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5 questions à Maria Riccarda Wesseling

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Interview
16 novembre 2009

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D’Hermione de Grétry (Andromaque) le mois dernier à Irma de Peter Eötvös (Le Balcon) cette semaine, il y a un grand écart que Maria Riccarda Wesseling franchit dans un éclat de rire. Depuis la révélation d’Iphigénie en Tauride à Paris un soir de juin 2006, la petite Heidi des montagnes suisses n’en finit pas de gravir des sommets lyriques. Doucement mais sûrement.

 

Une représentation d’Iphigénie en Tauride à l’Opéra de Paris, le 6 Juin 2006, vous a projetée sur le devant de la scène. Comment avez-vous vécu ce passage soudain de l’ombre à la lumière ?

 

C’est plutôt vu du dehors que cela a pu sembler soudain ! Moi, je suis née dans les montagnes, et je me vois toujours comme les vieillards qui avancent à pas lents dans la montagne, contrairement aux jeunes qui courent pour atteindre le sommet. Le vieil homme fait des pas longs, réguliers, et deux heures plus tard il continue toujours de son pas lent alors que le jeune est essoufflé. Moi, j’ai toujours travaillé, travaillé, et il m’intéressait peu que cela se passe en province ou à Paris. J’adore mon travail, j’essaye toujours de m’améliorer. Je ne suis pas tombée du ciel en chantant sur la scène de l’Opéra de Paris en Juin 2006. Cela s’inscrit dans un long processus de travail. Ce qui était déjà magnifique, c’est que lorsque j’ai passé l’audition à Paris, dans mon agence l’un des deux collaborateurs disait qu’il était risqué que j’y aille, et pourtant, j’ai obtenu immédiatement le rôle… Minkowski qui n’était pas présent à l’audition a souhaité m’entendre car il craignait que j’aie un accent. Après m’avoir entendue, il a été rassuré et m’a tout de suite confié plusieurs rôles. A Paris, dans la production, ce fut un vrai bonheur de travail. Susan Graham est arrivée uniquement dix jours avant la première car elle avait déjà chanté mille fois ce rôle, c’est donc moi qui ai créé cette interpretation d’Iphigénie avec le metteur en scène Warlikowski et ce fut un travail magnifique ! Nous avons véritablement touché au cœur de l’art. J’ai totalement adhéré à ce projet et j’ai oublié que j’étais une petite Heidi des montagnes Suisses qui se retrouvait à Paris. J’ai profité, profité, profité de ce travail intense. La veille de la première, alors que Gérard Mortier parlait devant le public, j’étais légèrement triste que cette première se déroule sans moi. A part bien sûr ceux qui travaillaient sur cette production, personne ne me parlait, ni ne me voyait… Et puis le jour de la première, vers 15 heures, l’on m’a annoncé que c’est moi qui chantais le soir. Je n’ai pas même eu le temps d’être nerveuse, même si je n’avais eu qu’une seule répétition sur scène avec l’orchestre ! C’était tellement magnifique, Marc Minkowski et le metteur en scène étaient si heureux. Je retiens surtout la beauté de ce travail et pas seulement que cela m’a portée dans une autre ligue. Il est si rare dans notre métier et dans le cadre de la création d’une production d’opéra, que tout soit au niveau maximum. Le rôle compte beaucoup bien sûr, s’il ne vous porte pas, il manquera quelque chose pour atteindre la magie… Et là, grâce à la mise en scène, la musique, le chef, les collègues, le rôle, l’Opéra de Paris, tout a contribué à rendre ce moment magique.

 

Baroque, romantique, contemporain, votre répertoire est large. Comment passez-vous ainsi d’une époque à une autre ?

 

De la même façon que je passe d’un rôle à l’autre ! Si je regarde les personnages que j’interprète sur scène, j’y trouve une diversité incroyable. Que ce soit des rôles d’homme ou de femme, j’adore le challenge et je crois que ce qui nous pousse à faire ce travail-là, c’est de pouvoir vivre ces mille âmes que l’on a en soi. J’adore explorer tous ces rôles qui sont autant de personnages et de musiques à découvrir. je comprends que le public, les employeurs, et parfois la critique, ont du mal à imaginer que l’on puisse chanter autre chose que ce qu’ils nous ont entendu interpréter. Mais moi, j’ai besoin de nourrir ma curiosité musicale, developper mon goût pour les styles différents. Pendant mes études par exemple, j’ai souvent assisté au cours des instrumentistes pour voir notamment la manière de jouer avec l’archet et créer le phrasé… Alors pour moi, le baroque c’est surtout une question de phrasé, une façon de prendre mon archet vocal. Maintenant, je m’éloigne un peu de cela. Les « coloratures » ne m’intéressent plus tellement. Ce qui m’intéresse, ce sont les couleurs et les nuances, précisément comme dans le rôle d’Irma qui n’a rien de commun avec les rôles que j’interprète habituellement. Entre chanson, jazz, avec des moments parlés qui font un peu mal à la voix parce qu’il faut crier pour passer dessus l’orchestre, dans Le Balcon je chante presque dans une tessiture de ténor, très bas, en utilisant souvent ma voix de poitrine… Choses qu’habituellement je ne fais pas du tout. C’est ce côté expérimental que j’aime. Trouver de nouvelles choses me fascine – et c’est plus facile avec la musique contemporaine qui ne nous impose pas le poids de la tradition. Nous découvrons des choses nouvelles, nous sommes libres de donner des couleurs à un rôle que le public n’a pas déjà entendu interpréter par cent chanteuses magnifiques. Changer d’époque et de style dans la musique est une source d’inspiration et si l’on travaille avec soin, cela enrichit énormément. De grandes chanteuses telles que Christa Ludwig nous l’ont prouvé !

