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REIMANN, Melusine – Francfort

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Spectacle
10 juin 2025
Corps ou âme ?

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

Melusine
Opéra en quatre actes d’Aribert Reimann (1936-2024)
Livret de Claus H. Henneberg d’après le drame éponyme d’Yvan Goll
Création le 20 avril 1971 au Schlosstheater de Schwetzingen

Production de l’Opéra de Francfort. Création le 6 juin 2025 au Bockenheimer Depot.

Détails

Mise en scène
Aileen Schneider
Décors
Christoph Fischer
Costumes
Lorena Díaz Stephens
Lumières
Olaf Winter, Jonathan Pickers
Dramaturgie
Maximilian Enderle

Melusine
Anna Nekhames
Pythia
Zanda Švēde
Madame Lapérouse
Cecilia Hall
Oleander
Jaeil Kim
Comte de Lusignan
Liviu Holender
Géomètre
Dietrich Volle
Maçon
Frederic Jost
Architecte
Andrew Kim
Ogre
Morgan-Andrew King
Trois invitées
Ekin Su Paker, Daria Tymoshenko, Zuzana Petrasová
Deux invités
Hubert Schmid, Alexander Winn
Secrétaire
Dominic Betz
Trois ouvriers
Hubert Schmid, Alexander Winn, Dominic Betz

Direction musicale
Karsten Januschke

Orchestre de l’opéra et du musée de Francfort
(Opern- und Museumsorchester)

Opéra de Francfort, le vendredi 6 juin 2025, 19h

Après L’Invisible en début d’année, c’est la deuxième fois en l’espace de quelques mois que l’Opéra de Francfort propose un opéra d’Aribert Reimann : Mélusine. Si L’Invisible est le dernier projet lyrique du compositeur, créé en 2017 au Deutsche Oper de Berlin, Mélusine est une œuvre de jeunesse, donnée pour la première fois en 1971 au célèbre Festival de Schwetzingen.

L’argument recourt à la légende de Mélusine, créature mi-femme mi-fée aquatique, revisitée par l’écrivain polyglotte Yvan Goll dont une partie de l’œuvre peut être associée au surréalisme. Dans le livret de Claus H. Henneberg – également librettiste de Lear –, Mélusine est une jeune femme récemment mariée, aux prises avec l’atmosphère étouffante et indifférente de son milieu social. Elle se réfugie régulièrement dans un parc où règne sa tante adoptive Pythia, autre fée de la nature. Lorsque le terrain est vendu au Comte de Lusignan, qui souhaite y édifier un château, Mélusine se décide à l’en empêcher, promettant par là même de ne jamais tomber amoureuse. Non seulement la construction du château est achevée en temps et en heure, Mélusine tombe aussi sous l’emprise du Comte, et Pythia fait vœu de vengeance. Elle incendie le parc ; le couple meurt ensemble.

Dans son deuxième opéra, Reimann se montre très sensible à l’air du temps des années 1970, avant l’avènement des premiers mouvements écologistes et antinucléaires. L’œuvre a tour à tour été lue comme une alerte écologique, un commentaire sur l’abus sexuel ou encore une vision forte de la psychologie relationnelle. La metteuse en scène Aileen Schneider déplace l’histoire dans un futur post-écologique, où l’on porte des combinaisons de protection chimique et des vêtements anti-radiation ; tout contact normal entre les hommes est devenu impossible dans un monde où les êtres vivants ressemblent à des machines. Seuls les personnages principaux s’y distinguent par leur aspect plus élégant ou bien biomorphe. Si cette esthétique paraît éloignée du contexte littéraire original, elle se justifie par la nature de la musique. L’œuvre vient d’une période de changement dans la production de Reimann. Depuis son premier opéra, son écriture rythmique s’était libérée, il avait découvert le timbre comme paramètre à part entière. La musique contient de nombreux éléments qui sont modelés sur la nature – enveloppes sonores, passages spectraux avant la lettre – quand ils n’imitent pas des sons électroniques avec les moyens de l’orchestre. Sous la baguette de Karsten Januschke, ces textures hybrides remarquablement équilibrées prennent toute leur ampleur.

La scénographie de Christoph Fischer situe tout cela dans une sorte de soucoupe volante au centre de laquelle subsiste un dernier oasis vert enseveli dans du tulle. En émerge Mélusine, véritable nymphe farouche, coquette et têtue, paradoxalement vêtue d’une robe de mariée surdimensionnée, avant que Pythia ne la pourvoie d’une queue de poisson – en échange de sa promesse de dédaigner l’amour – qui lui servira d’arme de séduction dans sa tentative de détourner les ouvriers du château de leur travail. Anna Nekhames l’interprète comme une fille à la fois triste et surexcitée, fragile et énergique. Sa voix ne manque pas de puissance à côté de ses impressionnantes coloratures volatiles, qui sont aussi bien une arme qu’un moyen de défense. Sa mère, Madame Lapérouse (Cecilia Hall), est plus autoritaire, au timbre volumineux, donnant davantage de contraste à la différence entre chant et texte parlé. Quant à Zanda Švēde, elle campe une Pythia tellurienne et implacable. La mezzosoprano est très à l’aise dans le registre grave de sa partie, initialement conçue comme un rôle de contralto – rapprochement que l’on observe souvent dans les œuvres de Reimann.

