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GASSMANN, Gli uccellatori – Martina Franca

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Spectacle
6 août 2023
Un oiseau opportuniste ?

Note ForumOpera.com

3

Infos sur l’œuvre

Dramma giocoso en trois actes (Venise, 1759, teatro San Moisé)

Musique de Florian Leopold Gassmann

Livret de Carlo Goldoni

Révision de Martina Giempler et Ingrid Schraffl

Première représentation à l’époque moderne en Italie

Détails

Mise en scène

Jean Renshaw

Décors et costumes

Christof Cremer

Lumières

Pietro Sperduti

 

La comtesse Ermelinda

Bryndis Gudjónsdóttir

Le marquis Riccardo

Massimo Fregato

Roccolina

Justina Vaitkute

Cecco

Elia Colombotto

Mariannina

Angelica Disanto

Pierotto

Huigang Liu

Toniolo

Joan Folqué

Danseuse

Emanuela Boldetti

 

Orchestre ICO della Magna Grecia

Direction musicale

Enrico Pagano

 

Martina Franca, Teatro Verdi, mercredi 2 août 2023  à 21h

 

 

Gli uccellatori, musique de Florian Leopold Gassmann sur un livret de Goldoni, créé à Venise en 1759, fut remanié par le compositeur pour des représentations à Vienne en 1768. Quelle version nous est-il donné d’entendre, cela n’est pas précisé dans le livret de salle, sinon qu’il s’agit d’une révision due à Martina Grempler et Ingrid Shraffl, (celle-ci déjà signataire de la révision de La scuola dei gelosi de Salieri, qui était au programme de l’édition 2022 du festival de Martina Franca). Cet opera buffa en trois actes expose les aventures amoureuses de sept personnages, trois femmes, quatre hommes. Il y aura forcément un dindon de la farce.

Deux caméristes, Mariannina et Roccolina font des mystères : elles sont amoureuses d’un oiseleur, mais lequel ? Si c’était le même ? Chacune se tait, de peur de découvrir que l’autre est sa rivale. Les trois oiseleurs font des mystères : ils sont amoureux, mais de qui ? Quelque chose survient toujours pour différer la révélation. Une comtesse est amoureuse de l’oiseleur Cecco, elle cache cette passion déshonorante mais cela l’obsède et elle finit par se trahir. Alors le marquis qui la courtise et qu’elle rabroue vivement charge le vénal Pierotto, un oiseleur lui aussi, de liquider ce rival de bas étage. Or Cecco a repoussé la comtesse qui s’est jetée à sa tête, car il aime  Roccolina. Cependant le tueur improvisé a raté son coup ; soulagé le marquis repart à l’assaut de la comtesse. Elle songe à punir celui qui la dédaigne pour cette camériste sournoise, avant de renoncer à une vengeance indigne d’elle. Mariannina, qui s’est offerte en vain à Cecco, ne renonce pas : puisque Roccolina a usurpé une tenue de juge pour rendre la décision qui l’arrange, elle se déguise en notaire pour contester le jugement. Alors Roccolina la démasque. Dès lors, ayant perdu Cecco, Mariannina prend Toniolo au collet. L’opéra se termine par trois mariages, les aristocrates entre eux, les gens du commun entre eux, Pierotto l’assassin manqué se vouant à la chasteté, tel le renard de la fable.

© Clarissa Lapolla

Le spectacle est tout ensemble raffiné et vivant. Sur la scène du Teatro Verdi, à rideau ouvert, le spectateur est accueilli par une nature morte : deux pans de murs gris forment un angle dont le côté le plus long est face au public. A leur base, un plan incliné rectangulaire de couleur sombre, dont le côté de la largeur donne sur les coulisses. Ce sera le plateau où se succèderont les scènes. L’éclairage zénithal  balaie en oblique le grand pan de mur gris et valorise le jaune des objets qui y sont accrochés. Le rapport des couleurs et de la lumière est très beau. Mais on trouve la proposition de Christof Cremer un peu courte pour une œuvre censée se dérouler dans un jardin ou dans les bois, à l’exception des trois dernières scènes. Pour les frondaisons, on devra se contenter de celles qui tapissent le cadre de scène. Des accessoires, sièges et armes diverses pour illustrer les différentes méthodes de tuer dont l’oiseleur se prétend spécialiste, apparaîtront et disparaîtront au gré des situations et des besoins. C’est léger et essentiel. Auteur aussi des costumes, Christof Cremer habille les servantes en bleu et rose soutenu qui virera au rouge avec la lumière, le panier relevé dévoilant avec le genou la sensualité immédiate de Mariannina. Les oiseleurs quand ils surgissent  semblent sortir des Enfants du Paradis, avec leur dégaine d’escarpes, et le marquis qui marchande le prix d’un assassinat pourrait être le clone de celui de La règle du jeu, avant d’évoquer lors de ses chutes les grands maladroits du cinéma muet.    

