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Regards sur Béatrice Uria Monzon : « Elle était solaire »

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Actualité
25 juillet 2025
Collègues chanteurs, chefs, metteurs en scène, directeurs de maison d’opéra, Forumopera a recueilli les témoignages des proches de Béatrice Uria-Monzon pour former une grand portrait en mosaïque d’une artiste qui n’a pas fini de nous manquer.

Infos sur l’œuvre

Détails

Roberto ALAGNA, ténor

« Béatrice est mon amie, ma complice, ma Chimène, ma Didon, ma Santuzza , ma Carmen et tant d’autres héroïnes.
Elle est ma jeunesse, elle est là, près de moi et en moi, compagne et artiste de rêve, symbole et protagoniste de nos espoirs, de notre devenir. Elle est la symbiose parfaite d’une interprète et son personnage. Pas besoin de mots pour expliquer cette fusion.
Elle est ma Carmen et ma Béa pour toujours. »

Roselyne BACHELOT, ancienne Ministre de la Culture

Quand une artiste de l’envergure de Béatrice Uria-Monzon part pour le grand voyage, vous revient alors en un chagrin insondable et une gratitude vibrante les héroïnes qu’elle a transfigurées de sa magnifique personnalité, Carmen, Charlotte, Chimène, Dalila, Sarah, Eboli, Tosca pour ne citer que celles pour lesquelles je l’ai applaudie. Puis, comme une dague plantée en plein cœur, c’est la Santuzza déchirante de ce soir d’aout 2009 au Théâtre antique d’Orange qui envahit tout l’espace de l’émotion.

Ce n’est sans doute pas le personnage que Béatrice aurait choisi si un critique lui avait demandé de dresser le palmarès de ses rôles. Mais il est des moments où la communion est si forte que l’on comprend au plus profond ce qui fait la pâte humaine d’un interprète.

Je l’ai rencontrée sur le mode amical, joyeuse et chaleureuse, en gala caritatif où sa générosité n’était jamais prise en défaut, en compagnonnage lors de jurys de concours expliquant aux concurrents avec humanité et sans démagogie comment ils ou elles pouvaient progresser, et  en sortie de scène après tant de triomphes qui nous avaient transportés. 

Béatrice, c’était d’abord le respect absolu de l’œuvre. Pas d’échappatoire, de trucage, de ces facilités que ne détectent que les spécialistes. Au moment où l’on croit sauver l’art lyrique par la politique du grand n’importe quoi, sa rigueur devrait servir de fil conducteur aux barbares qui le martyrisent.

Béatrice, c’était aussi la certitude qu’on sert l’œuvre et le personnage non pas en se moulant dans un académisme réducteur, mais en fouillant les tréfonds de sa sensibilité pour mieux les cerner. « Je veux  faire bouger les choses » nous disait-elle pour la sortie de son album Assoluta. Le respect pour elle n’était pas de l’immobilisme.

Béatrice, c’était aussi une dignité absolue sans morgue et sans facilité populacière. C’est sans doute cette dimension que j’avais intimement comprise en cette nuit d’aout : interpréter une simple paysanne en lui donnant la stature d’une aristocrate, donner à une fille du peuple la grandeur d’un destin brisé.

En 2021, comme ministre de la Culture, j’avais fait Béatrice commandeur dans l’ordre des Arts et des Lettres. Si la dignité de Grand-Croix avait existé dans cet Ordre, c’est bien ceinte de cette écharpe qu’elle serait au paradis.


