Il y a sept ans que Don Pasquale n’avait pas été joué au Liceu. C’était alors dans la mise en scène de Laurent Pelly, créée en 2014, qui n’avait pas entièrement convaincu Maurice Salles. Depuis 1847, l’œuvre a déjà été donnée au Liceu dans vingt productions différentes, sur un total de cent trois représentations. Que dire aujourd’hui de celle de Damiano Michieletto qui vient s’ajouter à cette brochette ? On la connaît bien, il s’agit d’une coproduction entre l’Opéra de Paris, Covent Garden, le Massimo de Palerme et le Liceu, que l’on a vue notamment à plusieurs reprises à Paris avec des avis divergents, en 2018 (Christophe Rizoud) et en 2019 (Christian Peter). Comment résiste-t-elle au temps et aux diverses distributions ?
© Liceu
Eh bien, paradoxalement, plutôt bien. Sans avoir la noirceur de celle d’’Italo Nunziata ou le comique de celle de Pelly, la mise en scène de Damiano Michieletto va plutôt bien son chemin, sous les néons de Paolo Fantin. Christophe Rizoud avait signalé le problème majeur de ce type de décor, la déperdition des voix dans les arrières et les bas-côtés. Ce soir, la question a été sérieusement prise en main, et a visiblement bénéficié de solutions puisque toutes les voix passent parfaitement bien vers le public. La tournette n’était peut-être pas indispensable, mais elle permet de varier les points de vue. Et puis la scène de la transformation de la maison au début du troisième acte est à la fois spectaculaire et drôle. Mais que de redites que l’on voit partout à travers le monde, la voiture, les marionnettes, les ouvriers en bleu de travail, les agrandissements vidéo… Bref, rien de très nouveau ni de très convaincant dans tout cela, et c’est donc au plateau de défendre la production.
Or de ce côté, c’est quasiment ce soir un sans faute. Le hasard a fait que deux jours avant, la seconde distribution était diffusée en direct à la radio catalane, avec en variante le Don Pasquale de Carlos Chausson et la Norina de Sara Blanch. Mais autant cette retransmission nous avait laissé perplexe, autant la distribution de ce soir répond parfaitement à tous les impératifs de l’œuvre. Bien sûr, on ne présente plus Alessandro Corbelli, habitué du rôle de Don Pasquale dont il connaît toutes les ficelles, et des rôles bouffes en général. Ses capacités vocales ont certainement décliné avec le temps, mais sa verve comique est toujours présente, et la projection toujours efficace. Et lorsqu’il chante la cabalette « Un fuoco insólito », il met parfaitement en place tous les éléments de l’action à venir. La grande tradition. À ses côtés, Andrzej Filończyk, baryton polonais que l’on voit de plus en plus sur le plan international, éclate littéralement dans le rôle du Docteur Malatesta. Alors qu’il lui est souvent reproché une voix en retrait, il montre ce soir qu’il est prêt à aborder les premiers rôles. Le personnage est bien campé, le jeu affirmé, la cavatine « Bella siccome un angelo » délicieusement enlevée, et il mène tout son monde à la perfection.
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Norina est interprétée par la jeune cantatrice Serena Sáenz, une des lauréates du récent Paris Opera Competition 2022, dont Brigitte Maroillat a dit beaucoup de bien, et titulaire de plusieurs autres prix. Déjà interprète, notamment à Berlin, de Pamina, Frasquita et Zerbinetta, elle va aborder prochainement Zerlina, Nanetta et Papagena. De fait, elle a tout pour être une Norina de rêve : l’abattage, le jeu scénique sensuel et drôle à la fois, la voix fort jolie, les aigus étincelants, bref ne seraient quelques vocalises un peu savonnées sa prestation a été absolument parfaite. L’Ernesto de Xabier Anduaga laisse un peu plus dubitatif. Sa force vocale emporte l’adhésion du public qui lui fait une ovation, mais s’il a la voix du rôle, il chante beaucoup trop fort sans se préoccuper de ses partenaires, et ce n’est que dans le duo final, où il allège enfin, que l’on peut juger plus sereinement de son potentiel. Une mention pour l’amusant notaire de David Cervera et pour la gouvernante jouée avec beaucoup d’esprit par Sonia Aguirre.
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Le rythme de la représentation est soutenu et tout le monde se laisse entraîner dans le tourbillon généré par Josep Pons, qui ménage des variations de tempi et des pianissimi bien venus : c’est à ce prix que le spectacle maintient son rythme endiablé, que les musiciens de l’orchestre, les choristes et les solistes suivent avec aplomb. Une belle représentation d’où l’on sort réjoui.