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Bonheur à celui par qui le scandale arrive

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Humeur
7 août 2014

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Quand le metteur en scène Franck Castorf est venu saluer vendredi dernier à l’issue du Götterdämmerung, les huées ont envahi le Festspielhaus et les quelques bravos – dont les miens – avaient bien du mal à couvrir la bronca. Irrésistiblement, je pensais à Maurice Pialat qui lançait aux festivaliers de Cannes qui le conspuaient : « Vous ne m’aimez pas, hé bien, je ne vous aime pas non plus ! ». Le mépris glacé qu’exprimait son masque impassible d’empereur romain lançait aux habitués de Bayreuth qu’ils étaient bien les vieux cons ringards dénoncés à l’extérieur.

Pas de panique : les scandales de la Colline sacrée font maintenant partie du paysage de toutes les créations. La plupart s’éteignent d’ailleurs dès la deuxième année, comme pour le Lohengrin de Neuenfels ou le Fliegende Holländer de Gloger, et je ne citerai que pour mémoire les 80 minutes d’ovation qui accueillirent le Ring de Chéreau dès 1977 après les véritables émeutes qui marquèrent son installation en 1976. Bayreuth n’est pas La Mecque et on ne peut pas tourner éternellement autour de la pierre noire des productions hiératiques pour gagner  son brevet de hadji wagnérien. Wolfgang Wagner – suivi en cela par ses filles – l’avait parfaitement compris en créant le Werkstatt, cet atelier Wagner qui encourageait les mises en scène dérangeantes en invitant des réalisateurs venus du théâtre ou du cinéma. Le scandale est la condition de la survie de Bayreuth : merci à Castorf, déjà en cela, mission accomplie.

Plus graves étaient les bruits qui montaient dans le mundillo des aficionados et moult blogs sonnaient le tocsin. Cette mise en scène était non seulement immonde, mais « on » avait recruté des chanteurs déficients et les chœurs, ma bonne dame, n’étaient plus ce qu’ils devaient être… Et d’ailleurs « on » susurrait que les billets se trouvaient sans difficulté. C’est donc le cœur gros d’inquiétude que j’avais entamé mon pèlerinage. Il ne fallut pas attendre longtemps pour faire voler en éclats ces fariboles.

Alléluia ! Dès le fameux mi bémol, la baguette de Kirill Petrenko nous emmenait au paradis et ne nous lâchait plus. S’il fallait caractériser d’un mot la direction du russe, je choisirai « modestie ». Mot étrange si l’on veut bien considérer l’œuvre, le lieu, la légende. Mais cette modestie n’a rien d’un effacement : jamais on a si bien dit Wagner,  jamais une démarche musicale ne s’est aussi bien accordée avec le propos conceptuel de la mise en scène, jamais la musicalité n’a autant magnifié le velouté du Sprechgesang. A part quelques faiblesses – le cor solo entre autres – l’orchestre est exceptionnel. Avis aux amateurs, Petrenko ne sera plus dans la fosse en 2016 : commencez à intriguer dès aujourd’hui pour l’année prochaine, les Karten sont toujours aussi rares et aussi chères.

Je vous ferai grâce d’une analyse exhaustive des chanteurs que vous trouverez d’excellente façon sous la plume de Maurice Salles. L’ensemble de la distribution est d’une remarquable homogénéité. Il faut d’autant plus leur rendre hommage que suivre une ligne de chant dans l’effrayante complexité du dispositif scénique, tout en cavalcadant sans arrêt dans un décor d’échelles et de passerelles, ne facilite pas leur tâche. Si l’on ne découvre pas l’incandescence d’une perle rare, même les moins bons ne sont pas indigents, bien au contraire. Surtout, ils font tous montre de remarquables qualités d’acteurs et de diseurs, avec une diction impeccable. Grâce à ces dispositions parfaitement mises en place par le duo Castorf-Petrenko, les plus contestables tirent leur épingle du jeu, tels le Siegfried de Lance Ryan à la nasalité éprouvante, ou la Brünnhilde de Catherine Foster, aux graves inexistants et aux aigus parfois hasardeux,  qui nous a massacré les « Hojotoho » avec un si bel entrain qu’elle en a raté un. Beaucoup de personnages sont mieux tenus quoique sans éclat : Oleg Bryjak ne passera pas à la postérité avec son Alberich pas plus que la Fricka de Claudia Mahnke. On trouve ensuite tout un groupe de vieux routiers tels  Kwangchul Youn (Hunding), Johan Botha (Siegmund), Markus Eiche (Donner) ou Alejandro Marco-Buhrmester (Gunther) et bien d’autres qui  font plus que du bon travail. Mais je garde mes chouchous pour la fin : Wolfgang Koch -qui avait campé un Alberich luciférien à Covent Garden- est impressionnant en Wotan, non par la puissance de sa voix, mais par une maîtrise totale de son personnage, un phrasé qui en fait le serviteur du texte et du concept castorfien avec une subtilité hallucinante. Deuxième médaille d’or pour Anja Kampe, dont le cri au deuxième acte trouvera sa place aux cotés de celui de la Kundry de Martha Mödl. Médaille aussi pour Nadine Weissmann qui donne à Erda une autorité expressionniste. Comme aux JO, il y a aussi des médailles par équipes : les Filles du Rhin, les Walkyries, les Nornes méritent cette récompense, en particulier pour Okka von der Damerau que l’on retrouve dans les trois groupes. Mille excuses pour n’avoir pas échappé aux dangers de ce type de palmarès où, comme dans les comités de soutien des candidats aux élections, on ne regarde que les noms qui n’y sont pas… Tant pis, ou tant mieux, vous complèterez !