Bertrand DE BILLY, chef d’orchestre

J’ai travaillé pour la première fois avec Béatrice Uria-Monzon à l’occasion d’une production de Hamlet, d’Ambroise Thomas, au Liceu de Barcelone, avec Natalie Dessay et Simon Keenlyside. Elle interprétait la Reine Gertrude, et donnait à ce personnage une dimension dramatique captivante. Mais en coulisses, c’est par son sens de l’auto-dérision qu’elle se distinguait. J’ai compris dès ce moment-là que Béatrice faisait partie de ces artistes qui prennent leur travail très au sérieux sans se prendre eux-mêmes au sérieux. Une qualité rare et précieuse ! En travaillant Carmen avec elle, j’ai aussi découvert un autre aspect de sa personnalité artistique : sa capacité à se remettre en question, sa volonté d’essayer de nouvelles choses. Avoir été l’une des plus grandes interprètes de Carmen ne l’empêchait pas de rester curieuse et ouverte, à l’écoute. Enfin, un autre souvenir marquant me revient en mémoire, celui de son Eboli, dans le Don Carlos de Verdi, en version française, à l’Opéra de Vienne. Ce rôle constituait un vrai défi pour elle, défi qu’elle a relevé avec panache, parce qu’elle n’a pas cherché à travestir sa voix. Elle a gardé ce qu’elle avait de mieux en elle, et qu’elle pouvait apporter à ce rôle : son timbre chaud et capiteux, « Samt und Seide » comme on dit en Allemagne (« velours et soie »), sa superbe présence scénique, et son format vocal, d’essence profondément lyrique. Et elle a obtenu, à Vienne, dans ce rôle si difficile, un grand succès, grâce à son talent, son intelligence et son humilité. Autant de qualités dont, avec son humour, nous nous souviendrons toujours lorsque nous penserons à Béatrice.


Jean-François BORRAS, ténor

Je suis très ému par sa disparition. J’ai eu le privilège de faire son dernier opéra Mefistofele de Boito à Toulouse en juin 2023. Elle était en pleine forme, souriante et espiègle. J’ai connu Béatrice relativement tard sur La Vestale de Spontini au Théâtre des Champs-Elysées. Lors de la présentation du metteur en scène, nous nous sommes regardés et nous nous sommes directement parlé comme si nous nous connaissions depuis des années. C’était une très belle femme, une immense artiste avec son caractère mais toujours le sourire aux lèvres. Elle fut ma Marguerite aux Chorégies d’Orange. C’était aussi une artiste généreuse avec les jeunes et une amatrice de bon vin et de la vie.

Avec Béatrice Uria-Monzon dans Mefistofele en 2018 © Philippe Gromelle

Jean-Sébastien BOU, baryton

Ce qui était fascinant chez Béatrice, c’était sa capacité à se livrer telle qu’elle était sur scène dans toute sa vérité et toute son humanité. Lorsqu’elle chantait, lorsqu’elle jouait, lorsqu’elle évoluait sur un plateau, le temps s’arrêtait et nous partagions émotionnellement son histoire. C’était une magnifique artiste parce que c’était une magnifique personne. Il est rare de rencontrer quelqu’un d’aussi généreux dans une vie. Je vous envoie également une photo d’elle que j’ai faite alors que nous étions en pause à l’Opera de Paris. Le soulier de satin est la dernière production où nous avons partagé la scène. C’était en 2021.
Jean-Sébastien

Béatrice Uria Monzon par Jean-Sébastien Bou, Paris.

Yann BEURON, ténor

J’ai connu Béatrice sur Così fan tutte en 1996, la seule Dorabella de sa carrière je pense. Magnifique de mon point de vue. De timbre surtout. Puis nous nous sommes retrouvés la dernière fois sur la création du Soulier de satin en 2021. Je serai économe. Elle était solaire, cela la définissait essentiellement à mes yeux. Et adorait rire. Et j’adorais la faire rire. Elle était bon public…suis profondément peiné. 

Le Soulier de Satin de Marc-André Dalbavie, 2021, Opéra de Paris.

Laurent CAMPELLONE, chef d’orchestre

Béatrice faisait partie de ces artistes qui entrent en scène et nous saisissent immédiatement d’un état bouleversant : être à la fois pleinement un personnage et demeurer la vérité de soi-même. Béatrice épousait chaque incarnation de tout son être, avec une sincérité et un engagement sans limite. Mais, elle le faisait toujours du haut de toute son élégance et de toute son intelligence. Pour cela, on ressortait chaque fois d’une représentation chantée par Béatrice en ayant appris des choses fondamentales sur un rôle qu’on connaissait pourtant déjà. 

Un souvenir de Béatrice au Festival Berlioz de 2006. Elle interprétait  La Mort de Cléopâtre.

