être assez lucide sur nos aptitudes et de se faire confiance. Si je réalise que ma performance n’est pas à la hauteur, je m’attelle à m’améliorer, à corriger mes erreurs.
Nous avons le privilège de pratiquer l’un des métiers les plus extraordinaires qui soit et nous avons la chance de fouler les planches des théâtres, de susciter des émotions, d’apporter de la joie au public, et de nous épanouir dans notre art. C’est ce qui est le plus important pour moi et je suis très heureuse de pouvoir mener une carrière depuis toutes ces années.

Entre mai et juillet 2024, vous allez enchaîner les deux Otello (Rossini et Verdi) à l’Opéra de Francfort. C’est un véritable challenge !

Oui, je suis vraiment très contente de participer à ce projet rare et ambitieux qui consiste à enchaîner six représentations de l’Otello de Rossini et six représentations de celui de Verdi. J’ai chanté la Desdemona de Rossini plusieurs fois mais pas encore celle de Verdi. Quand on me l’a proposée,  je me suis mise au piano, j’ai chanté quelques phrases et je me suis tout de suite sentie confortable avec la partition.

Allez-vous revenir prochainement en France ?

Malheureusement ce n’est pas prévu pour le moment mais je retournerai en Belgique, à la Monnaie de Bruxelles, à partir du 22 mars pour Rivoluzione, un patchwork d’extraits de Verdi de jeunesse. J’y donnerai également un récital autour de Rossini aux côtés d’Enea Scala et Vittorio Prato le 28 mars.

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