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MEYERBEER, Le Prophète — Karlsruhe

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Spectacle
18 octobre 2015
Spectacle total

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

Grand opéra en 5 actes

Livret d’Eugène Scribe et Emile Deschamps

Créé le 16 avril 1849 au Théâtre de la Nation (Opéra de Paris, salle Le Peletier)

Détails

Mise en scène

Tobias Kratzer

Décors & costumes

Rainer Sellmaier

Vidéo

Manuel Braun

Lumières

Stefan Woinke

Dramaturgie

Boris Kehrmann

Chorégraphie

TuCru / Incredible Syndicate

Jean de Leyde

Marc Heller

Fidès

Ewa Wolak

Berthe

Ina Schlingensiepen

Zacharie

Avtandil Kaspeli

Jonas

Matthias Wohlbrecht

Mathisen

Lucia Lucas

Le Comte Oberthal

Armin Kolarczyk

Une paysanne

Maike Etzold

Une paysanne

Ursula Hamm-Keller

Un paysan

Jin-Soo Kim

Un paysan

Marcelo Angulo

Un anabaptiste

Doru Cepreaga

Un anabaptiste

Alexander Huck

Un villageois

Joannes Eidloth

Un villageois

Peter Herrmann

Un villageois

Wolfram Krohn

Un villageois

Alexander Huck

Maîtrise

Markus Heinen, Gabriel Mende, Moritz Prinz, Moritz Warnecke

Un soldat

Arno Deparade

Officier

Olivier Reichenbacher

Policier

Alhagie Cham

Danseurs

Levent Gürsoy, Mohamad Khamis, Faton Kurtishaj, Michael Massa, Trung Dun Ngyen, Hakan Özer (Tucru / Incredible Syndicate)

Chœurs et orchestre du Badisches Staatstheater Karlsruhe

Chef des chœurs

Ulrich Wagner

Direction du chœur d’enfants

Anette Schneider

Direction musicale

Johannes Willig

Badisches Staatstheater, Karlsruhe, dimanche 18 octobre 2015, 18h.

Troisième grand opéra de la « Tétralogie » de Giacomo Meyerbeer, après Robert le Diable (1831) et Les Huguenots (1836) et avant L’Africaine (1865) ou sa version originale Vasco de GamaLe Prophète (1849) marque une évolution dans la manière du compositeur. L’orchestration est toujours aussi fouillée, les grands ensembles vocaux toujours aussi complexes, il reste bon nombre de morceaux de bravoure individuels, mais l’ensemble témoigne d’un souci d’homogénéité qui  amène Meyerbeer à éliminer les éléments les plus belcantistes présents dans les ouvrages précédents. Il en résulte un ouvrage aux tonalités plus sombres, totalement en phase avec un livret d’un cynisme d’une grande noirceur. Rarement repris à l’époque moderne (essentiellement pour Marilyn Horne d’une part, et pour Placido Domingo de l’autre) l’ouvrage fut un énorme succès international du vivant du compositeur et, comme l’écrit Piotr Kaminski dans sa somme Mille et un opéras, « rien ne justifie son absence du répertoire ».