Nous avions eu une séance de travail passionnante au piano avant que de répéter avec l’orchestre. Alors qu’elle était encore une fois sublime de justesse, son humilité face à cette partition et sa volonté d’aller toujours plus loin dans la compréhension des ressorts de chaque mot et de chaque note n’avaient pas de limite. 

Je me souviens du concert. Et plus  particulièrement, de toute la palette de couleurs de sa voix dans la dernière partie de la cantate, lorsque le venin de la vipère commence à glacer le sang de Cléopâtre et que le rythme de son cœur (les contrebasses de l’orchestre) commence à défaillir, à devenir irrégulier jusqu’à cesser. Sous la voûte étoilée de ce mois d’août, tout le monde avait été saisi par tant de vérité : Cléopâtre était là. Et tous nos cœurs réunis devenaient, mesure après mesure, son cœur qui s’arrêta d’un seul coup de battre et nous laissa tous suspendus dans le néant. 

Depuis l’annonce de sa mort, je repense à ce moment de musique inouï.

Moment de musique qui, parce que c’était cela aussi Béatrice, avait eu, bien entendu un prolongement humain de partage et de générosité tout aussi puissant.

De retour à l’hôtel après la fin du concert, très tard donc, alors que le service de restauration était terminé depuis longtemps, elle avait, en un seul sourire, fait chavirer le patron en lui disant simplement : « Même si je suis encore une fois morte sur scène, vous n’allez pas me laisser mourir de faim quand même ! ». Les frigos et celliers de cet établissement, renommé pour sa formidable cuisine, s’étaient ouverts instantanément. Et nous avions alors passé un moment extraordinaire à table, avec force pâtés en croûte, fromages et vins de la vallée du Rhône, à parler de la joie de vivre et du bonheur qui était le notre de pouvoir porter chaque soir vers le public les traits sublimes des compositeurs que nous admirons tant.

Laurent Campellone

Marc-André DALBAVIE, compositeur

Béatrice a été très importante pour la création de mon opéra le Soulier de Satin à l’opéra de Paris en 2021. Elle chantait le rôle d’Isabel et comme compositeur et comme chef d’orchestre, notre collaboration a été formidable. Néanmoins, je n’ai pas pu approfondir mes contacts avec Béatrice car c’était pendant la période COVID et les rapports en dehors des répétitions étaient inexistants. Je ne suis pas assez proche de Béatrice pour écrire quelque chose sur elle dans cette circonstance. Je ne la connais pas assez et je le regrette. Je garde malgré tout un souvenir émerveillé de notre très courte mais très intense collaboration.

Marc-André Dalbavie

Le Soulier de Satin de Marc-André Dalbavie, 2021, Opéra de Paris.

Karine DESHAYES, mezzo-soprano

BUM , parmi tous les grands rôles qu’elle a interprétés , était pour moi l’incarnation même de Carmen. Lorsque je l’ai entendue la première fois à L’Opéra de Paris à la fin des années 90, sa voix , son timbre chaud , sa présence scénique, sa classe et son élégance naturelle m’ont marquée à jamais. J’ai ensuite eu la chance de chanter à ses cotés dans Carmen aux Chorégies d’Orange en 2004 dans la production de Jérôme Savary. Alors que j’étais en prise de rôle pour Mercedes et que je faisais mes débuts à Orange, elle s’est montrée très généreuse avec moi, m’a beaucoup soutenue et même guidée. Dés lors nous sommes devenues des amies proches … elle a toujours suivi ma carrière jusqu’en avril dernier, où elle est venue m’écouter dans Norma à Toulouse.
Béatrice était une femme extraordinaire, qui aimait la vie, rire, les soirées entre amis… et qui a toujours été souriante et attentionnée.

Karine Deshayes

Béatrice Uria Monzon, Karine Deshayes et Chantal Perraud sont à l’affiche de l’édition 2023 du festival lyrique du Grand Villeneuvois./ DDM G.G. DDM G.G.

