Forum Opéra

DEBUSSY, Pelléas et Mélisande – Genève

arrow_back_iosarrow_forward_ios
Partager sur :
Spectacle
29 octobre 2025
Un symbolisme new age

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

Pelléas et Mélisande
Drame lyrique de Claude Debussy
Livret du compositeur d’après la pièce de Maurice Maeterlinck
Création en 1902 à Paris

Détails

Mise en scène & chorégraphie
Damien Jalet & Sidi Larbi Cherkaoui
Reprise de la mise en scène
Luc Birraux
Scénographie
Marina Abramović
Costumes
Iris van Herpen
Lumières
Urs Schönebaum
Dramaturgie
Koen Bollen
Direction des chœurs
Mark Biggins
Dramaturgie musicale
Piet De Volder

Pelléas
Björn Bürger
Mélisande
Mari Eriksmoen
Golaud
Leigh Melrose
Arkel
Nicolas Testé
Geneviève
Sophie Koch
Yniold
Charlotte Bozzi
Un berger / Un médecin
Mark Kurmanbayev

Chœur du Grand Théâtre de Genève
Orchestre de la Suisse Romande
Danseurs et danseuses du Ballet du
Grand Théâtre de Genève
et de Eastman Dance Company

Direction musicale
Juraj Valčuha

Grand Théâtre de Genève
26 octobre 2025, 18h00

En d’autres temps, on aurait parlé d’opéra-ballet. Ce Pelléas et Mélisande genevois est presque entièrement chorégraphié. Parallèlement au déroulement au texte et à la musique se déroule un autre récit, une lente danse exécutée par sept infatigables danseurs au corps sec et musclé, seulement vêtus d’un petit slip couleur chair.
Esthétisme, athlétisme, symbolisme ? Dans la ville de Ferdinand Hodler on optera pour la troisième proposition, d’ailleurs en accord avec l’esprit de Maeterlinck et Debussy.

Björn Bürger et Mari Eriksmoen © Magali Dougados

Curieusement, malgré l’omniprésence de ces corps, entremêlés, entrenoués, composant d’innombrables figures, prenant des poses plastiques à mi-chemin de la statuaire grecque et du butō, cette hiératique danse japonaise contemporaine, le spectacle semble désincarné. Mais la force des situations est telle que dans certaines scènes, les principales d’ailleurs, le théâtre ressurgit quand même. Grâce à de magnifiques chanteurs-acteurs.

Menhirs et butō

Tout est très noir, on devine à la faveur de certains éclairages rasants une sorte de conque, qui tient de la grotte et du squelette de baleine, deux comparaisons auxquelles on songe naturellement dans ce poème maritime et nocturne.

C’est là qu’apparaissent et disparaissent de monumentaux monolithes, qui tiennent de l’obélisque et du cristal de roche, ou du menhir (Armorique oblige). Présences parfois menaçantes, qui dessinent un espace glacial et oppressant, comme la fatalité qui pèse sur les personnages enfermés dans le froid, sombre, humide, silencieux château d’Allemonde.

Björn Bürger et Mari Eriksmoen © Magali Dougados

Parfois les sept danseurs capturent les protagonistes, Golaud, Pelléas, Mélisande dans un réseau d’élastiques qui s’enchevêtrent pour les emprisonner encore davantage.
Le premier à se prendre à ce piège, c’est Golaud qui, dans la forêt où il s’est aventuré, rencontre la mystérieuse Mélisande. « Je crois que je me suis perdu moi-même », dit-il, « Je ne suis pas d’ici », répond la jeune femme, deux des innombrables phrases à double-sens qui émaillent le texte.

Paysage orchestral

Cette Mélisande porte les voiles diaphanes d’une robe au chic très haute-couture, elle est juchée sur d’énormes cothurnes endiamantés. Évanescente et blonde, elle est quasi immatérielle.

Comme le paysage sonore que suggère un Orchestre de la Suisse Romande en état de grâce sous la direction de Juraj Valčuha. Certes cette musique est depuis les origines son domaine d’élection, mais il est ici d’une douceur, d’une rondeur, d’un fondu, d’une poésie impalpables. Il y a la qualité des bois solistes, flûtes ou hautbois, mais surtout il y a la fusion des sonorités, l’insertion des cuivres dans le tissu collectif, une couleur d’ensemble qui par sa discrétion (sauf dans quelques fortissimos d’autant plus étonnants qu’ils sont rares) sert le dessein de Debussy : laisser aux personnages « l’entière liberté de leurs gestes, de leurs cris, de leur joie ou de leur douleur… ».