Vu la rareté de l’ouvrage, il n’est peut-être pas inutile d’en rappeler l’intrigue. Le livret est inspiré d’un fait historique, l’hérésie de l’anabaptiste Jean de Leyde (1509 – 1536) qui devint « roi » de la ville de Münster en 1534. Dans l’opéra, Jean de Leyde est un aubergiste qui doit épouser la jeune Berthe, et qui est affligé d’une mère assez encombrante, Fidès. Alors que Berthe sollicite l’autorisation du comte Oberthal pour se marier, celui-ci décide de la garder pour lui-même et fait enlever les deux femmes. L’acte II se déroule dans l’auberge de Jean, inconscient des événements qui viennent de se passer. Il raconte à trois anabaptistes un rêve où il se voit couronné. Les trois complices qui, à l’acte précédent, ont tenté sans succès d’animer une révolte contre Oberthal, sont frappés par la ressemblance du jeune homme avec un portrait du roi David à qui l’on attribue des miracles. Ils essaient de le convaincre de prendre la tête de la révolte contre les seigneurs, mais il refuse. Berthe apparait, ayant échappé à ses bourreaux, vite rattrapée par Oberthal. Jean s’interpose mais le comte promet la mort de Fidès s’il ne lui laisse pas Berthe. Jean abandonne sa fiancée pour sauver sa mère. Cette fois, il va céder aux sirènes des anabaptistes mais ceux-ci lui imposent de ne plus jamais revoir sa mère car il est désormais le fils de Dieu. A l’acte III, alors que Münster est assiégée, on apprend que les troupes de l’empereur viennent à sa rescousse. Tentant d’échapper à ses ennemis, Oberthal est interpellé par deux des anabaptistes, mais il n’est pas reconnu. Dans un trio comique, il est contraint de jurer sa propre mort. Finalement identifié, il échappe à la pendaison par la grâce de Jean à qui il confie que Berthe lui a échappé et qu’elle est réfugiée dans Münster. Au tableau suivant, il apparait que l’autorité de Jean est discutée : les attaques menées sans lui ont échoué.  Dans une grande scène, Jean retourne la foule et prend la tête de son armée à la conquête de Münster. A l’acte IV, dans la ville tombée, Fidès pleure la mort de son fils. Berthe, qui n’a plus besoin de se cacher, la retrouve et apprend de Fidès la mort de Jean. Elle jure de venger son fiancé en tuant le Prophète qu’elle croit être son assassin. A la scène suivante, le Prophète se fait couronner roi. Tandis qu’il n’est pas loin de se croire vraiment fils de Dieu, Fidès surgit de la foule et le désigne comme son fils. Alors que la stupéfaction des fidèles est à son comble, Jean prétend que celle-ci est démente et lui demande de réitérer ses affirmations : s’il est bien son enfant et non le fils de Dieu, il accepte d’être mis à mort. Pour sauver la vie de Jean, Fidès revient sur ses paroles : le Prophète vient de faire une nouvelle guérison (le vrai Jean avait 17 épouses et se préoccupait moins de sa mère). Au dernier acte, les troupes de l’empereur avançant, les anabaptistes complotent : ils prévoient d’échanger la capture de Jean contre leur propre liberté. Enchaînée dans un caveau, Fidès maudit le faux prophète tout en répétant son amour pour son fils. Jean vient la visiter et implore son pardon : il finit par se laisser convaincre de tout abandonner. Berthe, descendue dans les souterrains pour faire sauter la place, retrouve Jean et Fidès. Le bonheur du trio ne dure que le temps que Berthe ne découvre que Jean et le Prophète ne font qu’un : elle se suicide (Adieu Berthe !). Décidé à en finir, Jean offre une dernière bacchanale à ses fidèles, tout en laissant s’approcher ses ennemis, Oberthal et les anabaptistes. Quand tous sont prisonniers de la salle, il fait exploser les murs du château. Au milieu des flammes, Jean et Fidès meurent dans une extase mystique,