Julien DRAN, ténor

Selon moi, Béatrice, était tout ce qu’un.e artiste doit représenter : l’élégance, la classe, l’intégrité, la générosité et la simplicité dans la grandeur. Elle était perfectionniste et l’intensité avec laquelle elle montait sur scène était stupéfiante. Elle a, pour moi, toujours été un exemple du chemin que ceux qui désirent brûler les planches doivent suivre.
J’ai eu l’honneur et l’immense plaisir de partager la scène avec Béatrice quelques fois et la fierté que j’en éprouvais me marque encore maintenant, et pour le reste de ma vie. 
En tant que femme, j’ai aussi eu la chance d’être touché par sa générosité, son écoute et son soutien indéfectible. Je lui en serai éternellement reconnaissant. 
Une grande dame, une immense artiste qui va beaucoup manquer à toutes les personnes qu’elle a touché. 

Julien DRAN


Delphine HAIDAN, mezzo-soprano

Un des plus beaux timbres de voix , une amie fidèle depuis plus de 30 ans ,une femme genereuse et courageuse  ! Elle va me manquer

Delphine Haidan

Mickaël Bardin, Delphine Haidan et Beatrice Uria-Monzon © Vichy Culture

Jean-François LAPOINTE, baryton

Béatrice était une grande artiste et une femme d’exception. Nous avons fait plusieurs Carmen ensemble. Elle transcendait l’image qu’on se faisait du rôle. Elle m’a toujours impressionné. Je garde aussi en tête son petit côté rebelle presque rockeuse. Je la vois encore arriver sur sa grosse moto à Toulouse dans les années 90. Elle était belle, elle était libre, elle était magnifique!
Je crois que de toutes les productions que nous avons faites ensemble, c’est Cléopâtre de Massenet à l’Opéra de Marseille qui nous aura permis de développer notre plus grande complicité scénique. Je garderai toujours dans mon coeur ce souvenir merveilleux et précieux où nous avons incarné ces personnages mythiques. Béatrice était une reine magistrale, éblouissante. Elle est maintenant éternelle.

Jean-François Lapointe


Antoine PALLOC, pianiste et chef de chant

Il y a des chanteurs et il y a des artistes, des âmes, des êtres chantants avec qui il n’est pas utile de répéter car la musique, la connexion et le partage se font naturellement.
Béa appartient à cette catégorie : en un clin d’œil rieur et heureux, le partage, la connexion, la connivence sont là, simplement, joyeusement et tendrement. Le travail peut commencer pour aller au plus profond des émotions en quête de cette vérité, de sincérité que tout artiste recherche.
Cette force généreuse et créatrice, Béatrice, Béa, ma cocotte, BUM, LA BUM, l’a toujours eue, avec classe et élégance, en humilité, en simplicité, en doutes, en questions, en travail, en rigueur, mais toujours en joie de vivre.

Antoine Palloc

L’Instant Lyrique de Béatrice Uria Monzon et Antoine Palloc, Paris, 2021

Alexandra MARCELLIER, soprano

Béatrice Uria-Monzon, c’était bien plus qu’une voix : c’était une présence, une lumière, une force tranquille. Dès notre première rencontre à Agen, elle a marqué ma vie. Elle était une artiste rare, une vraie, animée par une passion brûlante pour la musique, pour la vie, pour les autres et pour la nature. Elle avait ce lien profond avec la terre, avec ce qui est essentiel, vrai, vivant. Je la revois dans son jardin, rayonnante, enracinée, pleinement elle-même. Ce que j’aimais profondément chez elle, c’était cette alliance unique de grandeur et de douceur, de feu et de grâce, de générosité et de pudeur. Même face à la maladie, elle ne montrait jamais sa peur, préférant protéger ceux qu’elle aimait. Elle m’a transmis l’exigence, la liberté, le courage, et cette idée précieuse qu’il faut vivre pleinement. Aujourd’hui, chaque note que je chante lui est dédiée. Béatrice était, et restera, l’un des piliers de ma vie.

Alexandra Marcellier et Béatrice Uria Monzon, collection privée

Christophe GHRISTI, directeur du Capitole de Toulouse

De Béatrice Uria-Monzon, j’ai évidemment beaucoup d’images sur scène. J’en évoquerai deux.