Anna Nekhames, Jaeil Kim, Morgan-Andrew King © Barbara Aumüller

La caractérisation musicale des personnages est très détaillée, et la mise en scène y réagit à sa manière. Ainsi, tous les hommes, bien que plus faibles et grotesques que les femmes, disposent d’un profil qui leur est propre. Oleander, malheureux mari de Mélusine, est sujet aux troubles obsessionnels compulsifs, tracassé par l’aspect de ses bras que son épouse trouve trop poilus. Jaeil Kim lui confère une force sombre, malgré quelques sorties bouffonnes dans ses lignes vocales. Le Géomètre, que Dietrich Volle joue avec une voix ferme aux inflexions émues, est d’abord distrait, puis ébloui lorsque Mélusine lui prend son casque, geste qui est répété auprès d’autres personnages. Il ressemble au Maçon de Frederic Jost, au timbre rond et soyeux, qui passe d’un comportement fanfaron à des réactions plus sincères et enthousiastes. En ce qui concerne l’Architecte, c’est un des rôles les plus étonnants, dont Reimann remet en question l’identité de genre. Passionné par Mélusine, il adopte progressivement les coloratures de celle-ci et, par conséquent, une allure davantage féminine. Si la partition prévoit un ténor hystérique et effervescent, Andrew Kim l’interprète avec beaucoup de verve, mais non dépourvu d’une certaine lourdeur romantique. Enfin, l’Ogre, vieux confrère de Pythia, dont la fonction dramaturgique reste floue – il insinue être le vrai père de Mélusine –, est à la fois remonté contre le sort réservé au parc, et résigné, aspect que la basse Morgan-Andrew King met en valeur avec une prestation physique sciemment désarticulée.

Dans la seconde partie de l’opéra, l’atmosphère prend une tournure radicale, comme si l’on changeait de concept de mise en scène. L’esthétique futuriste et antiseptique cède la place à une interprétation davantage religieuse et ritualisée, motivée par l’exclamation de Pythia « Comme s’ils en avaient assez des dieux ! » L’oasis centrale est remplacée par une construction rappelant un autel en bois et fer, sur lequel Mélusine et le Comte seront littéralement sacrifiés à la fin de l’œuvre. Ce dernier irradie de dignité et de gravité, frappé de stupeur lorsqu’il découvre la femme qu’il semble avoir attendu toute sa vie. Le baryton Liviu Holender donne corps à cette attitude avec une voix très lyrique est agréablement texturée. Le père du chanteur, l’ancien directeur de l’Opéra de Vienne, Ioan Holender, est d’ailleurs le commanditaire d’un autre opéra de Reimann, Médée (2010), dont la création allemande a également eu lieu à Francfort. Au fur et à mesure, les deux personnages cèdent à la tentation d’une vie plus humaine, d’un désir charnel. Mélusine perd son existence initiale, mais reçoit une âme, à l’image de la Petite Sirène, une des déclinaisons de la même légende.

Andrew Kim, Anna Nekhames © Barbara Aumüller

Un élément important de la dramaturgie musicale est la perte progressive des moyens vocaux que subit Mélusine, la musique devenant de plus en plus verticale alors que les structures associées au Comte reprennent quelques mouvements mélodiques de la protagoniste. Cette idée d’une grande efficacité scénique se traduit par un haut degré de stylisation de la production de Francfort, qui s’appuie moins sur l’aspect psychologique de l’histoire que sur les images que celui-ci suscite. Cependant, ces dernières ne l’emportent jamais sur la musique, en elle-même très évocatrice et plastique. Au moment de l’incendie final – symbole hautement charnel –, la structure de la soucoupe volante dégage une fumée grise, se faisant l’écho direct de deux motifs récurrents dans l’œuvre de Reimann, motivés par ses expériences pendant la Seconde Guerre mondiale : le château et le feu.

Le public accueille avec beaucoup d’enthousiasme cette nouvelle version de Mélusine d’Aribert Reimann, qui est le troisième opéra le plus joué du compositeur, après Lear et La Sonate des spectres. Bien que ce projet ait été entériné de son vivant, l’Opéra de Francfort lui rend hommage en soulignant le lien étroit qu’il entretenait avec la maison.

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Melusine
Opéra en quatre actes d’Aribert Reimann (1936-2024)
Livret de Claus H. Henneberg d’après le drame éponyme d’Yvan Goll
Création le 20 avril 1971 au Schlosstheater de Schwetzingen

Production de l’Opéra de Francfort. Création le 6 juin 2025 au Bockenheimer Depot.

Détails

Mise en scène
Aileen Schneider
Décors
Christoph Fischer
Costumes
Lorena Díaz Stephens
Lumières
Olaf Winter, Jonathan Pickers
Dramaturgie
Maximilian Enderle

Melusine
Anna Nekhames
Pythia
Zanda Švēde
Madame Lapérouse
Cecilia Hall
Oleander
Jaeil Kim
Comte de Lusignan
Liviu Holender
Géomètre
Dietrich Volle
Maçon
Frederic Jost
Architecte
Andrew Kim
Ogre
Morgan-Andrew King
Trois invitées
Ekin Su Paker, Daria Tymoshenko, Zuzana Petrasová
Deux invités
Hubert Schmid, Alexander Winn
Secrétaire
Dominic Betz
Trois ouvriers
Hubert Schmid, Alexander Winn, Dominic Betz

Direction musicale
Karsten Januschke

Orchestre de l’opéra et du musée de Francfort
(Opern- und Museumsorchester)

Opéra de Francfort, le vendredi 6 juin 2025, 19h

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