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Michael Fabiano : lettre ouverte au Premier ministre belge sur la fermeture de La Monnaie

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Brève
22 janvier 2022
Michael Fabiano : lettre ouverte au Premier ministre belge sur la fermeture de La Monnaie

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Depuis le 6 décembre dernier, le gouvernement belge a mis en place une politique de jauge particulièrement stricte pour l’accès aux salles de spectacles  avec des règles, il faut bien le reconnaitre, assez incompréhensibles : pour n’en citer qu’une, le nombre de spectateurs autorisés est limité à 200, quel que soit la taille de la salle. Face à cette contrainte, et au regard de l’objectif de faire « une priorité de la santé du personnel et des artistes », le directeur du Théâtre de La Monnaie, Peter de Caluwe, a choisi d’annuler purement et simplement les représentations de Carmen qui devaient démarrer le 23 janvier prochain. « Jouer les douze représentations prévues de Carmen pour seulement 200 personnes engendrerait une perte financière de 900.000 €. De plus, le fait que nous ne puissions vendre que 2 400 tickets au lieu des 13 800 prévus n’aurait pas suffi pour répondre aux attentes du public », ajoute-t-il. Particulièrement remonté, Michael Fabiano s’est fendu d’une lettre ouverte adressée au Premier ministre belge, Frank Vandenbroucke, co-signée par une partie des artistes qui devaient participer au spectacle : Stéphanie d’Oustrac (Carmen), Elsa Dreisig et Anne-Catherine Gillet (Micaëla), Jean-Sébastien Bou (Escamillo), Jean-Fernand Setti (Zuniga), Louise Foor (Frasquita), Claire Péron (Mercédès), Guillaume Andrieux (Le Dancaïre), Enguerrand de Hys (Le Remendado), et Pierre Gramont (l’Administrateur). 

Le ténor américain écrit : « Cher M. le Premier ministre. Mon nom est Michael Fabiano.  Je suis un chanteur d’opéra international.  Je dirige également une association nationale aux États-Unis qui travaille directement avec des milliers de professeurs, étudiants, artistes, administratifs d’établissements d’enseignement pour donner des cours de musiques personnels subventionnés. Il y a encore quatre jours, je jouait Don José dans la Carmen de Bizet dans votre théâtre national, La Monnaie. J’ai eu le privilège d’être sur scène avec plus d’une douzaines d’artistes remarquables et de collègues chanteurs, qui étaient tous excités à l’idée d’interpréter ce merveilleux ouvrage ici à Bruxelles. Le Directeur général, Peter à de Caluwe, a informé la troupe qu’il fermait le théâtre et annulait notre production en raison des difficultés techniques associées à la crise internationale actuelle. Il est clair qu’il ne souhaitait pas prendre cette décision et nous compatissons tous avec lui pour la situation difficile dans laquelle il se trouve à cause du gouvernement belge. Je vous écris, avec l’appui total de mes collègues du spectacle, car il s’agit d’une décision inutile qui résulte de positions inéquitables et déséquilibrées sur la santé et la sécurité. Vos citoyens, de même que les artistes invités, subissent un préjudice irréparable et ceci doit changer immédiatement. Voici certaines des conséquences :