Pour cette résurrection, le jeune metteur en scène Tobias Kratzer a choisi de transposer l’intrigue à l’époque moderne, un parti qui, bien souvent, apparaît comme une facilité sans justification véritable. Avouons-le : à la vue des photos (garage miteux, terrain de basket, chambre minable, bar marseillais glauque), nous nous étions résignés à une production « Eurotrash » de plus. Mais il n’en est rien dans le cas présent et le travail de Kratzer est absolument passionnant, drôle mais respectueux, classique et iconoclaste (normal …) et les décors tournants de Rainer Sellmaier spectaculaires.  Et pourtant, quand les anabaptistes apparaissent en mormons (chemises blanches et cravates noires), on se dit un instant que le metteur en scène manque de courage en s’attaquant à d’aussi piètres cibles. Mais cette crainte d’une esquive politiquement correcte est finalement injustifiée car en fait, tout le monde va y passer : Kratzer n’épargne aucune déviance religieuse plutôt qu’une autre. Comme les télé-évangélistes milliardaires, le Prophète roulent dans une gigantesque limousine blanche. Pendant le couronnement, les anabaptistes profitent de leur nouvel état pour abuser d’un jeune garçon dans ladite limousine : et voilà pour la pédophilie (la scène rappelle aussi ces séances où Mickaël Jackson choisissait des enfants parmi ses fans). Les fidèles prosélytes torturent ceux qui refusent le baptême. Des vendeurs de Charlie Hebdo diffusent … des caricatures du Prophète (Jean manipulé comme une marionnette par les trois anabaptistes). Lorsque Jean s’exprime pour ses fidèles, sur Facebook ou Tweeter, c’est à travers des vidéos pitoyables et délirantes, sur fonds d’éclairs ou d’explosions, comme dans les productions les plus tristement médiocres de djihadistes (ce qui nous vaut une scène désopilante où, par maladresse des anabaptistes, Jean prêchera successivement devant un globe terrestre, une oasis, des chats qui dansent, un film de cul, avant de finir sur avec la mire). Au finale, Jean se fera d’ailleurs sauter avec une ceinture d’explosifs, scène qui laisse une salle stupéfaite dans le noir absolu (petit bémol :  l’explosion est déplacée après le duo Jean / Fides et conclut donc le spectacle, mais elle n’est pas assez bruyante pour produire tout son effet)). Mais l’approche de Kratzer ne se limite pas à la critique des faux prophètes : là encore, tout le monde y passe. Prenons par exemple l’acte III avec son ballet des patineurs (les patins à roulettes venaient d’être inventés et furent utilisés à la création). C’est un pur divertissement, destiné à laisser le spectateur souffler entre deux scènes fortes (un peu comme les numéros musicaux dans les films des Marx Brothers). Kratzer s’offre d’abord un clin d’œil avec une bande de « d’jeuns » qui entrent en scène en skateboard ou poussant des caddies. Lesdits caddies contiennent le produit du pillage qui est aussitôt distribué aux révoltés : il ne s’agit pas de nourriture ou de vêtements…mais d’écrans plats ! Les insurgés ne cherchent pas à créer une société égalitaire, mais à jouir sans entrave en prenant la place de leurs anciens oppresseurs, sans se rendre compte que cette pseudo liberté n’est qu’asservissement à la consommation et aux pulsions (on comprendra mieux le choix de Jean de faire périr également les uns comme les autres au dernier acte). C’est d’ailleurs un des messages que la mise en scène fait ressortir du livret, sans le trahir : il n’y a pas d’issue quand on tente de répondre à l’arbitraire par un arbitraire plus fort encore. Et pour autant, l’aspect « divertissement » n’est pas dédaigné, le ballet étant l’occasion d’une chorégraphie « breakdance » absolument exceptionnelle par sa pertinence et par son exécution, à des années lumière d’un simple « jeunisme », et accueillie par une incroyable ovation toutes générations confondues. Formidable mise en scène qui accepte de traiter l’œuvre sans la trahir. Citons l’analyse de Théophile Gautier, fort justement rappelée par un contributeur anonyme de Wikipedia : « « Robert le Diable, c’est le catholicisme avec ses superstitions, ses demi-jours mystérieux, ses tentations, ses longs cloîtres bleuâtres, ses démons et ses anges, toutes ses poésies fantastiques. Les Huguenots, c’est l’esprit d’analyse, le fanatisme rationnel ; la lutte de l’idée contre la passion, de la négation contre l’affirmation ; c’est l’histoire qui se substitue à la légende, la philosophie à la religion. Le Prophète, c’est l’hypothèse, l’utopie, la forme confuse encore des choses qui ne sont pas, s’ébauchant dans une esquisse extravagante. (…) Les trois phases principales de l’esprit humain s’y trouvent représentées : la foi, l’examen, l’illuminisme. La foi correspond au passé, l’examen au présent, l’illuminisme à l’avenir ». Sombre présage. Quant à nous, nous noterons sur notre agenda qu’en 2019 Kratzer mettra en scène Tannhaüser à Bayreuth …

La soirée offre 3h15 de musique, ce qui est proche des 3h20 de la version studio Horne / McCraken / Lewis. Toutefois, les différences sont plus importantes que ces 5 minutes d’écart. La partition est donnée avec une dizaine de minutes de coupures : des reprises, le début de l’air de Berthe ou de la scène de la Meuse, etc. Au positif, ces coupures sont bien faites et n’altèrent pas l’enchaînement harmonique ni la compréhension du livret. Mais la version donnée propose également des ajouts venus de l’édition critique (mort de Berthe, retour des anabaptistes au dernier acte, …), morceaux qui ne figurent pas dans l’enregistrement commercial. Certaines scènes sont également légèrement différentes par rapport à la version traditionnelle (récitatif de Jean de la grande scène de l’acte III). 

