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A. SCARLATTI, Mitridate Eupatore – Palerme

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Spectacle
17 octobre 2025
Palerme découvre le chef-d’œuvre de son enfant

Note ForumOpera.com

5

Infos sur l’œuvre

Alessandro Scarlatti

Mitridate Eupatore

Tragédie en musique en cinq actes
Livret de Girolamo Frigimelica Roberti , d’ après les Choéphores, d’Eschyle, l’ Électre de Sophocle et l’ Electre d’Euripide

Création à Venise, au Teatro San Giovanni Grisostomo, le 5 janvier 1707, dirigé par le compositeur
(Édition critique de Luca Della Libera , Giacomo Biagi et Paolo V. Montanari)

 

Détails

Mise en scène
Cecilia Ligorio
Dramaturgie
Paolo V. Montanari et Cecilia Ligorio
Directrice assistante
Lisa Capaccioli
Décors
Gregorio Zurla
Costumes
Vera Pierantoni Giua
Lumières
Fabio Barettin

Mitridate
Tim Mead

Issicratea
Francesca Ascioti

Stratonica
Carmela Remigio

Farnace
Renato Dolcini

Pelopida
Konstantin Derri

Laodice
Arianna Vendittelli

Nicomede
Martina Licari

Chœur du Teatro Massimo

Chef de chœur

Salvatore Puntoro

Orchestre du Teatro Massimo

Direction musicale et réalisation
Giulio Prandi

nouvelle production du Teatro Massimo de Palerme

 

Palerme, Teatro Massimo, 12 octobre 2025, 17h30

 

 

Si ce Mitridate Eupatore n’est plus inconnu, il est pour le moins rare, le plus souvent largement amputé, mal transcrit, et toujours donné en version de concert, ou enregistré. Pour le 300e anniversaire de la disparition du compositeur, Palerme, qui le vit naître, recrée cet ouvrage majeur dans sa première version scénique moderne, en ne lésinant pas sur les moyens.  Le Teatro Massimo, plus grand théâtre lyrique d’Italie, retrouve les conditions de sa création vénitienne (1).

La production de la totalité de la partition qui nous est parvenue (2) nécessiterait environ cinq heures de musique. C’est pourquoi, une dizaine d’airs (ce qui est peu) ont été coupés sans nuire à la progression dramatique. Sinon, c’est la première fois qu’il est donné d’écouter l’ouvrage dans cette nouvelle transcription – qui respecte les cinq actes d’origine – due à trois musicologues spécialistes. Giulio Prandi signe la réalisation, ayant adjoint à l’orchestre une équipe de continuistes rompus à l’exercice.

L’action supposée se dérouler 150 ans avant notre ère, dans la ville de Sinope, est transposée dans notre monde contemporain, et l’on frémit lorsqu’apparaissent, muets, de sinistres sbires cagoulés, menaçants, avec des Kalachnikov. Or, malgré ces appréhensions, jamais on ne tombera dans un cliché réducteur, si galvaudé par nombre de metteurs en scène. L’oppression que la reine (Stratonica) et son nouveau mari (Farnace) font régner est bien traduite. La première, avec son amant pour complice, a fait assassiner le roi. Elle est la mère de Laodice, (épouse formelle de Nicodème), demeurée au royaume du Pont, et de notre Mitridate, qui revient sous l’identité d’Eupatore, ambassadeur de Ptolémée, roi d’Egypte, auprès duquel il a trouvé refuge. Il est accompagné de son épouse, qui l’assiste, déguisée en homme. L’Egypte se prépare à conclure une alliance avec le royaume du Pont. Ainsi Eupatore sera conduit à promettre au couple régnant la tête de l’héritier légitime. On ne détaillera pas les péripéties qui nourrissent l’intrigue, sinon qu’elles renouvellent les scènes et les climats, allant de la tendresse à la passion comme à la plainte ou à la fureur insensée. Les personnages sont à la mesure des héros du théâtre grec ancien, démesurés, attachants ou féroces, sans pour autant tomber dans la convention, comme on pouvait le redouter.

