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RAMEAU, Dardanus – Beaune (Festival)

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Spectacle
24 juillet 2025
La plus belle des musiques pour un livret de peu

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

Jean-Philippe Rameau

Dardanus

Nouvelle (*) tragédie lyrique en un prologue et cinq actes

Livret de Charles-Antoine Le Clerc de la Bruère, d’après de multiples sources

Créée le 17 avril 1744 à l’Académie royale de musique (date retenue par la partition publiée par Rameau)

(*) la première version, de 1739, en a été considérablement remaniée

Détails

Dardanus
Reinoud Van Mechelen

Iphise, l’Amour
Camille Poul

Vénus, une Phrygienne
Marie Perbost

Anténor
Thomas Dolié

Teucer, Isménor
Stephan MacLeod

 

Chœur de chambre de Namur

Chef de chœur
Thibaut Lenaerts

Les Ambassadeurs – La Grande Ecurie

Direction musicale
Emmanuel Resche-Caserta

 

Beaune, Festival international d’opéra baroque, Basilique, 19 juillet 2025, 21h

En 2011, dans la Cour des Hospices, Raphaël Pichon inaugurait avec Dardanus son cycle des opéras de Rameau (1). Ce soir, les cieux incertains ont entraîné le repli du spectacle à la Basilique. La tragédie lyrique doit sans doute à son livret, réputé maladroit, d’être moins connue qu’Hippolyte et Aricie ou Castor et Pollux. Pourtant, les caractères en sont bien dessinés, et il est d’une langue dont on se délecte, héritée du Grand Siècle. La prosodie en est aussi exemplaire qu’illustrée avec brio par chacun des chanteurs. Quant à la musique, sa qualité la hisse au niveau des œuvres les plus abouties de son temps. Pour faire simple, l’intrigue, complexe, tourne autour des amours de Dardanus (fils de Jupiter) et d’Iphise, fille de son ennemi le roi de Phrygie, Teucer, et promise à Anténor. Le magicien Isménor seconde Dardanus. Evidemment Vénus et l’Amour tirent les ficelles, et tout se termine par l’union des amants.

Familier de l’ouvrage, Emmanuel Resche-Caserta dirigeait Dardanus il y a peu (le 18 mars, à la Maison de la Radio), avec les mêmes ensembles et une distribution qui comportait déjà Reinoud Van Mechelen, Stephan MacLeod et Marie Perbost.  Fréquemment, ce sera du violon qu’il animera l’orchestre, avec une rare souplesse, des phrasés admirables, et des équilibres subtils qui nous permettent d’apprécier les détails de l’écriture, tout en construisant la progression dramatique.

Reinoud Van Mechelen, s’est affirmé comme le digne héritier des Dumesny, Jélyotte puis Legros, s’appropriant leur répertoire et leur art pour nous le restituer sous son éclat premier. Depuis dix ans au moins, il a approfondi les ressorts de Dardanus, le personnage comme l’ouvrage, à travers ses différentes moutures.  Ce fut en effet la tragédie lyrique sur laquelle Rameau revint le plus puisqu’il nous en a légué trois versions (2). Celle qui est offerte ce soir (d’avril 1744) évacue largement le merveilleux pour approfondir les caractères et donner plus de vraisemblance aux situations. Les trois derniers actes sont totalement réécrits, et, si des airs ou scènes célèbres disparaissent, c’est pour y substituer d’autres pages tout aussi remarquables (Bruits de guerre, monologue de la geôle…). Aussi magistral stylistiquement et dramatiquement, le chant de notre héros, clair, jamais maniéré, domine tout l’acte IV. Toujours noble, plus ardent et tendre que jamais, humain, attachant, sensible, tout retient l’attention et émeut. Le timbre est lumineux et le souci expressif permanent. Evidemment, attendu de chacun, « Lieux funestes », que chante Dardanus captif, est un moment des plus forts. Les deux derniers actes sont un constant régal.

Camille Poul, (qui prend le relais d’Emmanuelle de Negri, dans la version parisienne), sera tour à tour l’Amour, mutin, puis Iphise, la Chimène de notre Cid, noble et touchante. La voix est bien timbrée et projetée, avec l’autorité attendue. Sa plainte, « Cesse, cruel amour, de régner sur mon âme » qui ouvre le premier acte, suffirait à nous convaincre et à nous émouvoir. La conduite de la ligne en est superbe, le soutien, les couleurs, le souci du texte sont bien là. Authentique tragédienne, ses émois lorsqu’elle redoute la mort de Dardanus (« O jour affreux – Dardanus est captif ») sont traduits avec justesse, « Ciel ! quelle horreur », qui ouvre le dernier acte, n’est pas moins expressif. Son duo avec Dardanus, « Frappez, frappez, dieux tout puissants », il n’est pas d’intervention qui ne suscite l’admiration.

Sitôt l’ouverture du prologue, c’est Vénus que l’on écoute la première, et la dernière de la tragédie lyrique (« Pour célébrer les feux »).  Le chant de Marie Perbost est sensuel, brillant, charnu sinon capiteux. Tout le registre est sollicité avec un égal bonheur, des graves sonores aux aigus brillants. Mais c’est encore dans le personnage de la Phrygienne qu’elle impressionne le plus. On retiendra chacun de ses airs, « Courez à la victoire » dont l’incise à découvert impose l’autorité, puis de « De myrthe couronnez vos têtes » (au III).

