Cette année aura marqué le grand retour de La Périchole sur les scènes parisiennes où pas moins de trois productions se sont succédé, celle proposée par Les Tréteaux Lyriques au Théâtre du Gymnase en janvier, les représentations de l’Opéra-Comique en mai et enfin celles qui sont actuellement à l’affiche du Théâtre des Champs-Élysées. La partition est celle élaborée par le Palazzetto Bru Zane qui coproduit le spectacle et qui a publié un enregistrement discographique de l’œuvre, également dirigé par Marc Minkowski. Elle est majoritairement fondée sur la version de 1874, établie par Offenbach lui-même. Les dialogues parlés, astucieusement actualisés par Agathe Mélinand, s’insèrent parfaitement entre les parties chantées. Pour l’occasion le chef français retrouve son complice Laurent Pelly avec qui il a collaboré sur de nombreux ouvrages d’Offenbach, notamment Orphée aux enfers à Lyon en 1997 ainsi que La Belle Hélène et La Grande Duchesse de Gerolstein qui ont fait les beaux soirs du Châtelet en 2000 et 2004. C’est la première fois que les deux artistes travaillent ensemble sur La Périchole qu’ils avaient abordé chacun de leur côté, Pelly dès 2002 à Marseille et Minkowski lors des représentations bordelaises de 2018 qui ont servi à l’enregistrement du Palazetto.
L’action est située de nos jours. Lorsque le rideau se lève, les personnages portent des tenues d’été assez frustes, bermudas, chemisettes et T Shirts. Piquillo est en « marcel », La Périchole est vêtue d’un short en jean, d’un blouson en cuir sans manche et de bas en résille. A partir du deuxième acte, elle arbore une somptueuse robe du soir fuchsia. Le décor représente une place avec côté cour un immeuble vétuste dont la façade est taguée et aux fenêtres duquel on aperçoit du linge qui sèche ; côté jardin, trône un gigantesque portrait du vice-roi dont on ne voit que le bas du visage. Sur la place, des tables et des bancs devant une sorte de food truck où les trois cousines font commerce d’alcools et de victuailles. Au deuxième acte, des canapés noirs et de gigantesques miroirs amovibles représentent le palais du vice-roi, les courtisans et Piquillo sont en smokings, les dames en robes à crinoline argentées qui tranchent avec la robe « flashy » de la Périchole. Au troisième acte, la cellule de Piquillo est figurée par des grilles qui en constituent les parois et le plafond. La mise en scène est brillante, émaillée de quelques gags bienvenus. La direction d’acteurs, extrêmement précise, ne laisse aucun personnage livré à lui-même. Laurent Pelly s’est montré particulièrement inspiré par l’ouvrage, comme toujours lorsqu’il aborde Offenbach. Au salut final lui et son équipe ont été acclamés, ce qui n’est pas courant par les temps qui courent.
La Périchole (TCE) © Vincent Pontet
La distribution réunie pour l’occasion est d’un niveau élevé jusque dans les seconds rôles. Natalie Pérez est une Frasquinella pimbêche à souhait, Chloé Briot, Alix Le Saux et Éléonore Pancrazi campent avec le même bonheur les trois cousines, malicieuses et pétillantes et le trio des courtisanes, hautaines et méprisantes. Rodolphe Briand et Lionel Lhote rivalisent de rouerie dans leur emploi de courtisans obséquieux et serviles et déclenchent les rires à chacune de leurs apparitions. Laurent Naouri excelle dans son emploi de monarque veule et libidineux, avec sa voix rocailleuse et ses divers accoutrements. Stanislas de Barbeyrac se glisse aisément dans la peau de cet amoureux transi, un peu benêt mais tellement attachant. La voix est claironnante et bien projetée et si la ligne de chant est par moment hachée, il interprète avec délicatesse et de jolies nuances son air « On me proposait d’être infâme » au dernier acte. De plus, le ténor français possède une diction impeccable et offre un jeu d’acteur pleinement convaincant. A ses côtés, Antoinette Dennefeld tire son épingle du jeu en incarnant une Périchole piquante et volontaire, la voix est fraîche et bien conduite, le timbre est clair mais le volume demeure par moment confidentiel. Sa lettre est déclamée avec beaucoup de sensibilité, son air de la griserie avec toute la gouaille nécessaire, sans tomber dans la caricature. En revanche, l’on aurait souhaité un peu plus d’ironie voire de sensualité sur le refrain « Mon Dieu que les hommes sont bêtes ». L’air « Tu n’es pas beau » convainc davantage. Enfin, très à l’aise sur le plateau, la soprano se révèle fine comédienne.
Les Musiciens du Louvre qui viennent de fêter leur quarantième anniversaire, offrent des sonorités chatoyantes sous la baguette de Marc Minkowski qui adopte des tempos alertes propres à faire progresser l’action sans temps mort, tout en demeurant attentif à ses interprètes. Belle prestation des Chœurs de l’Opéra National de Bordeaux qui contribuent eux aussi à la réussite de ce spectacle revigorant.