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Angelika Kirchschlager – Le concert de ma meilleure amie

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Interview
31 mars 2009

Infos sur l’œuvre

Détails

Angelika Kirschlager a accordé une interview à Forum Opera, quelques heures après son arrivée à Paris pour préparer le récital qu’elle a donné, le 26 mars, à l’Auditorium du Musée d’Orsay. Simple, directe, naturelle, c’est une anti-diva que nous avons rencontrée pendant une bonne heure de conversation à bâtons rompus. La mezzo-soprano autrichienne, à l’apogée de sa carrière (elle est née en 1966 et n’a aucun problème avec ça) est confondante de confiance simple, en elle-même, en la vie. Sans se poser trop de questions, elle cherche à organiser sa vie d’artiste et sa vie de femme, qui tournent autour de Vienne, ce qui la conduira à privilégier sans doute à l’avenir les tournées de concert. Ses yeux de braise, son rire, font d’une interview avec elle un moment rare et transforme rapidement l’interviewer en intime. Avec Angelika Kirschlager, c’est un peu le « concert de ma meilleure amie » !

Angelika Kirschlager, vous voici de retour à Paris pour un récital autour de Schubert, Korngold et Weill. Préparez-vous un programme de ce genre, où les mots sont si importants, de la même manière à Paris, Vienne ou Londres, alors que le public ne va pas recevoir vos paroles avec le même degré de compréhension ?

 

Vous avez remarqué que je chante aussi dans le programme deux mélodies françaises de Kurt Weill, « Je ne t’aime pas » – qui n’est pas du tout un message au public français ! – et « Complainte de la Seine ». C’est d’ailleurs la première fois que je vais les interpréter dans un pays francophone. Pour le reste, non, je ne prépare pas le programme différemment selon le public. Je le prépare d’abord pour moi, aussi curieux que cela puisse paraître, et ensuite, je le promène d’Autriche en Italie, en Angleterre, en France et c’est très excitant de voir combien le public réagit différemment ici et là.

 

Comment construisez-vous un tel programme ?

 

D’abord, je me bâtis un programme pour l’année. Trois au cours des trois dernières années, c’est beaucoup de travail parce qu’il faut trouver de nouvelles choses ! Pour cette année, je me suis demandée quel était le compositeur principal que j’avais envie d’interpréter. Et c’était Kurt Weill. Je le chante souvent et je reviendrai d’ailleurs pour l’Opéra de quat’sous en juin au Théâtre des Champs Elysées. Je le chanterai aussi à Vienne. Il y a également les Sept pêchés capitaux qui vont m’occuper pas mal cette année.

 

Pour le récital, j’ai donc choisi Weill. Ensuite Korngold s’est imposé car leurs parcours ont beaucoup de choses en commun. Tous deux sont partis aux Etats-Unis, ce qui a exercé une forte influence sur leur musique, notamment lorsqu’ils sont allés vers la musique de film. Et ensuite… pour la première partie, j’ai choisi un univers complètement différent. J’aime les contrastes ; c’est très bon pour la concentration, et sans doute aussi pour le public. J’ai fait, une fois, un programme entier consacré à Schubert : c’était lourd pour moi comme pour le public, d’ailleurs. Là, j’ai choisi plusieurs Lieder de Schubert, qui forment un ensemble assez consistant. Il n’y a pas vraiment de message préétabli, c’est plutôt à la fin du programme que l’on se rend compte de lignes, de croisements, d’éléments de cohérence.

 

Et l’an prochain, alors ?

 

Je travaille sur Hugo Wolf et je serai de retour à Paris avec lui1.

 

Quelques mots sur votre pianiste, Helmut Deutsch. Votre entente saute aux yeux, y compris pendant les répétitions. Qu’y a-t-il de spécial dans votre relation avec lui ?