La composition musicale, d’après l’analyse de Bianca De Mario, procède ainsi : à l’ouverture galante en trois mouvements succède un motif de cors qui précède l’entrée des oiseleurs partant à la chasse ; l’arrivée des deux caméristes introduit le thème de l’amour. Restées seules elles taisent chacune le nom de l’aimé. Au marquis que Roccolina va annoncer à la comtesse, Mariannina demande sa protection en tant qu’infortunée orpheline dans un gracieux Andantino. La rebuffade de la comtesse surexcite les sentiments du marquis qui s’enflamme (air). Roccolina, restée seule avec la comtesse, lui raconte la précocité de ses expériences amoureuses, ce qui provoque sa maîtresse à s’épancher dans un air de bravoure sur le tourment des amours inégales. Dans les bois Cecco évoque son amour pour Roccolina en parallèle à la chasse aux oiseaux (air) avant que Pierotto et Toniolo ne se défient, le premier en séducteur irrésistible, le second en homme sûr d’être aimé. La chasse finie, ils décident de tirer au sort pour se faire des confidences mais ils sont interrompus par les jeunes filles qui se moquent d’eux.

A l’acte II nouvelle escarmouche entre la comtesse et le marquis. Elle repousse les oiseaux que lui offrent Toniolo et Pierotto mais accepte ceux de Cecco, provoquant la colère du marquis (air). Restée seule avec Cecco elle lui révèle ses sentiments, ce qui loin de le séduire l’effraie (air). Mortifiée elle ne parvient pas à surmonter cette attraction (air). En parallèle Roccolina se dit prête à se déclarer (air) mais se cache quand survient Mariannina. Toutes deux voient le marquis payer Pierotto pour qu’il supprime Cecco ; l’oiseleur vantard expose alors son plan (air). Quand Cecco terrorisé s’attend au pire et que Pierotto se prépare à passer à l’acte Roccolina surgit : la comtesse a ordonné l’arrestation des trois oiseleurs et leur mise en jugement. Toniolo, l’innocent, maudit son sort dans un air parodique à reprises larmoyantes. Autorisée par la comtesse à décider du sort des oiseleurs Roccolina se travestit en juge pour assurer sa sentence mais Mariannina travestie en notaire la conteste. L’acte se termine dans la confusion mais les trois hommes confessent leur attirance pour Roccolina.

A l’acte III le marquis se repent d’avoir ordonné un homicide. Pierotto essaie de gagner sur les deux tableaux – mort ou vivant – mais quand son mensonge est dévoilé il joue les indignés (air). A Cecco le marquis confesse sa jalousie et sa faute mais l’oiseleur lui confirme n’aimer que Roccolina. Mariannina joue alors une scène de séduction à Toniolo pour ne pas rester bredouille (air). Ce dernier dissuadera la comtesse de s’abaisser à une vengeance contre Roccolina indigne d’elle (air). Elle se ressaisit et espère alors pouvoir renouer avec le marquis (air). Enfin seuls Cecco et Roccolina se parlent d’amour et de futur (duo) Le chœur final consacre l’ordre retrouvé, à l’exclusion de l’asocial Pierotto.

© Clarissa Lapolla

De cette trame très mince, qui vaut surtout par les effets de symétrie biaisée et de redondance, Jean Renshaw, déjà à l’œuvre dans la mise en scène de L’Orazio tire le meilleur. En réglant les allées et venues des personnages avec fluidité, en utilisant l’espace et l’arrière du plateau du plateau pour les montrer en situation, en dirigeant le jeu scénique des chanteurs avec acuité, en traitant en ridicule le marquis, empesé dans son costume tel un personnage de Magritte, en montrant la fièvre érotique s’emparer de la comtesse puis de Mariannina, Jean Renshaw prouve qu’elle sait faire du beau, du bon théâtre. Pourquoi dès lors a-t-elle cru bon d’ajouter ce personnage superfétatoire qui va surgir de la trappe dissimulée dans la partie haute du plan incliné ?

Représente-t-il l’âme des êtres ailés dont la capture et le commerce constituent l’objectif de l’activité des oiseleurs ? Très souvent active cette incarnation de la gent ailée confiée à la ballerine Emanuela Boldetti constitue une ornementation dont l’utilité dramatique nous semble très discutable, à moins d’admettre que le changement de couleur des éventails qu’elle manie avec grâce et dextérité soit un marqueur essentiel. Cet oiseau, si c’en est un, enserrera les oiseleurs dans un lien limitant assez leurs mouvements pour les faire chuter, se juchera sur la chaise haute, sortira de scène, devenant un personnage à part entière. L’invention, toujours en cohésion rythmique avec la musique, sera jugée poétique et on partagerait cette opinion si on pouvait chasser l’idée que l’ancienne danseuse Jean Renshaw, reconvertie dans la mise en scène, a du mal à quitter le plateau, comme certains oiseaux opportunistes font leur le nid d’autrui.