Mais revenons à celui par qui le scandale est arrivé, le dénommé Franck Castorf. L’œuvre qu’il a produit est si complexe, si riche en références, si truculente, si drôle parfois, si hardie, si choquante qu’elle nous bouleverse, nous irrite, nous inquiète, nous amuse, nous émeut. Je mets au défi de sortir indemne d’un pareil spectacle parfaitement servi par les magnifiques décors de Aleksandar Denic et les lumières virtuoses de Rainer Casper. Du Quentin Tarentino de Pulp Fiction au Cuirassé Potemkine d’Eisenstein, en passant par David Lynch et Sailor et Lula, au Casino de Martin Scorsese dans la mort de Siegfried à coup de battes de base-ball, les références qui hantent Castorf et l’Occident d’aujourd’hui nous prennent aux tripes. Pabst, Jelinek mais aussi les auteurs de bandes dessinées truffent un chemin initiatique bourré d’énigmes comme dans ces jeux de rôles dont on ne voit pas la fin. Je n’ai pas tout compris… et tout au long de cette semaine du festival, j’interrogeais les uns et les autres, chacun me donnant une clé ou plutôt « sa » clé de telle ou telle obscurité. Le drapeau arc en ciel de la communauté gay, c’est pour rendre hommage à Chéreau, vraiment ? Et les dindons de Walküre, ils représentent assurément le duo Sieglinde/ Siegmund… Pas du tout, vous n’y êtes pas : c’est le choc d’une économie agricole avec la recherche pétrolière ! La fellation d’Erda à Wotan est-elle absolument indispensable ? Heu… Et l’homme tenu en laisse par Siegfried, ce n’est pas un ours évidemment, mais la représentation de Castorf lui-même, je vous assure, me disait-on, je le tiens de quelqu’un qui le connaît. Abîme de perplexité. En voyant s’agiter au dernier acte du Götterdämmerung, des drapeaux de diverses nationalités, j’ai pensé à des supporters de foot. Quelle erreur ! L’excellent Didier van Moere, juste avant de décoller pour Paris, me révélait qu’il s’agissait des drapeaux des quatre puissances occupantes de l’Allemagne vaincue…Kolossale finesse …

Bon, il est temps de passer aux aveux. On se sent toujours mieux après.  J’ai vraiment décroché pour Siegfried. Il faut dire que le duo Ryan/ Foster présentait de telles lacunes qu’elles rendaient cette deuxième journée interminable. Depuis Chéreau, tout le monde sait que la Tétralogie est une histoire de minables pervers qui se prennent pour des dieux en commettant des crimes abominables. Mais  le duo  d’amour final est le plus insensé du répertoire et Castorf l’a massacré. Pas un regard, pas un geste entre Brünnhilde et Siegfried, ils mastiquent à la table d’un bistro minable, des crocodiles horrifiants les menacent et Siegfried tente de s’envoyer l’Oiseau sous le regard absent de la Walkyrie promptement changée en mariée. On peut admettre que le metteur en scène – au cas improbable où nous ne l’aurions pas compris – signifie que tout cela va mal finir, mais mon cœur de midinette a tellement souffert que j’ai commis une lourde faute : je suis allée en douce me procurer une place pour Lohengrin qui se donnait dans la journée de pause et retrouver ainsi le beau Klaus Florian Vogt. Il faut bien rêver. Mais mon péché n’avait pas échappé à un vieux festivalier qui  m’a ainsi tancée : « Madame, quand on prétend être une wagnérienne, on ne va pas voir un autre opéra entre les journées du Ring ! ». Devrais-je monter la Colline à genoux ? Ma faiblesse est par trop inexpiable.

Il est temps d’en terminer pour que vous puissiez retrouver maintenant les critiques sérieux et les vrais wagnériens, telle Angela Merkel. Les observateurs avaient noté son absence pour Rheingold et les gazettes se perdaient en conjectures. On la disait partie faire de la randonnée ou trop occupée par la guerre en Ukraine.  Mais elle était là dès Walküre, et installée, non pas dans la loge d’honneur, mais au milieu des adorateurs de Wagner, au parterre. Je ne sais pas ce qu’elle a pensé de l’image déprimante que Castorf donne de « son » Allemagne, sans idéal, sans âme, bouffée par le fric et la laideur. En tous cas, elle a beaucoup applaudi. Résignation ou masochisme ?

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