1. Le risque pour les gens de ne pas avoir accès à la musique dans leur vie altère leur santé mentale et leur discipline personnelle. J’en ai eu l’expérience de première main dans mon association, c’est pourquoi nous nous sommes dépassés pour garantir aux enfants et aux adultes l’accès à l’étude personnelle de la musique, même si le chemin s’est révélé difficile. Des études significatives ont montré le risque sur la santé mentale et l’absence de discipline personnelle des personnes en cas d’absence de musique dans leurs vies. Tous vos citoyens devraient avoir l’opportunité d’assister aux manifestations culturelles importantes qu’ils ont attendues pendant les nombreux mois de la pandémie.
2. Les artistes engagés, comme ceux de la distribution de notre
Carmen, ont dû subir d’énormes baisses de cachets et des interruptions de carrière dans une période où nous avons perdu un nombre phénoménal d’opportunités de travail et de carrière. Les artistes plus jeunes qui se produisent à mes côtés ont perdu une occasion cruciale de faire leurs débuts internationaux, lesquels sont un moment décisif pour leur carrière, et ils doivent faire face à des dettes insurmontables car ils ne recevront pas le cachet qu’ils attendaient. Contrairement aux employés d’autres secteurs d’activité, pour des artistes comme nous, c’est tout ou rien. Si nos représentations sont annulées, nous ne recevront rien pour nos répétitions ou pour nos innombrables heures d’exercice et de préparation, ni pour le logement et les dépenses de voyages pour lesquels nous ne recevons aucuns traitement ou indemnités. Pendant ce temps, les administratifs et les personnels mensualisés du théâtre ou d’autres secteurs culturels n’ont pas à faire face à de telles réductions de salaires et aux difficultés émotionnelles des artistes qui sont en première ligne devant le public.  Il est certain que tous les acteurs de la culture devraient être rémunérés justement et correctement. L’art et la culture sont, après tout, un bien nécessaire à la société.
3. Des décisions politiques incohérentes avec la science déplacent les objectifs fixés aux artistes, sans issue en vue. Ceux qui travaillent dans les arts sont largement vaccinés. Nous devons l’être car notre mode d’existence en dépend. Nous savons que la vaste majorité des citoyens hospitalisés pour cause de COVID-19 ne sont pas vaccinés et nous sommes scientifiquement certains que le vaccination limite les effets du virus. Les personnes qui ont toujours suivi les prescriptions gouvernementales, qui ont adhéré aux réglementations locales et nationales, et qui pratiquent les règles de santé et d’atténuation ne devraient pas être soumis à des règles sanitaires oppressives et faisant obstacle à leur carrière, lesquelles ne sont pas nécessaires pour les personnes vaccinées. Les politiques draconiennes, comme l’isolation totale des membres de l’orchestre ou du chœur en cas de contact avec une personne positive au COVID, alors même que celles-ci sont en règle avec les obligations vaccinales, ou maintenir une quarantaine de dix jours pour les personnes positives au COVID, sont successivement en retard sur les courbes internationales, et cette information dépassée a été l’une des deux raisons principales pour fermer notre théâtre. Ma compréhension est que le gouvernement fédéral a maintenant éliminé l’obligation d’isolement pour une personne vaccinée qui aurait été en contact avec une personne positive au COVID. C’est une bonne avancée, mais insuffisante. Comme on peut le voir dans d’autres pays de l’EU et aux États-Unis, la quarantaine a été réduite à 4 ou 5 jours pour les personnes testées positives. Il est certain que ce simple changement améliorerait beaucoup les difficultés auxquelles notre administration artistique doit faire face.
4. Les salles de concerts et les théâtres sont les institutions les plus démocratiques du monde car la culture permet un débat libre et ouvert de tous les citoyens sans restrictions, et il est essentiel pour eux qu’ils soient protégés. A un moment où le monde demande davantage de contacts, et pas moins, c’est une obligation fondamentale pour l’Etat de permettre le fonctionnement pour le bien de tous de l’art et de la culture. La culture créée des liens entre des alliés improbables ; elle nous donne la volonté pour aspirer à un meilleur avenir pour nos enfants. La culture nous assure de ce que la société sait d’où nous venons et vers où nous irons. Sans elle, la société est morte.

Les salles de sport, les saunas et les bars sont ouverts avec des restrictions limitées en termes de mouvements, mais un théâtre accueillant des personnes testées, vaccinées et masquées devrait être limité à 200 places quand il y en a près de 1.200 ? Où sont l’égalité où la logique de cette politique et sa cohérence avec les autres secteurs d’activité ? Sur quels avis, sur quelle science cette décision est-elle basée ? Où est l’avis de votre ministre de la culture et pourquoi n’y-a-t-il pas un engagement plus fort pour la culture ? L’interruption de l’activité culturelle comme mesure de sécurité entrave le chemin de la démocratie et entrave votre propre mandat. Votre société est une société qui a été le réceptacle d’un art et d’une culture extraordinaires pendant des siècles. Les contributions de la Belgique et son engagement envers tous les projets culturels force le respect et l’admiration du monde entier.

Quelques-uns de mes collègues et moi-même avons parfois eu l’honneur de chanter dans d’autres théâtres internationaux durant cette crise. Tous les théâtres ont pris sur eux de travailler dur afin de garder ouvertes leurs portes, même quand il y avait des recrudescences. Votre administration a mis à genoux La Monnaie avec une limite de capacité, et des séries de piètres instructions pour les personnes vaccinées et pour leur expliquer comment rester en bonne santé. C’est une honte terrible et un manque de respect pour les arts et ceux qui en font leur métier car il contribuent tous au bien commun. Amener à cette situation un responsable tel que Peter de Caluwe est injustifié pour les raisons ci-dessus.

La Belgique peut être notre héros. Vous pouvez nous conduire à la gloire. Mettez en place une nouvelle réglementation qui protège les acteurs de la culture tout en gardant les portes des théâtres ouvertes sans des contraintes inutiles pour ceux-ci. Faites la promotion des jeunes, nouveaux et talentueux artistes qui doivent apparaitre dans notre production de Carmen et qui ont bien mérité un moment pour briller après deux années si terribles. Si Madrid, Paris et Londres peuvent maintenir des théâtres ouverts et accueillant le public sans jauge durant la crise, Bruxelles peut certainement le faire. S’il-vous-plait, soyez notre héros maintenant. Nous avons besoin plus que jamais d’un leadership déterminé. Arrêtez cette fermeture inutile de La Monnaie et soyez notre champion.

Je reste prêt et disposé avec mes collègues à parler en faveur des arts avec vous-même ou votre administration, et reste solidaire de mes collègues artistes.

Merci au nom de mes collègues qui se joignent à moi dans cet appel auprès de vous, aujourd’hui, le lundi 17 janvier ».

Pour rappel, cette production de Carmen avait été créée au Festival d’Aix-en-Provence en 2017.

Précisons par ailleurs que l’Opéra Royal de Wallonie, à Liège, a maintenu ses représentations malgré la jauge limitée à 200 spectateurs.

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Carmen au Festival d'Aix-en-Provence © Patrick Berger

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