La première dans mon souvenir, alors que j’étais tout jeune dramaturge au Capitole : Béatrice chantait Carmen, Michel Plasson dirigeait. Elle faisait sa première entrée sur une passerelle à quelques mètres du sol (sublime décor de Frigerio), les bras nus, les cheveux négligeamment attachés, narguant le monde entier, d’une beauté tranchante et irrésistible. Plasson l’enveloppait de mille rayons de soleil. Et, je m’en souviens extrêmement bien, je m’étais dit du haut de ma jeunesse imprudente : « plus jamais je n’entendrai Carmen comme ça ». Et en effet, j’en ai entendu d’autres, et des magnifiques, mais plus jamais ce sentiment de volupté et de vérité sans limite, absolument nietzschéen.

La dernière, pendant Mefistofele au Capitole en juin 2023, ses derniers spectacles. Béatrice était très déprimée, sans doute déjà épuisée par le mal qui allait se déclarer peu après. Sublime en scène, elle éblouissait dans ce rôle pourtant si ingrat de Hélène de Troie, arrivant pour un seul tableau à la fin d’un ouvrage si prolixe. A la dernière, elle m’a dit avoir le triste sentiment qu’elle venait de chanter là pour la dernière fois. J’ai ri et j’ai balayé ses craintes d’un revers de la main, avec mes projets pour elle dans la tête.

Les grands artistes sont bien des médiums, ils sentent les vérités auxquelles un simple humain n’a pas accès.

Christophe GHRISTI


Olivier FREDJ, metteur-en-scène

Béatrice était une magicienne. Rayonnante de bonheur quand elle s’occupait de ses plants de tomates et dressait les grandes tables de sa maison, en haut de sa colline. Des vues peintes par son père, une colline sur laquelle trônait sa maison, toujours ouverte aux amis. J’ai rencontré Béatrice à Bruxelles, elle était ma Lady Macbeth, y prenait le rôle. Elle travaillait d’arrache pied ses « trois cerveaux » comme elle les appelait. Celui de la voix et de la musique, celui du texte et du sens, celui de la mise en scène et de ses partenaires de jeux. Elle irradiait, pourtant terrorisée à tout instant de ne pas être à la hauteur. Parce que c’était elle, elle est devenue Lauren Bacall dans l’acte I, Jackie Kennedy à l’acte II, Nancy Reagan  au III… et sublime plus que tout dans la fragilité du somnambulisme. Comme état physique, je souhaitais qu’elle se nourrisse de la fameuse scène de Pina Baush dans Café Muller. Elle la regarda, une fois, avec moi, puis répéta la scène. Dés la première tentative, devant une salle de répétition médusée, elle a lancé, inquiète, au jeune débutant que j’étais : « ça va, comme ça, c’est bien? ». C’était bien. Et je comprenais dans son souci de bien faire qu’elle ne savait pas, ne voulait pas sans doute savoir à quel point elle dégageait quelque chose qui transcendait les directions données. J’ai essayé de longues années à le lui faire entendre, à ce qu’elle ose cette confiance dans ce qu’elle proposait. En vain, elle était au service d’un tout, et l’inquiétude de ne pas être assez ne s’apaiserait qu’aux pieds de ses tomates, plus tard, ailleurs. J’ai l’impression qu’on s’était reconnus. Parce qu’on ne s’attachait qu’à l’ensemble, qu’au résultat global, bien au delà de nos enjeux personnels. Je garderai toujours deux images d’elle, chez elle, un verre de vin et une cigarette si rarement  possible quand elle travaillait, à rire aux larmes sur la terrasse. Et celle empruntée à Blue Velvet, en Lady Macbeth, une lampe de chantier à la main en guise de micro, ouvrant la bouche d’un hurlement muet, son corps entier disparu dans cette Lady. Adieu ma Lady, je suis sur que je ne suis pas le seul que tu as changé par ta présence.

Olivier FREDJ


Michel PLASSON, chef d’orchestre

Béatrice… c’était le timbre et le charme !