 

On se connaît si bien ! Depuis quinze ans, une relation très spéciale s’est établie et souvent, nous n’avons même pas besoin de mots pour échanger des informations sur tel ou tel point de la pièce que nous interprétons. Nous savons exactement quand quelque chose était juste ou non. Il a une expérience incroyable, il enseigne à Munich depuis longtemps et a accompagné tous les plus grands. Il sait tout des tempi, de la respiration des chanteurs. Et il est très tolérant. Parfois, on discute pendant une demi-heure sur une mesure, cela peut même tourner à la dispute mais il y a toujours place pour échanger des arguments et pour essayer de se convaincre. Pendant les concerts, il me donne un confort extrême. Je peux faire exactement ce que je veux, il est là. Un peu comme lorsqu’on est à deux sous un parachute !

 

Votre répertoire est extrêmement varié, de Bach au Choix de Sophie, d’Offenbach à Richard Strauss, jusqu’à l’opérette et aux chansons viennoises. Est-ce un élément indispensable à votre équilibre vocal ?

 

L’alternance est bonne effectivement pour moi. Alterner l’opéra et les Lieder est un gage de santé. Les Lieder font du bien à la voix, notamment car vous devez utiliser tant de couleurs différentes. A l’opéra, vous pouvez exploiter ce travail et la clarté que cela donne à la voix. Si vous ne chantez que de l’opéra, votre voix s’élargit, en particulier si vous avez un grand orchestre avec vous dans un grand théâtre. Disons que les Lieder me maintiennent en forme… et que l’opéra me donne de l’énergie. A l’inverse, d’ailleurs, si vous ne chantez que des mélodies, vous perdez la force d’être sur scène pendant plus de deux heures. L’an dernier, je n’ai fait que des concerts pendant une dizaine de mois et ensuite j’ai enchaîné avec Cosi fan tutte, sous la direction de Riccardo Muti. C’était un choc, je n’avais plus la condition physique. Après deux heures, je n’en pouvais plus ! Mais quand on y arrive, cela donne de l’énergie … pour retourner aux Lieder. J’aime vraiment beaucoup ces concerts et ces récitals en fait.

 

Est-ce que cette alternance est aussi une bonne manière pour une chanteuse mère de famille d’organiser sa vie ?

 

Oui, en principe… même si je n’ai pas été à la maison depuis octobre… à cause de trois nouvelles productions que j’ai enchaînées cette année. Mais dans le futur, je n’accepterai de chanter dans des opéras que s’il y a vraiment de très bonnes raisons pour le faire, par exemple si j’aime particulièrement le chef ou le metteur en scène. J’irai toujours volontiers dans une maison comme Covent-Garden, que j’aime particulièrement… mais je ne ferai pas d’aller-retour au Met seulement pour quelques Nozze di Figaro par-ci par là.

 

Comment envisagez vous votre répertoire dans le futur alors ?

 

C’est difficile à dire. Je chante depuis 17 ans et je me rends compte que le dernier Cosi m’a demandé beaucoup, beaucoup d’effort. Certes, je pense que ma voix est beaucoup mieux aujourd’hui qu’il y a dix ans et on a beaucoup plus de choses à dire à mon âge que lorsque l’on débute. Mais je ne chanterai plus les mêmes rôles qui sont le cœur du répertoire. Je sélectionnerai avec beaucoup de soin mes engagements lyriques. Le futur immédiat, c’est Kurt Weill.

 

Certains en France posent la question de la recréation de troupes. Quel regard porte sur cette question la Viennoise que vous êtes devenue ?

 

C’est un très vaste et très intéressant débat. J’ai fait partie d’un « ensemble » pendant plusieurs années et c’était formidable. J’aimerais beaucoup que le monde de l’opéra puisse encore fonctionner ainsi, mais c’est totalement irréaliste ! Ces structures vous donnaient le temps de développer la voix, le répertoire, l’expérience, dans votre théâtre, votre ville, sans sauter d’un avion à l’autre et sans être jugé sur la scène internationale, comme aujourd’hui. Bien sûr, après, lorsque vous voulez avoir du succès et franchir des paliers, vous ne pouvez pas rester dans une troupe de ce genre et vous devez voyager. Malheureusement, les choses ont changé et les anciens « ensembles » ne peuvent plus exister comme avant. Dans la troupe de l’opéra de Vienne aujourd’hui, il y a toutefois d’excellents chanteurs qui pourraient tout à fait assumer des premiers rôles, mais on ne les leur donne pas ! Ils étudient tous les rôles pour pallier le cas échéant aux défaillances des stars… et ils ne les chantent jamais. C’est dur.

