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PUCCINI, Tosca – Londres (RBO)

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Spectacle
17 septembre 2025
Coup de poing et coup de maître

Note ForumOpera.com

5

Infos sur l’œuvre

Opéra en trois actes
Musique de Giacomo Puccini
Livret de G. Giacosa et L. Illica d’après La Tosca (1887), drame de Victorien Sardou
Créé au Teatro Costanzi (Rome), le 14 janvier 1900

Détails

Mise en scène
Oliver Mears
Costumes
Ilona Karas
Décors
Simon Lima Holdsworth
Lumières
Fabiana Piccioli

Floria Tosca
Anna Netrebko
Mario Cavaradossi
Freddie De Tommaso
Il Barone Scarpia
Gerald Finley
Cesare Angelotti
Ossian Huskinson
Il Sagrestano
Alessandro Corbelli
Spoletta
Carlo Bosi
Sciarrone
Siphe Kwani
Un carciere
Olle Zetterström
Un pastore
Raphi Laming

Chœur du Royal Opera
Chef de Chœur
William Spaulding

Orchestre du Royal Opera
Direction musicale
Jakub Hrůša

Londres, Royal Opera House, lundi 15 septembre 19h30

Était-il nécessaire de proposer une nouvelle Tosca au Covent Garden ? Créée en 2006 et dépassant les 100 représentations étalées sur une douzaine de saisons, l’ancienne production de Jonathan Kent, plutôt traditionnelle, était devenue un classique de la maison, reprise à chaque fois avec succès. Il fallait donc une audace certaine pour chercher à la remplacer, qui plus est par une version résolument moderne. Patron de l’institution depuis 2017, Oliver Mears n’en a pas pour autant abandonné son métier de metteur en scène (comme on a pu l’apprécier récemment avec sa Semele au Théâtre des Champs-Élysées, coproduite et reprise au Royal Opera). Son ambition est ici de renouveler pour le public actuel le choc qu’ont pu ressentir les spectateurs contemporains de la création de l’ouvrage, en 1900. Il faut en effet bien le reconnaitre, en un siècle et quart, les sensibilités ont été passablement émoussées. Tosca est sans doute resté un ouvrage émouvant (surtout quand il est bien chanté), mais plus vraiment terrifiant. On peut faire la même observation avec le cinéma : on ne verra plus des spectateurs quitter précipitamment leur siège à l’arrivée d’un train. Plus près de nous, on voit bien ce phénomène dans l’évolution de beaucoup de séries Netflix et cie : celles-ci dégénèrent en général dès la troisième saison, cherchant à conserver l’audimat d’un public mithridatisé par une surenchère croissante d’horreurs. Pour redonner ce choc original, il fallait donc frapper un grand coup. Cette Tosca devant être diffusée prochainement dans les salles de cinéma (en direct le 18 septembre), nous resterons concis sur les détails de la mise en scène afin d’en laisser la surprise aux futurs spectateurs. L’action est transposée à une époque moderne dystopique indéfinie (on pense quand même un peu aux Années de plomb en Italie). Le premier acte, s’ouvre sur le décor spectaculaire d’une église en ruine. Les coups de canon du finale évoquent ici des bombardements plutôt que les réjouissances devant suivre la défaite des troupes napoléoniennes, des débris tombant sur les chœurs. Le décor de l’acte II rappelle la froideur monumentale des constructions mussoliniennes (le Palazzo delle Poste de Naples, notamment) et on ne détaillera pas ici la stupéfiante scène du meurtre de Scarpia qui fait l’objet d’une scénographie renouvelée par rapport à la version originale inspirée de Sarah Bernhardt. Le troisième acte est à la fois glaçant et désespérant, malaisant comme disent si justement les québécois (au grand dam de l’Académie française). On y retrouve des éléments de la froide paperasserie bureaucratique, développés par exemple par Claus Guth dans sa Turandot viennoise, mais dans un cadre infiniment plus proche de nous : ici, un bourreau n’est pas le fonctionnaire impersonnel d’une dictature asiatique, ça pourrait être le flic sympa que l’on croise à la boulangerie quand on achète sa baguette.

The Royal Opera ©2025 Marc Brenner

Comme on le sait, il est quasiment impossible qu’une transposition colle parfaitement au livret original, et celle-ci n’échappe pas à la règle. Le principal écueil est le célèbre « Vittoria ! » lancé par Mario à l’acte II, privé ici de contexte historique. Mais l’honnêteté intellectuelle nous pousse à rappeler que les raisons de ce cri échappent aujourd’hui à la majorité des spectateurs : pour l’essentiel, le public, même français, ne connait pas les déboires du feld-maréchal Melas ni l’origine de la recette du Poulet à la Marengo. Dans ce type de démarche, l’essentiel est toutefois que ce que l’on perd dans la transposition soit compensé par ce que l’on y gagne : or le bilan est ici très largement positif. Le pari de Mears est donc parfaitement tenu, même si certains pourront regretter une vision dépourvue de sentimentalisme et d’une inhumanité glaçante. Ajoutons à cela une direction d’acteur millimétrée, quasi cinématographique, qui ajoute au réalisme de la production. Les détails de mise en scène sont nombreux et impossible à repérer en une seule représentation. Pour l’exemple, on signalera des horloges qui fonctionnent : à l’acte II, celle du bureau de Scarpia approchera minuit à la mort du chef de la police ; à l’acte III, celle des gardiens affichera 4 heures au moment de l’arrivée de Tosca, instant effectivement fixé par Scarpia pour autoriser celle-ci à voir Mario (« Bada: all’ora quarta… »). Les décors de Simon Lima Holdsworth sont splendides et adaptés à la voix, les costumes de Ilona Karas sont parfaitement adaptés au propos et les éclairages de Fabiana Piccioli contribuent à l’atmosphère oppressante de la mise en scène.