Nouveau dans la production, Thomas Dolié chante Anténor, avec la vigueur, la fougue et l’élégance attendues. Son premier dialogue avec Iphise traduit bien son amour et ses incertitudes qui se mueront en désespoir. Teucer et Isménor sont confiés à Stephan MacLeod. La version de concert ne permet pas de distinguer visuellement les deux personnages, si dissemblables dans leur caractère, malgré leur tessiture commune. Peut-être l’auditeur peu familier s’y perd-il, même si le magicien donne sa veste à Dardanus, pour qu’il prenne son apparence ? Si Teucer, père possessif d’Iphise, paraît une héroïque brute, égoïste, Isménor est l’ami fidèle, bienveillant. Notre basse endosse sans peine les deux habits et leur donne vie. Il confère l’autorité monarchique à Teucer, et l’Isménor qu’il campe est bien un magicien efficace qui connaît ses limites. Si ses premières interventions interrogent sur la projection, celle-ci gagnera au fil de la narration pour atteindre la plénitude attendue à « Nos cris ont pénétré jusqu ‘au sombre séjour ». Les deux derniers actes seront superbes. Arcas, rôle ajouté pour la version de 1744, est confié à un chanteur anonyme du chœur. Dans ses brèves interventions, jamais il ne dépare cette distribution de haut vol.

L’excellent Chœur de chambre de Namur, préparé comme à son habitude par Thibaut Lenaerts, à travers sa dizaine d’interventions, confirme toutes ses qualités attendues, d’équilibre, de précision, de dynamique, de vigueur et d’articulation. Le bonheur est constant et l’on se prend à imaginer ce que devait être ce spectacle somptueux. Car c’est ce qui fait défaut ce soir. La version de concert, seule envisageable à Beaune, nous prive du décor et des costumes, mais surtout du théâtre, essentiel, et des évolutions chorégraphiques nombreuses qui ponctuent la partition, forme de divertissement en quelque sorte. Quels que soient le talent des interprètes et l’écriture admirable de Rameau, comment éviter l’ennui de l’auditeur du XXIe siècle à l’écoute d’une œuvre de presque trois heures qu’il découvre à cette occasion ? Ainsi après l’entracte, quelques sièges ont été désertés, pas forcément par les plus âgés. Dommage.

L’énumération des chanteurs ne doit pas faire oublier que c’est déjà l’orchestre qui exprime, illustre toutes les situations, les états d’âme, avec la plus large palette expressive, et un langage d’une richesse inégalée en son temps. Riche de ses trente-cinq musiciens, les Ambassadeurs – La Grande Ecurie, formation réunie par Emmanuel Resche-Caserta, premier violon solo et assistant de William Christie, répond idéalement aux exigences de la partition. Le continuo, confié au violoncelle, parfois doublé par la contrebasse, et au clavecin, s’avérera efficace, équilibré, inventif pour soutenir les voix, et animer les récitatifs (3). Parmi les pupitres, tous excellents, signalons les bois, particulièrement les flûtes, fruitées, savoureuses, que Rameau sollicite avec art (« le rossignol ne chante que pour eux »), mais aussi les hautbois, le basson. Dès l’ouverture, le tournoiement du second volet (« vite ») nous plonge dans la vivacité de l’action. Les spectaculaires Bruits de guerre qui marquent la fin du quatrième acte, propres à susciter l’effroi de l’auditeur, participent pleinement à la tension dramatique. La chaconne finale, célèbre, est un bonheur dans sa réalisation renouvelée, qui témoigne de l’art de Rameau. Avec une vie intérieure foisonnante, elle s’anime pour se réduire aux seuls violons, très retenus, auxquels se joignent les flûtes, puis les basses, pour terminer dans une forme de joie exubérante, tourbillonnante. Le soin mis par chacun à s’unir aux voix pour converser avec elles, pour leur tisser le plus beau des écrins mérite d’être souligné. Les couleurs, les phrasés, la dynamique et la souplesse, la clarté participent à notre bonheur. Une mémorable soirée.

(1) L’enregistrement bordelais qui suivit en 2015, malgré le Dardanus de Reinoud Van Mechelen, pêche par une distribution par trop inégale voire fruste, et un continuo parfois pesant (quatre violoncelles et une contrebasse à l’unisson). 
(2) 1739, puis 1744, reprise en avril 1760. Malgré la pertinence de l'observation de Sylvie Bouissou ("Car il faut admettre qu'il existe deux versions de cette oeuvre, bien distinctes et pleinement légitimes, qu'il est insensé de vouloir fondre en une seule") , la quasi totalité des versions enregistrées emprunte aux deux premières, malgré leur ambition à prpoposer l'une ou l'autre.
(3) Avec un bref moment d’incertitude, vite corrigé, à la scène 3 du cinquième acte, alors que Dardanus chante.

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Dardanus

Nouvelle (*) tragédie lyrique en un prologue et cinq actes

Livret de Charles-Antoine Le Clerc de la Bruère, d’après de multiples sources

Créée le 17 avril 1744 à l’Académie royale de musique (date retenue par la partition publiée par Rameau)

(*) la première version, de 1739, en a été considérablement remaniée

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Dardanus
Reinoud Van Mechelen

Iphise, l’Amour
Camille Poul

Vénus, une Phrygienne
Marie Perbost

Anténor
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Chœur de chambre de Namur

Chef de chœur
Thibaut Lenaerts

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Direction musicale
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