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Bruno Deletré, Directeur Général du Crédit Foncier : « je ne veux pas être un techno de la musique »

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Interview
1 octobre 2012

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Directeur Général du Crédit Foncier, Bruno Deletré ouvre la série que nous consacrons aux « Grands Amateurs », ces chefs d’entreprise, directeurs d’institutions publiques, avocats ou médecins qui ont gardé un haut niveau d’exigence dans la pratique musicale. Violoniste de formation, chef de chœur, chef d’orchestre, Bruno Deletré est une des figures les plus emblématiques de ces personnalités que l’amour de la musique n’a jamais quittées.

Les origines

Né à Valenciennes, Bruno Deletré est le cinquième d’une fratrie de cinq enfants. Il est le frère de la basse bien connue des amateurs de musique baroque, Bernard Deletré. Il commence le violon à l’âge de quatre ans. Ce qui aurait pu être simple passe-temps devient discipline, voire astreinte. Il entre au Conservatoire de Valenciennes, et sa mère le mène régulièrement à Bruxelles suivre des leçons particulières. A seize ans, la question se pose de savoir s’il poursuivra son apprentissage au CNSM. Mais le lycée l’emporte. On suivra des études moins saltimbanques. En Terminale, cependant, deux heures quotidiennes de violon s’ajoutent aux exercices de mathématiques, et même quelques incursions dans le quatuor à cordes. Les classes préparatoires interrompent pendant trois ans cette pratique. Elle reprendra une fois intégrée l’Ecole Polytechnique. « Quand mes camarades goûtaient les libertés de la vie étudiante après la contrainte des prépas, j’adoptais la discipline de deux heures de violon par jour, de 21h à 23h ». L’entrée à l’ENA (il en sort inspecteur des finances) puis l’affectation à la Direction du Trésor à sa sortie viendront une nouvelle fois mettre en mode pause cette pratique musicale. C’est il y a dix ans seulement que Bruno Deletré a senti le besoin de reprendre le violon, tous les jours de 21h à 22h. Mais il reste ingrat de « travailler pour travailler », dit-il : il faudra trouver le cadre adéquat pour se produire, l’épreuve du récital restant une clef de progression majeure – pour l’heure, quelques amis font le public.

Des amateurs professionnels

Jamais cependant il ne fut question de renoncer à la pratique musicale. Le violon a ses exigences, que la vie professionnelle contrarie. Il est d’autres manières, moins ascétiques peut-être, de faire de la musique. Pour Bruno Deletré, ce fut la pratique chorale. D’abord  au sein de la chorale paroissiale, à Valenciennes ; puis  en montant un chœur à quatre voix, avec des amis. « Un chef de chœur n’a pas à travailler tous les jours » – et il est vrai que son instrument n’est pas disponible en permanence. Dès 1989, ce chœur devint une association, totalement amateur et prend le nom de la « Chapelle du Hainaut », un des hauts lieux de l’architecture du XVIIIe à Valenciennes, intégré dans l’hôpital. D’emblée, l’épouse de Bruno Deletré s’y implique avec toute son énergie ; elle en reste aujourd’hui encore la cheville ouvrière. Le Chœur passa quelques concours, et croisa ainsi la route d’un membre du jury bienveillant, Didier Bouture, chef d’Harmonia Nova, qui avait aussi dirigé l’Orchestre des Grandes Ecoles. Il propose sa collaboration éclairée. Dès 1992, l’association obtient ses premiers financements et entame sa collaboration avec des professionnels. D’année en année, le chœur valenciennois s’est étoffé, et a recouru de manière croissante à de jeunes artistes professionnels, jusqu’à compter aujourd’hui vingt-quatre membres, dont dix-huit professionnels. En d’autres termes, depuis 1989-1992, période pionnière, tous les choristes ont été renouvelés, à l’exception d’une basse. Les anciens choristes restant fidèles et attentifs, certains sont passés professionnels, et plusieurs anciens se retrouvent tous les ans pour une semaine de travail à la montagne, comme par exemple Marie-Noël Maerten-Joubert,  aujourd’hui devenue chef de chœur assistante à la Maîtrise de Radio-France. L’amateurisme professionnel exige des soutiens financiers. Pour un budget de 80 000 euros annuel, la Chapelle du Hainaut reçoit le concours du ministère de la culture, de la région Nord Pas de Calais,  du conseil général, de la ville de Valenciennes de la Caisse d’Epargne Nord France Europe et de quelques autres privés du Nord.