Rare sur nos grandes scènes, alors que sa réputation déborde les frontières de l’Italie,   Cecilia Ligorio réalise une mise en scène exemplaire. Sa transposition, jamais outrancière malgré le climat de violence dans lequel il baigne, se signale par sa clarté, sa beauté visuelle, son raffinement et son efficacité dramatique. Secondée par Paolo V. Montanari, scénographe, fin connaisseur de l’ouvrage (à la transcription duquel il a participé), elle concentre l’attention sur chacun des protagonistes dont la direction d’acteurs n’appelle que des éloges. Les beaux décors, intemporels, signés Gregorio Zurla, et les accessoires réduits au minimum, mais d’une harmonie constante, comme les lumières (de Fabio Barettin) nous plongent au cœur du drame. Les costumes (de Vera Pierantoni Giua) d’une élégance raffinée, participent idéalement à la caractérisation de chacun. Le régal sera aussi visuel que musical.

Le rappel des événements précédant de quinze ans le drame se fait opportunément durant l’ouverture : la tromperie de Stratonice avec le cousin du roi, Farnace, l’assassinat du père de ses enfants, témoins, introduisent l’air de vengeance de Laodice, sa fille demeurée à la Cour. Les deux enfants du roi assassiné dominent l’action, par leur importance dramatique comme par la qualité de leurs interprètes. Contre-ténor de référence, spécialiste de Haendel (3) même si son large répertoire déborde les œuvres baroques, Tim Mead campe un Mitridate humain, complexe, résolu, habile, foncièrement bon, même s’il souhaite rendre aux siens la couronne arrachée à son père. La voix est chaleureuse et puissante, dès sa prière d’entrée Patrii numi,amici dei, où il expose son plan à son épouse, Antigone. La noblesse, l’autorité naturelle seront confirmés tout au long de l’ouvrage. La plénitude du chant et de l’orchestre complice du Se il trono dimando participe à l’émotion. Sa grandeur d’âme, son amour conjugal et fraternel, sa douleur, les tourments de l’ambiguïté des sentiments (Parto si ; ma nel partir) aussi nous touchent. Pour le rôle écrasant de Laodice, Arianna Vendittelli est aussi attachante que fabuleuse. D’une témérité, d’un courage qui forcent l’admiration dans son combat contre la mère assassine qui a trahi les siens, Scarlatti lui réserve les airs les plus nombreux et variés à l’extrême. Toujours juste, vraie, pathétique dans sa détresse (son lamento où elle croit son frère mort) et dans son désir de vengeance, c’est la figure la plus riche de tout l’ouvrage, idéalement servie. La plus humble de ses interventions nous émeut. Les qualités vocales, bien connues, sont ici magnifiées. Doppo tre lustre, puis Cara tomba atteignent au sublime. Francesca Ascioti est Issicratea, l’épouse aimante de Mitridate. La voix est chaude, expressive, aux solides appuis pour une personnalité attachante. Nous découvrons Martina Licari, Nicomede, l’époux de Laodice. L’assurance vocale, la perfection stylistique, l’engagement, tout est là, et l’on espère retrouver notre soprano dans d’autres productions. D’une stature imposante, Renato Dolcini (Farnace) impose une autorité virile indéniable : la voix est sonore, bien timbrée, longue. Son agilité dans des traits d’une incroyable virtuosité impressionne, ainsi dans Gia l’aquila Roma (4). La Stratonica de Carmela Remigio est haute en couleurs, personnage maléfique et dominateur. Familière du répertoire bel-cantiste, à l’émission puissante, sensuelle, véhémente et âpre, elle s’intègre sans peine à une équipe dédiée au chant baroque. Ses accès de fureur, qu’il s’agisse de ses affrontements avec sa fille (Quante furie) ou d’exciter le peuple à réclamer la mort de son fils, confirment ses qualités de tragédienne. Moins caractérisé par le livret, Pelopidas, le conseiller et ministre de Farnace, est confié à Konstantin Derri, contre-ténor ukrainien prometteur. De façon générale, les airs sont très variés, comme les duos , tous remarquables, avec parfois des instruments concertants (le violon virtuose, le hautbois). Les pages orchestrales d’un raffinement et d’une force dramatique sortent des conventions. La distribution superlative, à elle seule, nourrit l’espoir d’un enregistrement. Le chœur intervient fort peu, mais à bon escient, et avec bonheur.