Elle avait ce charme, pas celui qu’on affiche, pas celui qu’on joue mais celui qui ne s’use pas, qui ne se montre pas, qui ne s’exploite pas. Elle portait le charme comme gravité. Comme les planètes, comme le magnétisme. Un mystère venu d’ailleurs. Elle ne l’utilisait pas, elle l’avait, tout simplement. Et c’est ça qui me bouleversait. Le charme, le vrai, est inexplicable. Ce n’est ni technique, ni scolaire. C’est au-delà. Et Béatrice l’avait, elle le portait comme une étoile brillante au firmament.

Elle n’était jamais dans l’artifice. Elle était vraie. Dérangeante de vérité parfois. Et cette vérité, je voulais la révéler, pas la diriger. Accompagner, oui mais indiquer, jamais. Car ce que je cherche, dans la musique, c’est la personne. Et avec Béatrice, il y avait une personne entière, grave, joyeuse, troublante.

Elle avait un timbre très particulier. Franco-espagnol peut-être ? Ni tout à fait espagnol, ni tout à fait français. Mais surtout un timbre à elle. Le timbre, c’est l’ADN du chanteur. On ne le change pas, il est inaltérable. Le sien était surtout singulier. Ce timbre racontait quelque chose. On sentait derrière lui un cœur qui n’était pas toujours heureux. Et moi, j’y sentais une fragilité, une absence de bonheur. Cette tristesse délicate mêlée à la lumière était bouleversante.

J’ai eu pour elle une tendresse rare. Une tendresse que je n’ai pas eue pour beaucoup de chanteuses. Et je le dis sans détours car avec elle, il n’y avait pas de faux-semblants.

Elle est partie. Et je sens qu’elle n’a pas tout dit, pas tout chanté. Mais ce qu’elle a laissé, c’est cette vibration intérieure qui dépasse les rôles et les scènes. Elle était accordée à quelque chose de plus grand. Et ça, ça ne s’oublie pas.

Michel Plasson


José VAN DAM, baryton-basse

Béatrice était une chanteuse unique. Une belle âme, une grande artiste, une superbe voix et une personnalité en dehors du commun avec qui il était toujours très agréable de partager la scène.
Quelle tristesse de la savoir partie….

José van Dam


Maurice XIBERRAS, directeur de l’Opéra de Marseille

Écrire quelques lignes sur Béatrice est difficile pour moi.

J’avais beau m’attendre à cette nouvelle, mais depuis je suis anéanti et pense à tous nos multiples souvenirs communs, amicaux et artistiques.

Mon « histoire » avec Béatrice, commence il y a fort longtemps lorsqu’elle  était stagiaire au Cnipal à Marseille dans la phalange consacrée aux apprentis choristes.

Je passais voir des amis chanteurs, et je suis interpellé par une voix que j’entendais derrière une porte. J’écoute avec curiosité , la personne sort.  C’était Béatrice qui prenait un cours avec son professeur Pali Marinov. Je m’enhardis en me présentant et en lui disant que la qualité de sa voix était plus que prometteuse et celle d’une soliste. Depuis ce jour, nous sommes restés amis.

Le hasard des parcours a voulu que je devienne Directeur de l’Opéra de Marseille et bien entendu j’ai tout de suite appelé Béatrice. Elle m’a fait le cadeau de venir à de nombreuses reprises à Marseille,, se sentant à la « maison » comme elle le disait.  Je pense à Carmen bien sur, à Hérodiade, à Roberto Devereux, Gioconda, Le Cid et Les Troyens avec Roberto, Le Roi d’Ys, Cléopâtre… A chaque fois c’était un plaisir renouvelé. Tout d’abord celui d’amis qui se retrouvent, comme si ils s’étaient quittés la veille , mais également un délice aux couleurs de bonheur musical et artistique.

Malgré son statut de star internationale , Béatrice était restée d’une simplicité étonnante, avenante, à l’écoute de jeunes chanteurs ou de la moindre personne qui avait envie de lui parler.

Elle laisse un grand vide, un gouffre dans mon cercle d’amis. Je pense à sa fille, à son compagnon, aux personnes qui ont pu l’aimer .

Il nous reste de nombreux témoignages où on la voit incandescente et investie. Mais il va me falloir du temps avant de pouvoir la réécouter ou la revoir.

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