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BIZET, Les pêcheurs de perles – Palerme

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Spectacle
25 avril 2024
La Leïla de l’année

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

Opéra en trois actes, sur un livret de Michel Carré et Eugène Cormon, créé à Paris le 29 septembre 1863

Détails

Mise en scène et chorégraphie
Thomas Lebrun

Eclairages
Patrick Meeus

Costumes
David Belugou

 

Leïla
Federica Guida

Nadir
Dmitry Korchak

Zurga
Alessandro Luogo

Nourabad
Ugo Guagliardo

 

Chœur et orchestre du Teatro Massimo de Palerme

Direction musicale
Gabriele Ferro

 

Palerme, Teatro Massimo, dimanche 21 avril 2024, 17h30

Les pêcheurs de perles traînent derrière eux une bien mauvaise réputation, pratiquement depuis leur création en 1863. A l’époque, c’est leur supposée modernité qui effaroucha les critiques. « Pas de pêcheurs dans le livret ; pas de perles dans la partition », selon un bon mot resté célèbre. Notre époque a renversé la perspective mais sans se montrer plus indulgente : mièvre, convenue, trop élégiaque, souffrant d’un livret impossible, l’œuvre est sans cesse comparée à Carmen. Il est évident que, face à un tel sommet, la frêle partition d’un compositeur de 24 ans ne peut qu’exposer ses faiblesses. Le hic est que cette comparaison est dépourvue de sens. Bizet avait reçu sa première chance d’être représenté sur une scène parisienne d’importance, et il la saisit avec avidité. Cela allait de pair avec les contraintes du temps et du lieu, les insuffisances des librettistes et le peu de temps qui lui était imparti pour la composition. Plutôt que de comparer Les pêcheurs de perles à Carmen, il faut les mettre en parallèle avec les pièces qui faisaient le quotidien des théâtres français à l’époque : L’Africaine, La reine de Chypre ou Faust. L’opéra s’éclaire alors d’une lumière nouvelle, et ses qualités ressortent avec plus de netteté : une invention mélodique intarissable, une orchestration où la subtilité le dispute à la justesse du coloris, une écriture vocale à la fois confortable et créative. Seul parmi les Philistins, Berlioz avait reconnu le talent du jeune Bizet, dans une chronique qui allait s’avérer être la dernière de sa longue carrière de critique : « la partition contient un nombre considérable de beaux morceaux expressifs, pleins de feu et d’un riche coloris. »

Thomas Lebrun pense la même chose que nous : le livret n’est ni pire ni meilleur que bien de ceux de l’époque. Il lui donne dès lors sa chance en le gardant tel quel : nous serons bien sur une île qui pourrait être Ceylan à une époque ancienne, et les costumes jouent à fond la carte d’un exotisme de bon aloi. L’histoire est contée avec naturel, la direction d’acteur est sans surprise mais efficace, et la seule véritable audace est l’apparition d’une danseuse voilée à chaque fois que réparaît le thème de «la déesse», ce qui provoque des commentaires amusés dans la salle. Les chorégraphies, réglées par le metteur en scène lui-même, se laissent regarder avec plaisir, même si elles n’ont rien de bien révolutionnaire. Tout cela est bel et bon, et permet de se concentrer sur la musique, qui est malgré tout ce que l’œuvre a de plus substantiel à offrir. La moisson est des plus riches.

© Rosellina Garbo

Il y a d’abord l’orchestre du Teatro Massimo. Profitant à plein de l’acoustique exceptionnelle du lieu, Gabriele Ferro fait jaillir de la fosse les parfums les plus mordorés. La créativité timbrique du jeune Bizet est rendue avec délectation. On épinglera particulièrement des bois en état de grâce. Mais il faudrait aussi citer les fusées de cordes pianissimi pendant la sérénade de Nadir, les pizzicati qui ouvrent l’acte II, les cuivres grondants du final du même acte, la cohésion et la discipline jamais prises en défaut. Tout cela sous une battue alerte, qui ne verse jamais dans la contemplation narcissique et dans un équilibre de volume parfait avec le plateau. Un festival de ce que doit être un orchestre d’opéra. Hélas, pourquoi faut-il que, face à tant de perfection, le chœur paraisse si en retrait ? Comme s’ils marchaient sur des œufs, les artistes susurrent le texte plus qu’ils ne le chantent. Il ne semble pourtant y avoir aucun problème technique, et tout est bien en place. Pourquoi tant de précautions ? « O nuit d’épouvante » tombe à plat, et « Brahma divin Brahma » est presque couvert par les voix du ténor et de la soprano, ce qui est un comble.

On rangera aussi du côté des rares déceptions de la soirée le Nourabad de Ugo Guagliardo. Il semble ne pas comprendre grand chose à ce qu’il chante. C’est dommage, parce que la rudesse de ce timbre a quelque chose de profondément séduisant, et on serait curieux de l’entendre dans d’autre répertoires où il serait davantage à son aise. En Zurga, Alessandro Luongo a une couleur vocale plus passe-partout. Mais il faut reconnaître qu’il assume le job avec un abattage impressionnant. La diction française est très acceptable, et tous les aigus sont lancés avec assurance. « Nadir, tendre ami de mon jeune âge » est bouleversant de sincérité, et les tourments du personnage sont rendus avec beaucoup de mordant. On monte encore d’un cran avec le Nadir de Dmitry Korchak. Voilà un ténor dont l’ambitus correspond très exactement à celui de Nadir : un aigu d’une insolence folle, couplé à quelques éclats de vaillance savamment distillés. La sérénade « Je crois entendre encore » est à se damner, et le duo qui suit le montre capable de donner du relief à son personnage qui ne se contente pas de rêver l’amour, mais est tout autant capable de le vivre. Petite réserve cependant : une tendance à se fâcher avec la justesse dans les passages où l’orchestre le laisse trop à découvert. Mais gageons qu’avec le confort du studio, Korchak serait un Nadir inoubliable.

On a cependant gardé le meilleur pour la fin avec la Leïla d’une jeune chanteuse formée au Conservatoire Scarlatti de Palerme, et qui est en troupe au Staatsoper de Vienne depuis 2019 : Federica Guida. C’est un véritable phénomène vocal : un instrument d’une agilité stupéfiante sur toute la tessiture, avec un souffle infini. Tout est parfaitement en place, et les coloratures les plus piégeuses de Bizet sont délivrées avec un plaisir gourmand. Surtout, ces ornements sont comme revêtus d’une chair, d’une couleur qui sont bien rares pour ce type de voix. Une sorte de mélange entre la ligne d’une Natalie Dessay et le tempérament d’une Anna Netrebko. Cela avec un timbre malgré tout reconnaissable entre mille. Le public du Teatro Massimo a l’oreille affûtée, et lui a réservé un accueil triomphal.  Ses débuts parisiens auront lieu en septembre à Bastille, en Nanetta dans Falstaff. Précipitez-vous !

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Opéra en trois actes, sur un livret de Michel Carré et Eugène Cormon, créé à Paris le 29 septembre 1863

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Mise en scène et chorégraphie
Thomas Lebrun

Eclairages
Patrick Meeus

Costumes
David Belugou

 

Leïla
Federica Guida

Nadir
Dmitry Korchak

Zurga
Alessandro Luogo

Nourabad
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