Simon Rattle fait partie de ces chefs qui, tout en étant familiers des compositeurs modernes et contemporains, reviennent de temps en temps à des pièces de facture plus classique. De là son attachement à Hippolyte et Aricie de Rameau, aux symphonies de Haydn, ou encore à l’Idomeneo de Mozart. Pièce magistrale jetée par un compositeur de 25 ans au carrefour de ses opéras de jeunesse et des chefs-d’œuvre à venir, encore portée par les épaisses structures de l’opera seria mais gagnée déjà par une fièvre théâtrale et mélodique, une spiritualité et un à-propos inimitables, elle a souvent été remise sur le métier par Simon Rattle : à Glyndebourne (dans une mise en scène de Peter Sellars) et à Lucerne en 2003, à Salzbourg en 2004. Arrivé à la tête de l’Orchestre de la Radio Bavaroise, le chef britannique ne pouvait pas perdre l’occasion de remettre sur le métier l’ouvrage dans la ville même de sa création, Munich. Cette longue affinité s’entend d’emblée : prise dans un tempo assez large, mais avec ce qu’il faut de contrastes et de rebonds pour maintenir la tension de l’ensemble, l’ouverture donne le ton d’une lecture qui sait allier solennité et vivacité. Ce Mozart-là se souvient des baroqueux (quelques notes accentuées bien marquées, des silences parfois appuyés, un clavecin qui s’invite au milieu de l’orchestre) sans chercher à faire une leçon de philologie : l’orchestre avance et se mêle aux voix, les cordes viennent délicatement caresser le superbe chœur dans « Placido è il mar », « Andro, ramingò e solo » se pare de superbes couleurs automnales, tout cela respire avec tant de naturel et d’élégance que pour un tel orchestre, on oublie avec plaisir d’autres lectures plus fiévreuses.
Tout cela vient aussi soutenir les chanteurs : Magdalena Kožená était déjà des aventures de Simon Rattle dans Idomeneo il y a plus de vingt ans. Son Idamante reste pourtant ce jeune homme éperdu d’amour, qui trouve dans les diaprures intactes et les frémissements du timbre l’expression d’une ardeur toute spontanée. D’Ilia, Sabine Devieilhe a la légèreté, mais aussi la gravité, et les couleurs pastel idoines pour réussir un « Zeffiretti lusinghieri » d’une mélancolie irrésistible, tandis qu’Elsa Dreisig, toute de fureur rentrée et d’harmoniques généreuses, assume les chausse-trappes dont Mozart a parsemé les airs d’Elettra avec une musicalité et une intégrité qui forcent l’admiration ; chauvinisme à part, on a quelque émotion à se dire que ces deux mozartiennes de premier plan sont aussi parmi les plus belles représentantes d’une nouvelle génération du chant français. Sans déparer irrémédiablement cette intégrale, les hommes présentent l’inconvénient de ne pas se hisser sur les mêmes hauteurs (même si l’on compte parmi eux le remarquable Tareq Nazmi, Voce de luxe). La probité d’Andrew Staples, qui se lance sans trembler dans les vocalises du « grand » « Fuor del mar », n’est pas en cause ; mais les teintes pâles d’un timbre blanchi sonnent un peu trop oratorio pour exprimer de façon pleinement convaincante tout le cercle d’émotions d’un roi qui passe du soulagement à l’effroi, puis de l’angoisse à la colère, avant de retrouver le soulagement. De même, Linard Vrielink, qui hérite d’une partition archi-complète (c’est-à-dire, au troisième acte, d’une scène de près d’un quart d’heure), ne montre pas une palette de nuances suffisamment variée pour donner du relief à ses deux airs. Des réserves à prendre pour ce qu’elles sont : certes pas assez solides pour se passer d’un enregistrement qui trouvera naturellement sa place tout en haut d’une discographie toujours à la recherche d’une référence incontournable.