The Royal Opera ©2025 Marc Brenner

Pour son retour sur la scène londonienne après six années d’absence, Anna Netrebko se révèle dans une forme exceptionnelle. La projection est toujours aussi puissante et le timbre magnifique, sans vibrato excessif ni faussetés. Les différents registres ont retrouvé leur homogénéité, la largeur de la voix correspondant parfaitement aux exigences du rôle. Netrebko sait aussi alléger son instrument pour se faire à l’occasion minaudante, plaintive ou suppliante, jouant intelligemment sur les couleurs de la voix. Excellemment dirigée, le soprano est parfaitement à l’aise dans ce personnage de diva, sans histrionisme néanmoins : on penserait presque voir Callas dans son intimité au temps de sa splendeur. Les intentions vocales sont pleines de finesse. Tout une série de points de passage obligé est ainsi exprimée avec une palette sans cesse variée (« Assassino! Voglio vederlo », « Quanto? Il prezzo », « E avanti a lui tremava tutta Roma! », etc.), le soprano ayant essentiellement recours au chant quand beaucoup d’interprètes du rôle choisissent un registre parlé traditionnel. Sa prestation n’est pas non plus maniérée à l’excès : le chant est essentiellement naturel et son « Vissi d’arte » est d’une belle simplicité, avec des notes finales suspendues comme hors du temps. La chanteuse ne cherche pas à tirer la couverture à elle et offre une belle osmose avec son partenaire.

The Royal Opera ©2025 Marc Brenner

Freddie De Tommaso campe un Mario attachant, assez fin dans son jeu. La voix est celle d’un authentique lirico-spinto, c’est-à-dire qu’il offre à la fois les qualités d’un ténor lyrique pour la partie centrale de la tessiture (agilité, variations de souffle, de couleurs, de registres, tout en gardant l’homogénéité de la voix), et les qualités d’un bon spinto, avec un aigu percutant. Le timbre est un peu impersonnel mais agréable, et sa projection est adaptée à celle de sa partenaire.

Gerald Finley est un Scarpia tout en finesse. Les moyens naturels du baryton sont plus limités que ceux de ses partenaires (on le remarque dès son entrée), mais adaptés à sa caractérisation dramatique. Le chanteur sait à merveille exprimer (par le chant et par le jeu théâtral) tout une gamme d’émotions, de la persuasion insinuante à l’éructation brutale en passant par les passions les plus viciées. Il occupe remarquablement l’espace, notamment à l’acte II quand il virevolte sur sa chaise à roulettes. Son interprétation est d’autant plus troublante qu’elle n’a rien d’excessif : c’est Monsieur Tout-le-monde qui fait professionnellement son job, à qui ça ne déplait pas et qui essaie d’en tirer quelques avantages.

The Royal Opera ©2025 Marc Brenner

Les seconds rôles sont parfaitement distribués. En Sacristain, on appréciera le vétéran Alessandro Corbelli (73 ans le 21 septembre prochain), recyclé dans les comprimari, et à la vis comica inentamée. Ossian Huskinson est un Cesare Angelotti à la voix bien timbrée, excellent acteur qui semble véritablement échappé d’une séance de torture. Carlo Bosi est un Spoletta idéal, subtil et sonore. Dans leurs petits rôles respectifs, Siphe Kwani (Sciarrone) et Olle Zetterström (un carciere) savent se faire remarquer. Le pâtre est confié à une belle voix d’enfant, la jeune Esmae Froud (qui alterne avec l’excellent Raphi Laming qui assurait la première).

Dans un autre contexte, la direction de Jakub Hrůša pourrait apparaitre un brin insuffisamment dramatique, mais cette discrétion évite un mélo excessif qui viendrait contredite la mise en scène. Le chef fait attention au plateau et laisse le public applaudir aux endroits traditionnels. Le court échange entre Scarpia et Tosca à la fin du « Vissi d’arte » est ici rétabli (sa coupure, traditionnelle, est incompréhensible). L’orchestre est en bonne forme et les chœurs sont excellents. Le Royal Opera inaugure sa nouvelle saison avec une réussite incontestable.

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Musique de Giacomo Puccini
Livret de G. Giacosa et L. Illica d’après La Tosca (1887), drame de Victorien Sardou
Créé au Teatro Costanzi (Rome), le 14 janvier 1900

Détails

Mise en scène
Oliver Mears
Costumes
Ilona Karas
Décors
Simon Lima Holdsworth
Lumières
Fabiana Piccioli

Floria Tosca
Anna Netrebko
Mario Cavaradossi
Freddie De Tommaso
Il Barone Scarpia
Gerald Finley
Cesare Angelotti
Ossian Huskinson
Il Sagrestano
Alessandro Corbelli
Spoletta
Carlo Bosi
Sciarrone
Siphe Kwani
Un carciere
Olle Zetterström
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