Et suggérer les atmosphères iodées ou forestières d’une partition qui curieusement resta pendant six ans à l’état d’un chant-piano, jusqu’à ce que, en 1901, Albert Carré annonce à Debussy que l’Opéra-Comique était prêt à monter son opéra. Debussy réalisa alors en hâte sa géniale orchestration, allongeant les intermèdes nécessaires aux changements de décor, qui deviennent ici le décor sonore de séquences dansées, souvent devant le rideau, de nouveaux enroulements de corps, passablement homo-érotiques.

© Magali Dougados

Des corps qui, chorégraphiés par Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet, quittent rarement le sol, suggérant ici les lémures hantant la grotte où se perdent Pelléas et Mélisande, ou ruissellent les uns sur les autres pour donner à voir les ondulations de la mer.
À d’autres moments on les voit, quittant l’abstraction, souligner ou doubler l’action, pour devenir par exemple les ombres de Golaud et Yniold, illustration quelque peu incongrue, en tout cas simplette.

On leur fera aussi revêtir des casques-cuirasses métalliques leur donnant l’aspect de robocops intersidéraux, pour figurer les effrayants sbires d’un Golaud furieux. Autre imagerie saugrenue, surgie de nulle part.

La tour : Pelléas emprisonné dans les cheveux de Mélisande © Magali Dougados

Sous le regard du cosmos

Il faut rappeler que ce spectacle avait été monté déjà en 2021, mais qu’il n’avait été visible qu’en streaming. Nous en avions dit ici-même beaucoup de bien, en insistant sur l’autre aspect essentiel de la scénographie de la plasticienne et performeuse Marina Abramović : tout se déroule sub speciae aeternitatis. Sous le regard des planètes, du cosmos.
Derrière les monolithes-menhirs, au-dessus de la forêt et de la mer, tournent sans cesse des images démesurées et oppressantes, créées par le vidéaste Marco Brambilla) : ici la carte du ciel, myriade de points blancs sur fond de nuit, à un autre moment des planètes en fusion, des géantes rouges, des pluies d’étoiles tombant d’un ciel silencieux indifférent au malheur. Parfois c’est un gigantesque iris bleu qui semble observer ces humains si maladroits se débattant avec leur destin. Et c’est assez beau. Comme les choses qu’on ne comprend pas, dirait-on en pastichant Maeterlinck…

Le meurtre de Pelléas. Au fond, derrière la fenêtre, Golaud (Leigh Melrose) © Magali Dougados

Quand le théâtre ressurgit

Golaud, c’est Leigh Melrose, comme en 2021. Sa composition est très subtile : insaisissable dans sa première scène avec Mélisande dans la forêt, il construit savamment l’évolution du personnage dans une progression maîtrisée d’une bout à l’autre : sa violence, l’effroi qu’il diffuse (la scène de la grotte), son aveuglement (« Vous êtes des enfants »), sa jalousie démentielle (ce moment où du petit Yniold il fait un voyeur), sa folie, sa douleur au dernier acte (la manière dont Melrose allège « Est-ce que ce n’est pas à faire pleurer les pierres ? »), sa cruauté alors que meurt Mélisande, à laquelle il veut arracher un ultime aveu et la noirceur dont se teinte alors la voix (« Avez-vous été coupables ? »), puis ses larmes.

Particulièrement saisissant, le meurtre de Pelléas : Golaud est au fond du plateau derrière une fenêtre en forme de lentille de Fresnel et c’est de là qu’il lance une épée fictive vers Pelléas, qui s’écroule, porté par les danseurs.

Voilà d’ailleurs l’un des paradoxes de cette mise en scène qui se veut abstraite et graphique : c’est dans les moments où la dramaturgie traditionnelle ressurgit qu’elle atteint à des sommets d’émotion.

Leigh Melrose et Mari Eriksmoen © Magali Dougados

On le dira aussi de la scène avec Yniold (où Charlotte Bozzi est lumineuse de présence et de justesse) ou de la superbe scène d’amour du quatrième acte, celle que Debussy composa en premier, avec le célèbre « On dirait que ta voix a passé sur la mer au printemps », tellement Massenet.

Le très beau Pelléas de Björn Bürger

Ici, il faut saluer l’exceptionnel Pelléas de Björn Bürger. Vrai baryton, mais avec un registre supérieur aisé, il joue de la beauté de son timbre et d’une diction française excellente pour dessiner un personnage ardent, enflammé, lumineux. Il réussit la gageure de dire le texte de Maeterlinck avec ferveur (son « Depuis quand m’aimes-tu ? »), tout en timbrant les longues phrases souples de Debussy. Et que dire de la manière dont il ensoleille son « Oh ! voici la clarté ! » au sortir des souterrains ou son « Je t’ai trouvée ! », non moins magique que le « Je te voyais ailleurs ! » de Mélisande…

© Magali Dougados

Mari Eriksmoen était déjà la Mélisande de 2021, la voix exquise de transparence, mais d’une belle projection dans les moments les plus passionnés. Élégante et insaisissable, elle suggère une présence-absence, idéale pour le rôle. La voix sait se faire rayonnante, notamment dans la scène de la tour (où ses longs cheveux sont figurés de manière quelque peu dérisoire par des élastiques dont les danseurs viennent emberlificoter le pauvre Pelléas). Vêtue de blanc, et les cheveux devenus blancs, elle sera particulièrement émouvante, couchée sur un monolithe devenu son lit de mort, durant le dernier acte.