La musique ne laisse pas d’empreinte forte mais elle charme sans arrêt, y compris dans l’usage des instruments pour les harmonies imitatives dont Vivaldi s’était fait une spécialité. Le lyrisme ne déborde jamais la mesure admise, à aucun moment il ne s’envole pour évoquer par exemple la vaste courbe décrite par un oiseau, car ici les créatures ailées ne sont que des objectifs trompés par les appelants. La chasse comme allégorie des rapports amoureux ? En fait le seul personnage à se vanter d’être un Don Juan sera à la fin Grosjean comme devant. En outre, si le lyrisme permet l’expression de la sincérité des sentiments, il reste contraint quand la situation de rivalité potentielle conduit à la dissimulation, et s’ il se déploie, le plus souvent c’est pour exhaler l’irritation de la frustration. Celui de la comtesse et du marquis recourt à l’emphase conventionnelle des personnages nobles. Celui des « inférieurs » serait plus authentique mais il n’est guère développé car ils n’ont pas les clefs de ces envolées, dont une partie était à l’origine écrite en dialecte vénitien et bolognais. Il n’en reste pas moins que l’œuvre s’écoute avec plaisir, et que les morceaux de bravoure tels la lamentation de Mariannina, l’air de fureur du marquis, ou la gloriole du vaurien vantard vaudraient d’être réécoutés.

Très concentrée pendant l’écoute, l’assistance parmi laquelle de nombreux mélomanes venus de loin pour cette rareté a été très chaleureuse à la fin du spectacle. C’est justice pour une proposition scénique de valeur. C’est justice pour les musiciens de l’orchestre ICO de la Magna Grecia, dont les vingt instrumentistes font assaut de musicalité et de finesse dans une exécution qui restitue tout le charme d’une musique peut-être mineure, mais délicieuse à savourer. A leur tête Enrico Pagano qui  se révèle une nouvelle étoile dans les talents de la direction d’orchestre en Italie. D’une précision extrême sans être rigide, il sait raviver dans l’œuvre tous les accents et toute la séduction qui justifient son exhumation.

Ces saluts chaleureux étaient bienveillants pour une exécution vocale où tout n’était pas du même niveau. Sans doute doit-on être indulgent pour des élèves qui à l’Académie Belcanto « Rodolfo Celletti » sont très sollicités, en particulier pour les concerts dans les masserie, ces propriétés agricoles souvent vestiges d’anciens domaines de la noblesse. Toutefois il serait malhonnête de passer sous silence les stridences et les aigus criés de l’interprète de la comtesse. Les caméristes, sans subjuguer, ne laissent pas une impression aussi défavorable mais ne semblent pas encore parfaitement maîtresses de leur voix et de leur technique. Quoi d’anormal, dira-t-on, pour des élèves ? Quoi qu’il en soit et quelle que soit la part de la fatigue on se plait au moins à souligner un bel engagement théâtral.

Les voix masculines, en revanche, n’ont pas présenté de faiblesse rédhibitoire. Le ténor Joan Folqué s’acquitte probement du rôle de Toniolo, celui qui n’est ni l’objet de l’amour des caméristes ni le hâbleur vénal, et soupire après celle qui semble l’ignorer. Massimo Frigato, l’autre ténor, rend sensibles les sentiments divers du personnage du marquis, des fadaises de circonstance à l’indignation, jusqu’au regret, et adopte les attitudes scéniques adéquates. Support malgré lui des fantasmes de la comtesse, Cecco trouve dans le baryton Elia Colombotto un interprète crédible pour un personnage d’un bloc, sans états d’âme, qui sait les inconvénients d’une liaison avec une dame de « la haute » ; il proclame de sa voix solide son bon droit à battre sa femme s’il le juge bon, comme il sait exprimer la terreur de celui qui craint pour sa vie. A la basse Huigang Liu  est revenu le rôle le plus brillant, celui du vantard Pierotto, de l’insatisfait prêt à tout, au moins en paroles, du rebelle qui prétend bafouer les codes. La voix est homogène, longue, bien projetée, la tenue scénique volontaire et irréprochable, ajoutons une prononciation sans défaut et voilà sans doute une future vedette.

On attend désormais avec curiosité et gourmandise le prochain titre du catalogue de « L’opera buffa in Wien ! »

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Musique de Florian Leopold Gassmann

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Première représentation à l’époque moderne en Italie

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Mise en scène

Jean Renshaw

Décors et costumes

Christof Cremer

Lumières

Pietro Sperduti

 

La comtesse Ermelinda

Bryndis Gudjónsdóttir

Le marquis Riccardo

Massimo Fregato

Roccolina

Justina Vaitkute

Cecco

Elia Colombotto

Mariannina

Angelica Disanto

Pierotto

Huigang Liu

Toniolo

Joan Folqué

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Martina Franca, Teatro Verdi, mercredi 2 août 2023  à 21h

 

 

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