« L’austérité, c’est mon genre »

Bruno Deletré avoue quelques grands modèles : Philippe Herreweghe, Ton Koopman, Gustav Leonhardt, Nikolaus Harnoncourt. Lui plaît avant tout ce qu’il appelle leur « austérité ». Il est vrai que ces quatre-là ne se sont pas fait connaître pour leurs dons comiques. L’austérité est une valeur esthétique : chez Bruno Deletré, elle recouvre un goût prononcé pour les formes d’art épurées, par exemple pour l’architecture cistercienne, qui fait ressortir les lignes, « débarrassées de ce qui empêche de voir loin » (jolie formule). La musique sacrée dès lors est un terrain propice. C’est là que le porte son goût. Mais l’austérité est aussi une valeur morale, affirmée avec force : celle de l’exigence professionnelle appliquée à la pratique amateur. Austérité, ou discipline, comme on voudra. Il en faut cependant une bonne dose pour diriger la semaine une grande institution financière, et rejoindre chaque week-end son valenciennois natal afin de diriger ce Chœur, et parfois  l’orchestre. Deux heures de voiture, c’est peu, dira-t-on. Mais il faut songer à tout le travail administratif, à la gestion des engagements, à la recherche et au maintien des sponsors, sans même parler de la recherche de répertoire nouveau, qui passe par un furetage systématique dans les magasins de la rue de Rome où par exemple il dénicha une pièce de Kodaly montée peu de temps après. Ajoutons l’engagement de professionnels souvent eux aussi parisiens. De quoi focaliser tout le temps libre d’un dirigeant d’entreprise bien occupé par ailleurs par l’adaptation de son établissement à la nouvelle donne de la crise financière.

Diriger « avec tact »

La direction d’orchestre s’est ajoutée à la direction de chœur. Le geste n’est pas le même, et l’expérience n’est pas aussi ancienne. Bruno Deletré le reconnaît, « ce n’est pas [son] métier ». Il travaille avec des instrumentistes professionnels, d’abord « classiques » et, depuis trois ans, issus davantage de l’univers baroque. C’est le cas de Philippe Couvert, violon solo de La Grande Ecurie de Jean-Claude Malgoire et fondateur de l’ensemble musical Académie Sainte-Cécile. Devant de telles pointures, Deletré avoue chercher avant tout l’ « humilité ». Il a certes lui-même pratiqué l’orchestre comme violoniste dans sa jeunesse, notamment dans l’orchestre du conservatoire que dirigeait Eugène Bozza. Il se sent donc plus à son affaire pour diriger des cordes – quoiqu’il convienne parfois d’imposer là aussi sa vision, même face aux meilleurs instrumentistes. Pour les autres instruments qu’il connaît moins, notamment les vents, le contact avec les professionnels est aussi la clef de tout progrès. Les écouter, accepter leurs remarques, apprendre. L’amateur Deletré ne cultive pas l’amateurisme.

De vive voix

Le répertoire de la Chapelle du Hainaut tourne autour de la musique sacrée de la Renaissance à nos jours, en enjambant soigneusement la période romantique. C’est un goût esthétique, et c’est un effet des moyens disponibles : la couleur des voix est proche des canons baroques. De Josquin Desprez, Palestrina, Purcell, Schütz, Bach – beaucoup -, Haendel, Telemann on saute ainsi directement à Fauré, Duruflé, Poulenc, Britten. Dans la musique du XXe Siècle, Bruno Deletré retrouve le sens de la ligne pure, du dépouillement fervent, qu’il aime dans la musique baroque et pré-baroque. Il constitue ainsi des programmes originaux : par exemple en mêlant Monteverdi à Britten. Les programmes ainsi constitués tournent dans la région : Valenciennes, Lille, mais aussi Senlis.

Bruno Deletré aurait peut-être pu se contenter en somme d’un rôle de gestion du Chœur, déléguant à d’autres la direction. Mais non : derrière cet investissement personnel s’exprime le désir très vif de « faire de la musique », d’empoigner la matière musicale, et non ses entours techno-administratifs. Au pays où les mécènes se prennent pour des musiciens, et les gestionnaires pour des artistes, cette conception modeste et terriblement ambitieuse en même temps a quelque chose de rare et d’assez réjouissant.

Site internet à consulter pour en savoir plus : evch.free.fr

A signaler que le 14 octobre 2012 à l’Eglise Saint Michel de Valenciennes et le 21 octobre 2012 en l’église de Nomain, la Chapelle du Hainaut donnera le Requiem de Fauré.

Bio en bref :

Né en 1961, Bruno Deletré est Directeur Général du Crédit Foncier et membre du Comité Exécutif du groupe BPCE. Diplomé de l’Ecole Polytechnique et de l’Ecole Nationale d’Administration (Promotion Fernand Braudel), il est un expert reconnu des problématiques bancaires et financières.
Avant de rejoindre le Crédit Foncier, Bruno Deletré a occupé de nombreux postes dans la fonction publique (à l’Inspection générale des finances, au Cabinet du Ministre de l’Economie et des Finances et à la Direction du Trésor), au sein de la banque Dexia et du groupe BPCE.

En 2008, Bruno Deletré se voit confier par Christine Lagarde, alors Ministre de l’Economie et des Finances, une mission de réflexion et de propositions sur l’organisation de la supervision des activités financières, en France, puis une autre sur la régulation et la supervision de la conduite des affaires dans le secteur financier.

Fervent partisan du développement des bonnes pratiques dans la profession bancaire, Bruno Deletré met aujourd’hui son expertise au service du Crédit Foncier.

 

 

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