Le Prophète fut écrit et créé par des voix exceptionnelles : le ténor Gustave-Hippolyte Roger (dans une première version, dont le ténor français Jean-Pierre Furlan a enregistré des extraits, le rôle était d’écriture plus belcantiste, mais le ténor pressenti est mort entre temps !) et Pauline Viardot, contralto de tessiture mais dont l’ambitus montait au moins jusqu’au contre-ut. Il faut donc saluer le Badisches Staatstheater de Karlsruhe d’avoir su réunir une équipe qui, sans proposer de stars internationales, répond largement aux enjeux de cette recréation, au bémol notable d’un français souvent difficile à suivre, moins au niveau de l’accent d’ailleurs que de la clarté de la prononciation. Deux distributions alternent jusqu’en avril : nous avons entendu la première. Dans le rôle incroyablement tendu de Jean, le ténor américain Marc Heller a pour lui de donner toutes les notes sans tricher, avec une voix large, et en se payant même le luxe d’un contre-ut en fin de spectacle. Si la technique vocale reste un peu frustre, la couleur un peu uniforme, l’engagement dramatique compense ces quelques défauts d’émission. Ewa Wolak est tout simplement incroyable en Fidès. Un tel engagement, une telle insolence vocale, un tel ambitus sont tout simplement hors du commun : une authentique voix de contralto, qui rappelle un peu celle d’Ewa Podles, aux graves profonds et aux aigus acérés, vocalisant avec l’agilité d’une belcantiste sur plus de deux octaves (du sol grave au contre-ut). Quoique d’une projection plus discrète en première partie, la voix d’Ina Schlingensiepen est très exactement celle attendue pour le rôle de Berthe. La chanteuse se libère totalement dans les deux derniers actes, offrant elle aussi une performance galvanisante. Le trio d’anabaptistes incarnés par Avtandil Kaspeli, Matthias Wohlbrecht et Lucia Lucas, est impeccable. Armin Kolarczyk est un Oberthal de luxe, au français parfait, presque trop sympathique dans son personnage transposé en policier crasseux et corrompu. On félicitera en bloc l’ensemble des « petits rôles » parfaits dans leurs courtes interventions respectives. Complété de quelques forces supplémentaires, le chœur est absolument admirable tant au niveau vocal qu’au niveau scénique, la production étant particulièrement exigeante de ce point de vue. Le chœur d’enfants est également parfait. Pour l’anecdote, on signalera que, pour la scène du couronnement, l’orchestre de fosse est complété par une harmonie placée au fond du balcon : les effets de dialogues entre les deux formations, le chœur, la maîtrise et l’orgue sont absolument électrisants !

La réussite de la soirée n’aurait pas été possible sans la direction précise et passionnée de Johannes Willig qui, à la tête d’une formation orchestrale de haut niveau, sait maintenir la tension tout au long de ces 3h15 de musique. Au rideau final, les artistes sont salués par une ovation d’une douzaine de minutes, ce qui prouve que l’audace paie quand tous les artistes s’investissent à fond. Précisons enfin que, dans ce théâtre de moins de 1.000 places, les prix s’échelonnent de 5,50 à 44,50€…

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Livret d’Eugène Scribe et Emile Deschamps

Créé le 16 avril 1849 au Théâtre de la Nation (Opéra de Paris, salle Le Peletier)

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Mise en scène

Tobias Kratzer

Décors & costumes

Rainer Sellmaier

Vidéo

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Lumières

Stefan Woinke

Dramaturgie

Boris Kehrmann

Chorégraphie

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