Alors que la saison lyrique reprend progressivement en ce début d’automne, Pentatone nous offre un album entièrement dédié à un certain âge d’or du répertoire de nos théâtres, un large dix-neuvième siècle de belcanto franco-italien généreusement ouvert de Rossini à Delibes. Mêlant une ou deux des plus célèbres pages de ce répertoire à quelques-unes à peine moins connues – la rareté n’est pas poussée plus loin que l’air de Fernando extrait de Marino Faliero de Donizetti –, Golden Age se distingue surtout par sa tête d’affiche d’outre-atlantique. Aux côtés de Lawrence Brownlee, sympathique ténor incontournable pour quiconque fréquente un peu le paysage belcantiste contemporain, on retrouve avec grand plaisir Erin Morley, soprano colorature plus discrète sur nos scènes que sa compatriote Lisette Oropesa mais dont le sens du style et le timbre délicat étaient déjà remarquables dans l’enregistrement pour Palazzetto Bru Zane de Robert le Diable en 2022.
Avouons-le d’emblée, les plages en solo de ce CD restent assez communes, non qu’elles pâtissent de défaut majeur mais hors du contexte dramatique et accompagnés par la baguette plutôt routinière d’Ivan Repušić, ni Brownlee ni Morley n’arrivent à apposer une marque durable sur des airs aussi bien servis par la discographie que « Je crois entendre encore » ou « Où va la jeune hindoue ? ». Qu’il s’agisse de duo et les choses sont bien différentes. C’est en effet dans les plages à deux que le programme ménage une part d’humour, puisant dans les meilleures pages de Rossini et Donizetti. Frais, enlevé, sans aucune trace de minauderie, « Quoi, vous m’aimez ? » extrait de La Fille du Régiment voit ainsi nos deux artistes à leur meilleur : un chant direct et franc, une diction française pas absolument impeccable mais tout à fait compréhensible, juste assez teintée d’accent pour relever la personnalité des chanteurs. Le timbre fruité et sain de Morley, son espièglerie dans la ligne et la vocalisation, le legato élégant de Brownlee semblent faits pour ces opéras légers de Donizetti. L’impression se confirme dans leur « Tornami a dir », duo extrait de Don Pasquale, page pleine d’une délicate simplicité qu’ils savent parfaitement trouver. Changement d’atmosphère avec Le Comte Ory de Rossini, plus radicalement bouffe, plus acrobatique aussi. Dans la ligne de chant plus dramatique, entrecoupée de vocalises plus démonstratives, Erin Morley et Lawrence Brownlee trouvent, elle l’espace de déployer quelques impeccables suraigus perlés, Brownlee une vis comica incontestable. Qu’il ne soit pas dit, cependant, que le duo n’est à l’aise que dans la comédie. La rencontre coup de foudre de Gérald et Lakmé, « D’où viens-tu ?… C’est le Dieu de la jeunesse », y apporterait un démenti immédiat. Éprouvant un plaisir évident au lyrisme débordant qu’y insuffle Delibes, les deux artistes y sont à leur meilleur. C’est là que la voix de ténor léger au timbre de plus en plus mordoré et sombre de Brownlee trouve son meilleur emploi, c’est là aussi que la sensualité discrète de la ligne de chant très probe de Morley est la plus évidente, la plus séduisante aussi. Touchant et vrai malgré la théâtralité du langage musical de Delibes, ce duo est le sommet de l’album.
Un enregistrement indispensable ? Peut-être pas, mais un témoignage de deux artistes dont la probité stylistique et l’élégance ne sont pas la moindre qualité.