 

Est-ce que l’idée d’enseigner le chant dans le futur vous tente ?

 

En fait, je suis déjà professeur invité au Mozarteum. J’y enseigne quatre fois par an, pendant quatre jours, avec un groupe d’étudiants. J’essaie de leur apporter un peu de mon expérience en matière d’interprétation et j’adore ça. Je suis toujours heureuse de voir que cela produit souvent un choc sur les jeunes chanteurs. Je les pousse à assumer leur personnalité, à ne pas suivre de modèle. Les jeunes veulent toujours faire les choses si bien… mais ils s’oublient eux-mêmes et ce n’est pas comme cela qu’il faut faire. J’essaie de les convaincre qu’ils peuvent apporter beaucoup avec leur individualité. Et il faut avoir du courage pour se comporter comme des individus. L’enseignement du chant aujourd’hui est très normatif. Aux Etats-Unis notamment, vous n’avez pas le droit à l’erreur et tout doit être fait selon les règles, comme s’il y avait une vérité et une seule. Moi, je leur dis que leur technique doit être parfaite, mais ensuite, qu’ils doivent être courageux et être vous-même.

 

Ces enseignements sont d’autant plus agréables que je ne porte pas – pas encore ? – la responsabilité d’une classe permanente, qui est écrasante. Peut-être que dans une dizaine d’année, à Vienne, je prendrai cette responsabilité là. On verra.

 

Vous avez étudié avec Walter Berry ? Quel souvenir en gardez vous ?

 

C’était le meilleur. Sa personnalité était immense. Il n’imposait jamais, il vous aidait à trouver votre voie. C’est seulement si vous faisiez manifestement fausse route qu’il vous remettait dans le chemin, avec une intelligence humaine exceptionnelle. J’ai suivi ses enseignements sur les Lieder. Pour lui, tout partait du mot, du texte. Il prenait une mélodie comme un jeu de détective, en posant des questions sur la place des mots, des articulations, des ruptures, en cherchant leurs implications sur la musique. Je me rappelle que sur certaines mélodies de Schubert, il nous faisait essayer des solutions surprenantes, par exemple pour terminer un Lied de manière un peu abrupte, plutôt qu’en étirant le son, avec un beau ritardando. Et cela faisait un effet incroyable. Il nous pousser à chercher une manière subtile de chanter.

 

Ces années de formation ne sont pour moi que de bons souvenirs. Bien sûr, il y a eu des hauts et des bas mais je n’ai jamais traversé de crise – croisons les doigts ! On s’est beaucoup amusé, avec mes amis.

 

Vous avez toujours un professeur de chant ?

 

Et bien pendant dix ans, je ne suis plus allé voir personne et j’ai repris contact avec mon maître, M. Gerhard Kahry que je vois de temps en temps. Cela fait beaucoup de bien.

  

 

Avez-vous des projets à Paris ? L’arrivée d’un nouveau directeur à l’Opéra National de Paris chante-t-elle la donne ?

 

J’ai une relation très spéciale avec cette ville, avec des souvenirs très forts, des bons et des mauvais d’ailleurs. Côté opéra, il n’y a rien de prévu pour l’instant. Avec le Théâtre des Champs Elysées, on avait envisagé Pélléas mais cela ne s’est pas fait. J’adore l’Opéra Garnier, c’est sans doute le plus beau théâtre du monde… On verra bien.

 

 

 

Propos recueillis le jeudi 25 mars 2009, par Jean-Philippe THIELLAY

 

 

1 Voir l’ouvrage-CD consacré au Tombeau d’Anacréon.

  

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