De l’orchestre du Massimo, Giulio Prandi n’a retenu que vingt cordes, hautbois, basson, trompettes et timbales, auxquelles il a associé un continuo remarquable (clavecin, deux superbes théorbes et le violoncelle), conduits par Ignacio Maria Schifani. Un important travail stylistique et technique a conduit l’orchestre en fosse à l’excellence, et rien ne permet à l‘écoute de distinguer son jeu de celui d’une formation spécialisée. L’attention portée aux voix, les équilibres, la dynamique, la clarté de l’écriture, le souci des couleurs, l’engagement n’appellent que des éloges.

Beaucoup plus qu’un sans-faute, cette réalisation n’est pas la simple exhumation d’un opéra parmi d’autres. C’est la révélation d’un authentique chef-d’œuvre et on comprend mal le relatif silence qui l’a entouré depuis si longtemps. Sa réalisation est d’une qualité exceptionnelle, où toutes les compétences s’allient pour que le temps semble suspendu durant pratiquement trois heures dont on n’a pas pris la mesure. L’accueil le plus chaleureux que lui a réservé un public ravi augure bien de sa diffusion, que l’on souhaite la plus large.

  • (1) Ouvert en 1678, le S. Giovanni Grisostomo (« Le plus grand, le plus beau, le plus riche théâtre de la ville » ) devait avoir une capacité voisine de celle du Malibran, nom qu’il prit au XIXe S (900 places). Il comportait 5 étages de loges et une fosse spacieuse. 
    (2) En son temps, il fut repris à Reggio (1713), puis au Teatro Ducale de Milan (1717).Après une éclipse de plus de deux siècles, l’édition « moderne » de la partition, transcrite par Giuseppe Piccioli autorisa quelques réapparitions de l’ouvrage, tronqué (dont, en 1957, avec Joan Sutherland, en 1967, par l’orch. de chambre de l’ORTF). Malgré ses infidélités et approximations, l’enregistrement de Thomas Engelbrock fit date, en 1995 ; en version de concert, Thibault Noally le donna à Beaune en 2017, puis à l’auditorium du Louvre en 2023. En ce moment, Barcelone l’offre en version de concert (dir. Dani Espasa). Les très nombreux Mitridate Eupatore, qui jalonneront le siècle suivant usent le plus souvent du livret d’Apostolo Zeno. (
    3) Haendel a passé l’hiver 1707-1708 à Venise et certainement assisté à la création de Mitridate Eupatore, ayant fait la connaissance du cardinal Vincenzo Grimani (propriétaire du théâtre San Giovanni Grisostomo), qui écrivit pour lui le livret d’Agrippina. Sa rencontre avec Alessandro Scarlatti est confirmée. Le regretté Jean-François Labie signale que Scarlatti a livré à Haendel « quelques-uns des secrets de l’oratorio » et suscité « sa véritable passion lyrique ». L’année de création de Mitridate Eupatore, mais à Rome, le cardinal Ottoboni, protecteur d’Alessandro Scarlatti, Caldara et Corelli, va leur adjoindre Haendel. 
    (4) Les Parisiens le retrouveront en Bajazet en janvier (TCE, avec Thibaut Noally).

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Mitridate Eupatore

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Création à Venise, au Teatro San Giovanni Grisostomo, le 5 janvier 1707, dirigé par le compositeur
(Édition critique de Luca Della Libera , Giacomo Biagi et Paolo V. Montanari)

 

Détails

Mise en scène
Cecilia Ligorio
Dramaturgie
Paolo V. Montanari et Cecilia Ligorio
Directrice assistante
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Décors
Gregorio Zurla
Costumes
Vera Pierantoni Giua
Lumières
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Tim Mead

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Francesca Ascioti

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Carmela Remigio

Farnace
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Pelopida
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Chœur du Teatro Massimo

Chef de chœur

Salvatore Puntoro

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Direction musicale et réalisation
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Palerme, Teatro Massimo, 12 octobre 2025, 17h30

 

 

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