 

Irma dans Le Balcon de Peter Eötvös est une prise de rôle. Quelles en sont les difficultés ?

 

Si je devais passer de ce rôle à l’interprétation d’un Mozart, ce serait probablement difficile pour la voix, car avec Le Balcon, je prends des risques qui me fascinent. J’ai écouté les chansons de Frehel puisque les indications d’interprétation mentionnent « comme Frehel ». Mais la principale difficulté face à ce type d’œuvre, c’est que l’on ne peut pas se laisser entraîner par la musique comme dans un Strauss ou Mozart, il faut toujours compter, chercher les bonnes notes, avoir chaque page de la partition dans la tête. Nous avons davantage besoin du chef et là, nous sommes gâtés avec Kwamé Ryan qui connaît à fond cet œuvre, qui est chanteur et qui a un sens du rythme magnifique.

 

Vous venez d’ajouter  à votre répertoire le rôle d’Hermione dans Andromaque de Grétry. Pensez-vous, à l’instar d’Hervé Niquet, qu’il s’agit d’un compositeur à redécouvrir ?

 

Au début, lorsque j’ai reçu la partition, j’avais des doutes. Et lorsque j’ai commencé à travailler (surtout venant d’interpréter du Gluck et étant moi-même une « gluckiste » de cœur), j’ai trouvé cela un peu raide, avec de temps en temps des harmonies bizarres… Mais je dois dire que lorsque nous avons travaillé tous ensemble – l’orchestre, les solistes et surtout le chœur – j’ai alors trouvé que c’était très intéressant. Grétry fait des choses assez inattendues, très brusques, avec à certains moments où Hermione éclate de colère, deux petits airs très courts qui à peine commencés sont déjà finis. Il ne s’étend pas dans la beauté de la musique, mais suit le drame avec conséquence. L’œuvre ne lâche jamais… Elle continue… Elle raconte… Ca bouge, et il y a des moments où vraiment cette musique a 50 ans d’avance sur son époque et ressemble même à la musique de Berlioz. Pour être vraiment géniale, selon moi, la musique doit toucher à la magie. Et là, je ne vois pas Grétry dans la catégorie d’un Gluck ou d’un Mozart. Mais je suis très contente de pouvoir approfondir cette rencontre et mon interprétation d’Hermione lors d’une version mise en scène par Georges Lavaudant en avril prochain, lors du festival de Schwetzingen et à Montpellier au festival de Radio France.

 

Quels sont les arguments que vous avanceriez pour inciter le public à venir voir Le Balcon ?

 

Il y en a plusieurs : l’œuvre de Genet est magnifique et d’une énorme complexité. Il m’a fallu du temps pour bien la comprendre, mais c’est une allégorie magnifique sur la réalité et la fiction de notre vie… La nécessité qu’il y a de temps en temps de se construire des réalités qui nous permettent de supporter la vie. Il nous faut parfois bâtir nos propres mises en scène, ajouter de la fantaisie à la vie. Il nous faut jouer des rôles. Dans cet opéra, nous jouons avec des niveaux de vérité du réel, et  à la fin, je viens vers le public et lui dit « Tout était faux, tout était joué, et demain on va recommencer. Et vous, vous devez rentrer chez vous où tout est faux et encore plus faux qu’ici. » Cette pièce en elle-même est très bien et la musique la rend encore plus intéressante. Je dirais aux gens qui ont peur d’entendre deux heures de musique contemporaine insupportable, que ce n’est nullement le cas… Il y a de l’humour, de la poesie, il y a plein d’allusions au jazz, à la chanson… L’envoyé de la reine chante du Lully avec une voix de colorature allant du baroque au jazz. Cette musique pleine de couleurs rend cette pièce magnifique. Bref, je dirais au public de ne pas hésiter à venir au théâtre voir et entendre une œuvre qui invite à réfléchir sur la vie.

 

 

Christophe Rizoud avec la complicité de Noëlle Arnault

 

Le Balcon de Peter Eötvös au Grand-Théâtre de Bordeaux du 20 au 27 novembre 2009

www.opera-bordeaux.com

© DR

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