Le médecin a la belle voix de basse de Mark Kurmanbayev et l’on est heureux de revoir sur la scène du GTG Sophie Koch dans le rôle de Geneviève.

La mort de Mélisande. À gauche, Nicolas Testé © Magali Dougados

Mais la palme du beau chant va à Nicolas Testé qui dessine un magnifique Arkel. Appuyé sobrement sur une canne blanche, seule référence à sa cécité, il distille avec art les apophtegmes du vieux Roi (« L’âme humaine est très silencieuse », « C’était un pauvre petit être mystérieux, comme tout le monde… », etc.) auquel ses phrasés impeccables, la beauté de sa voix grave et sa noble sobriété parviennent à donner une onction de profondeur…

Au final cette production est singulière : elle fait se côtoyer deux discours parallèles : d’un côté un parti pris esthétisant qui a sa cohérence et ses beautés, de l’autre une théâtralité relativement traditionnelle (celle des confrontations Golaud-Mélisande, ou Golaud-Pelléas, ou de la « grande scène du quatre », Pelléas-Mélisande). Moments où le théâtre revient par la fenêtre, porté par la sincérité et l’engagement des acteurs. 

Debussy disait que « le drame de Pelléas, malgré son atmosphère de rêves, contient beaucoup plus d’humanité que les soi-disant « documents sur la vie ».

Ce qui est paradoxal et finalement rassurant, c’est qu’au-delà des concepts de plasticienne et des chorégraphies plus ou moins gymniques, et même au-delà des maniérismes de Maeterlinck, quelque chose d’authentique, d’humain, de simplement vrai, d’universel finit par passer, même si c’est presque en contrebande. L’opéra, en somme.

Commentaires

VOUS AIMEZ NOUS LIRE… SOUTENEZ-NOUS

Vous pouvez nous aider à garder un contenu de qualité et à nous développer. Partagez notre site et n’hésitez pas à faire un don.
Quel que soit le montant que vous donnez, nous vous remercions énormément et nous considérons cela comme un réel encouragement à poursuivre notre démarche.

Note ForumOpera.com

4

Légende

❤️❤️❤️❤️❤️ : Exceptionnel
❤️❤️❤️❤️🤍 : Supérieur aux attentes
❤️❤️❤️🤍🤍 : Conforme aux attentes
❤️❤️🤍🤍🤍 : Inférieur aux attentes
❤️🤍🤍🤍🤍 : À oublier

❤️❤️❤️❤️❤️ : Exceptionnel
❤️❤️❤️❤️🤍 : Supérieur aux attentes
❤️❤️❤️🤍🤍 : Conforme aux attentes
❤️❤️🤍🤍🤍 : Inférieur aux attentes
❤️🤍🤍🤍🤍 : À oublier

Note des lecteurs

()

Votre note

/5 ( avis)

Aucun vote actuellement

Infos sur l’œuvre

Pelléas et Mélisande
Drame lyrique de Claude Debussy
Livret du compositeur d’après la pièce de Maurice Maeterlinck
Création en 1902 à Paris

Détails

Mise en scène & chorégraphie
Damien Jalet & Sidi Larbi Cherkaoui
Reprise de la mise en scène
Luc Birraux
Scénographie
Marina Abramović
Costumes
Iris van Herpen
Lumières
Urs Schönebaum
Dramaturgie
Koen Bollen
Direction des chœurs
Mark Biggins
Dramaturgie musicale
Piet De Volder

Pelléas
Björn Bürger
Mélisande
Mari Eriksmoen
Golaud
Leigh Melrose
Arkel
Nicolas Testé
Geneviève
Sophie Koch
Yniold
Charlotte Bozzi
Un berger / Un médecin
Mark Kurmanbayev

Chœur du Grand Théâtre de Genève
Orchestre de la Suisse Romande
Danseurs et danseuses du Ballet du
Grand Théâtre de Genève
et de Eastman Dance Company

Direction musicale
Juraj Valčuha

Grand Théâtre de Genève
26 octobre 2025, 18h00

Nos derniers podcasts

Nos derniers swags

Les dernières interviews

Les derniers dossiers

Zapping

Vous pourriez être intéressé par :

Messe pour Dracula (et quelques succubes)
Bérénice ARRU, Neima NAOURI, Frank STROBEL
Spectacle